Comment les entrepreneurs font-ils face aux pressions qui menacent leur position dominante dans le frais et comment peuvent-ils continuer à se démarquer ? RetailDetail Food a réuni plusieurs commerçants, fabricants et observateurs de tendances autour de la table.
L’importance du frais
Les supérettes de quartier sont ‘attaquées’ sur deux flancs. D’une part, les hard discounters continuent de miser sur leur image de produits frais à prix abordables. (Pensez à l’offensive frontale de Lidl à la boulangerie.) Le frais est par ailleurs aussi devenu une priorité pour les supermarchés et les hypermarchés. À l’autre extrémité du spectre, on assiste à l’essor des marchés du frais, des marchés fermiers et des halles alimentaires, où l’expérience client atteint des sommets. Et puis, n’oublions pas non plus le canal en ligne…
« Dans le frais, la qualité est plus déterminante que le prix », estime Filip Sabbe. « La pression de la concurrence s’intensifie et les marges sur l’alimentaire ne sont pas phénoménales. Pour se différencier, il faut constamment faire évoluer le rayon frais, en proposant par exemple des préparations maison, des plats froids par beau temps, une offre barbecue alléchante aux bons moments… »
Le frais est l’un des chevaux de bataille de Chris Verwimp. « Nous devons présenter notre offre en frais de manière explicite et la rendre plus visible. La plupart des supermarchés proposent les mêmes pièces de viande. Opter pour de la viande fraîche et des préparations confectionnées dans un atelier propre nécessite un sérieux investissement en termes de savoir-faire, mais offre aussi une indéniable plus-value. C’est un moyen de soigner l’expérience client. Notre rayon traiteur nous aide aussi à nous différencier. »
Christophe De Laet approuve. « Les magasins se ressemblent de plus en plus. Tout le monde vend de tout. Même les hard discounters se positionnent aujourd’hui sur le frais, avec succès. Compte tenu de notre vaste assortiment, notre situation est plus complexe. En tant que magasin de proximité, nous accordons bien sûr la priorité au frais et à l’aspect traiteur, mais nous tenons aussi à proposer un assortiment complet, où le non-food est également bien représenté. »
Un marché en pleine évolution
Le comportement d’achat du consommateur a bien évolué ces dix dernières années. D’après Jan De Boeck, le commerce spécialisé (marchés, boulangers, bouchers…) a perdu beaucoup de parts de marché, qui n’ont pas été totalement compensées par le retail. « Le frais est aujourd’hui davantage le terrain du retail et de la grande distribution, mais la fréquence d’achat a diminué. »
Baisse possible de la consommation, essor de l’out-of-home, tendance santé, vieillissement de la population (les personnes âgées mangent moins) et intensification de la concurrence : Kate Stockman connaît la musique. Elle soulève un autre point intéressant. « À l’heure où tout le monde n’a plus que le mot expérience à la bouche, la crédibilité est plus que jamais cruciale. Améliorer sa connaissance du produit par pure passion, cela fait aussi partie de l’expérience ! »
Le frais est intimement lié aux concepts d’authenticité, de fait maison, d’artisanat… « Le hic, c’est qu’à force d’associer ces notions aux produits industriels, les discours marketing finissent par les vider de leur substance. Parler de l’origine d’un produit est une chose, mais adapter l’offre à la clientèle locale est tout aussi crucial : connaître ses clients est plus important que de savoir quoi leur offrir. »
Contact personnalisé
Wim Martens prône avec conviction une approche individualisée du client, mettant la passion du distributeur en avant. « Le personnel peut davantage faire la différence dans le frais que dans l’alimentation sèche. Avec le temps, la clientèle régulière fait connaissance avec les collaborateurs. Je pense que l’approche personnalisée du client à travers une offre régionale de produits est promise à un bel avenir. »
Dirk Cornelis enchaîne : « Prêter une oreille attentive aux préoccupations des clients est un bon moyen de façonner l’identité propre du magasin. Identifiez leurs besoins, répondez-y et vous vous différencierez automatiquement. La voie de l’avenir ne sera pas celle de la massification – une guerre de toute façon impossible à gagner – mais celle de la petitesse d’échelle. »
Passion, qualité, exclusivité, orientation client. « Avec le service dans le frais comme levier », ajoute Xavier Tielemans. « Prévoyez, à côté des ‘emballages fraîcheur’ fournis par la centrale, un comptoir tenu par du personnel compétent et proposez de la bière ou du vin au rayon fromages, de préférence sous forme de promotions exclusives. Un comptoir de découpe est vraiment une arme de différenciation redoutable. »
Less is more
Il ne faut toutefois pas accorder une importance exagérée à la différenciation, tempère Renaat Mortier. « Tout le monde n’est pas forcément en quête de variation ou d’expérience. Certains clients achètent systématiquement la même salade… L’engouement pour la variation et l’expérience est peut-être en partie générationnel. L’enjeu consiste donc à trouver un équilibre entre les attentes très divergentes des shoppers. »
Si le consommateur a l’impression que l’assortiment se renouvelle régulièrement – même si vous vous contentez d’interchanger les références sans introduire à tout bout de champ des nouveautés – vous créerez déjà un effet de surprise. La communication peut elle aussi jouer un rôle : ‘cuisson en cours’ ou ‘stocks limités’ sont des signaux qui peuvent susciter un sentiment d’exclusivité.
Les fournisseurs pourraient aussi donner un coup de pouce : proposer la même offre dans tous les points de vente est peu propice à la différenciation. « D’un autre côté, la collaboration avec les fournisseurs locaux n’est pas toujours évidente », témoigne Johan de Jager. « La logistique peut représenter un sérieux défi. Lorsqu’un produit remporte énormément de succès, des goulets d’étranglement peuvent survenir dans le suivi de la production des flux de livraisons… »
Garder son propre cap
Les exploitants de magasins ont décidément beaucoup de chats à fouetter : politique de recrutement, sécurité alimentaire… Face aux contraintes de temps, ils n’ont pas toujours le loisir d’imaginer des initiatives créatives, de se réinventer ou de revoir leur stratégie commerciale. En soi, ces tâches ne prennent pas tellement de temps, mais ajoutées à tout le reste, trop c’est trop… Sans compter qu’il faut aussi gérer la concurrence et la pression sur les prix.
Plusieurs des interlocuteurs réunis autour de la table sont d’avis que les exploitants de magasins indépendants doivent dans la mesure du possible s’efforcer de garder leur propre cap. « Nous devons tout faire pour y arriver », lance-t-on ci et là. « En chemin pour chez nous, le client passe peut-être devant six ou sept supermarchés, y compris d’autres magasins de notre propre enseigne… »
Il s’agit donc de faire des choix. La plus-value du frais pour le magasin de proximité indépendant est incontestable. Tout l’art consiste à faire en sorte que ce rayon devienne et reste rentable, ce qui est loin d’être évident. « Par ses initiatives personnelles – au niveau des achats par exemple, en s’approvisionnant sur les marchés matinaux – le commerçant peut faire la différence. Les gens viennent de loin pour la passion et la qualité », entendons-nous encore.
Participants à notre table ronde
Dirk Cornelis, administrateur délégué chez Ganda Ham |
Jan De Boeck, research consultant chez GfK |
Johan de Jager, exploitant de Carrefour Express Schuman (Bruxelles) |
Christophe De Laet, exploitant d’Alvo Superpost (Boom, Niel, Rumst) |
Wim Martens, directeur général de Croustifrance |
Renaat Mortier, responsable commercial Benelux chez Croustifrance |
Filip Sabbe, exploitant d’AD Delhaize Lede |
Kate Stockman, strategic coach et trendforecaster chez Stockmanverstraete |
Xavier Tielemans, national account manager chez Savencia Fromage & Dairy |
Chris Verwimp, exploitant de Spar Nijlen |