L’année 2021 a été mouvementée, avec un leader du marché sur la défensive, un spectre de l’inflation rôdant et des conflits sociaux. Mais l’année a également été marquée par de l’innovation, avec l’émergence de services de livraison rapide, de magasins sans personnel et de formules d’abonnement.
Acheteur ou marchandise ?
L’annonce du groupe canadien Couche-Tard d’une offre non sollicitée sur Carrefour a fait l’effet d’un coup de tonnerre en janvier. Le dirigeant Alexandre Bompard avait précédemment annoncé qu’il souhaitait jouer un rôle dans la poursuite de la consolidation de la distribution alimentaire européenne, mais ce n’est pas ce qu’il avait en tête. Et le gouvernement français non plus, qui s’est immédiatement lancé dans une frénésie protectionniste.
Les observateurs ont conclu que Carrefour a maintenant un panneau « à vendre » sur son front. Au bon prix et avec le partenaire adéquat toutefois. Si Bompard a annoncé que son entreprise allait passer à l’offensive, les rumeurs d’un mariage avec Auchan ont rapidement été démenties. Tout le monde semble s’accorder à dire que le détaillant est sur la bonne voie d’un point de vue stratégique, mais les résultats sont quelque peu à la traîne. Et ces conclusions sont aussi valables en Belgique.
Avertissement sur les bénéfices
Une chose est sûre : 2021 n’a pas été l’année du groupe Colruyt. Après la perte de parts de marché en 2020, le leader du marché a subi de nouvelles pressions, principalement en raison de la guerre des prix avec Albert Heijn, Aldi et Lidl. La bataille avec le rival néerlandais a entraîné une baisse des prix en Flandre – mais aussi des marges. Jef Colruyt a dû émettre un avertissement sur les bénéfices et les résultats semestriels étaient carrément décevants.
Les analyses étaient dures : Colruyt menace d’être victime de sa propre garantie des prix les plus bas et a également trop peu investi dans l’innovation et le commerce électronique. Ahold Delhaize, en particulier, apparaît comme un gagnant provisoire (lorsque bol.com entrera en bourse, sa valeur pourrait dépasser celle du groupe Colruyt). La hausse de l’inflation et la poursuite de l’expansion des concurrents néerlandais compliquent encore la situation. Il n’y a aucune chance que 2022 soit un grand cru pour le leader du marché.
Eco-Score récompensé
En conséquence, le poste de Jef Colruyt a été remis en question : le responsable atteint l’âge de la retraite mais n’a pas encore donné de précisions concernant sa succession. Le fait que l’ancien directeur de Delhaize et de Walmart, Dirk Van den Berghe, rejoigne le conseil d’administration a été salué.
Cependant, le détaillant a su mettre en place de belles initiatives. L’ introduction de l’Eco-Score a été un geste fort, qui a par la suite également été récompensé par le prix Mercury, à juste titre d’ailleurs. Entre-temps, ce label se retrouve sur de plus en plus d’emballages et d’autres détaillants tels que Carrefour et Lidl suivent le mouvement. Il y a eu l’ouverture d’un magasin de proximité entièrement automatisé à Gand et un test avec points de retrait pour repas frais. Il y a eu des participations et des acquisitions notables, comme l’entreprise d’eau durable Robinetto et la chaîne de fitness belge JIMS – bien que cette acquisition ait soulevé de nombreuses questions. La construction de sa propre ferme marine au large de Nieuport a également commencé.
Entretiens difficiles
Le spectre de l’inflation s’est avéré être le fil conducteur de l’année 2021 du commerce de détail alimentaire. Presque toutes les grandes multinationales ont annoncé bien à l’avance qu’elles n’avaient d’autre choix que d’augmenter considérablement leurs prix pour compenser la hausse des coûts des matières premières, de l’énergie et des transports. Les détaillants le méprisent et se voient obligés de se soucier du pouvoir d’achat des consommateurs. Nous devrons attendre les mouvements réels des prix à partir de janvier.
Quoi qu’il en soit, la nervosité augmente et les discussions annuelles difficiles débouchent sur des conflits ouverts. En Belgique, les produits Nutella et Mondelez ont disparu des rayons des magasins Colruyt. En Allemagne, le leader du marché Edeka s’attaque à PepsiCo et L’Oréal, entre autres. Cependant, le détaillant s’est retrouvé à son tour dans l’embarras lorsque le fabricant de papier hygiénique Essity a cessé ses livraisons.
Des négociations difficiles donc, qui ne sont pas encore terminées. Le rôle des alliances internationales de détaillants dans ce contexte a été mis en évidence par un procès intenté en France contre Intermarché pour abus de pouvoir potentiel, et par l’implosion de l’alliance de détaillants Agecore, dont les deux principaux membres ont démissionné. Mais son successeur Epic Partners a également été immédiatement accusé de « prendre les marques en otage ».
Course à la porte d’entrée
Le marché de la distribution alimentaire est de plus en plus fragmenté, ce qui est logique dans une société diversifiée aux besoins variés. La montée de ce que nous aimons appeler les « pique-assiettes » érode progressivement la part du supermarché dominant : les boxes repas, les livraisons rapides, les cuisines fantômes et les pure players innovants comme la société tchèque Rohlik, qui fait une percée en Europe.
Les investisseurs aiment l’idée : le service de livraison rapide Gorillas – qui a démarré en Belgique – a levé un milliard d’euros, son rival Flink 750 millions. En dollars, mais tout de même. Carrefour a acheté la start-up de commerce rapide Cajoo. Et tout le monde veut créer des partenariats avec les coursiers à vélo Deliveroo, Uber Eats et Takeaway.com. La course à la porte d’entrée est la nouvelle guerre des prix.
Nous avons assisté au lancement du premier supermarché 100 % en ligne de Belgique, même si le rayon d’action de Hopr reste limité à Hasselt et ses environs pour le moment. Toutefois, la véritable ambition du fondateur Stijn Martens est de se muer en marché alimentaire. Tout le monde devrait maintenant réaliser que la livraison est la formule gagnante pour le commerce électronique alimentaire : même en France, le pays du Drive, la livraison dépasse la collecte. En Belgique, seul Albert Heijn semble vraiment faire avancer les choses à cet égard.
Les Hollandais…
Ce qui nous amène à l’un des événements marquants de l’année : le dixième anniversaire d’Albert Heijn en Belgique. Nous l’avons longuement célébré : une double interview avec Marit van Egmond et Raf Van den Heuvel, un entretien avec le premier franchisé du détaillant – qui compte désormais quatre magasins. Et avec l’avis d’experts, qui s’attendent à ce que la barrière de la langue disparaisse. Mais cela semble encore prématuré.
Quoi qu’il en soit, Albert Heijn a maintenu la pression, avec un plan d’expansion soutenu, une forte expansion des zones de livraison pour les courses à domicile en ligne, des promotions remarquées et, comme cerise sur le gâteau, l’ouverture d’un impressionnant AH XL à Malines.
Jumbo a également fait sentir sa présence : l’ouverture de dix magasins, comme prévu, n’a pas fonctionné – ils étaient huit, dont à nouveau quatre anciens magasins Alvo, les premiers magasins franchisés belges et également un premier magasin Jumbo City belge. Le détaillant a également tenté de créer le mot de l’année : la « caisse de bavardage », où le personnel prend encore le temps de discuter, arrive aussi en Belgique pour lutter contre la solitude.
Picnic ne va pas encore s’installer en Belgique : le pure player néerlandais se développe en Allemagne et a commencé dans le nord de la France.
…et les Russes
La débâcle de l’année : les attentes élevées entourant l’arrivée du discounter sibérien Mere n’ont pas été satisfaites. Le détaillant a promis de combler le vide en bas du marché avec des restes à prix cassés, des conditionnements horeca et des produits importés, comme l’a révélé une visite exclusive de RetailDetail dans une succursale en Espagne.
En Belgique, l’entreprise secrète a annoncé trois sites : Opwijk, Couvin et Flémalle… mais cette promesse est restée vague. Les magasins attendent toujours des produits et des collaborateurs. Cette situation n’est pas unique : en France et au Royaume-Uni aussi, l’expansion du « véritable » discounter connaît du retard. Pourquoi ? Il n’y a pratiquement pas de stock excédentaire, car la pandémie perturbe les chaînes d’approvisionnement et le marché du travail est (trop) tendu. Mauvais timing.
Autonome et automatique
Tendance de l’année : chaque détaillant veut son magasin sans personnel. Inspiré, bien sûr, par Amazon, qui mène actuellement une offensive assez impressionnante à Londres – avec 15 de ces magasins automatiques de proximité Amazon Fresh en moins d’un an. De nombreux collègues ont alors annoncé des initiatives similaires : Tesco, Rewe et Netto collaborent avec le fournisseur de technologie Trigo pour y parvenir. Tout comme Aldi, qui ouvrira un concept de ce type à Utrecht l’année prochaine.
La technologie devient abordable. Nous assistons maintenant à une avancée dans toute l’Europe, une évolution qui sera progressive selon une étude récente. Carrefour ne pouvait donc pas rester en retrait : le magasin sans contact de Paris, développé en interne, fonctionne sans application et sans portique. Le groupe Colruyt y apporte également sa propre touche : vous pouvez essayer le magasin sans personnel Okay Direct dans le centre de Gand. Foodmaker et Albert Heijn voient le potentiel des magasins de bureau sans personnel et des réfrigérateurs intelligents.
Abonnement intelligent
Une autre tendance – également inspirée par Amazon – est l’émergence de formules d’abonnement. Le succès de l’écosystème Prime fait réfléchir les autres détaillants : Monoprix offre aux clients des réductions et une livraison gratuite avec le service Monopflix en échange d’une cotisation mensuelle, semestrielle ou annuelle. Un mécanisme similaire est également testé par Carrefour en France. Aux Pays-Bas, Jumbo teste un abonnement de livraison appelé « Bezorgeloos », tandis qu’Albert Heijn s’essaie à « l’abonnement omnicanal » Mijn Albert Heijn Premium : pour 12 euros par an, les clients bénéficient de toutes sortes de réductions et d’avantages.
Delhaize a proposé une variation intéressante sur ce thème : grâce au « Healthy Membership Program », les collaborateurs des entreprises participantes peuvent bénéficier d’une réduction de 20% sur les produits ayant un Nutri-Score A et B dans tous les magasins Delhaize en Belgique – avec un maximum de 60 euros de réduction par mois. Un avantage indirect intelligent, exonéré d’impôts et de cotisations de sécurité sociale. Delhaize a fait d’autres choses plus intelligentes encore, comme établir un partenariat de franchise pour l’exploitation des restaurants Foodmaker et la vente de repas chauds à emporter avec la start-up Tastyoo.
Actions de grèves spontanées
L’année 2021 a été, à bien des égards, une année d’agitation et de conflit. Les détaillants – et leurs fournisseurs – sont contraints d’accroître l’efficacité de leurs opérations : après tout, les marges sont sous pression et les ventes reviennent à la normale après une forte croissance pendant les confinements. Dans le même temps, de nombreux employés sont à bout de nerfs après deux années épuisantes au front. La quatrième vague a exacerbé la situation sur le terrain.
Une situation qui a conduit à une série d’actions de grève dans divers centres de distribution et magasins. L’impact d’une grève à Nivelles, où le sous-traitant de Carrefour, Kuehne+Nagel, veut fermer définitivement le CD, a été notable. Conséquence : des rayons de magasin vides. Les franchisés indignés ont exigé des compensations, tandis que le siège social d’Evere a maintenu un désagréable silence.
Lidl a lui aussi connu une agitation importante : en octobre, plus de 100 magasins sont restés fermés pendant plusieurs jours et à l’approche des fêtes de fin d’année, la situation reste très instable. Cela a ensuite été au tour d’Aldi, où une grève spontanée a éclaté dans les magasins wallons. La pression du travail était également la principale cause d’un conflit chez le Groupe Mestdagh, franchisé de Carrefour. Enfin, des actions ont également été menées chez Makro, Albert Heijn et Delhaize. La question reste de savoir dans quelle mesure ces actions ont également débouché sur des accords durables, c’est-à-dire à long terme.
La boule de cristal
Pour les tendances alimentaires à plus long terme, veuillez vous référer au dernier livre RetailDetail : The Future of Food – Een nieuw recept voor de voedingssector de Jorg Snoeck et Stefan Van Rompaey qui a été approuvé par les grands noms du monde FMCG européen et en est dans l’intervalle déjà à sa deuxième impression. Lecture recommandée pour les fêtes.
Enfin, pouvons-nous nous risquer à quelques prédictions ? Nous ne ferons aucun commentaire sur les cinquième, sixième et septième vagues. Mais l’année 2022 sera également mouvementée, c’est certain. Janvier risque d’être un mois mouvementé à bien des égards. Après tout, il y a deux grandes priorités à l’ordre du jour après les importantes ventes de fin d’année.
Tout d’abord, les inévitables augmentations de prix et comment/où elles se manifesteront en premier. Elles pourraient marquer le coup d’envoi d’une guerre des prix, des promotions et, surtout, des perceptions sans précédent, qui n’est pas prête de s’éteindre. Deuxièmement, selon nos informations, divers détaillants prévoient déjà des réorganisations internes de petites et plus grandes envergures, ce qui – inévitablement – entraînera à nouveau des troubles sociaux. Ce qui n’atténuera pas non plus la guerre des talents qui fait rage. Nous continuerons à le suivre pour vous. En attendant, bonnes vacances et une merveilleuse année 2022 !