La crise du coronavirus a accéléré la croissance des courses en ligne à un rythme sans précédent. Au moins une part de cette croissance ne faiblit pas et c’est une mauvaise nouvelle : le commerce électronique dans le secteur alimentaire n’est pas rentable. Y a-t-il une solution ?
Explosion de la demande
Il y a quelques mois encore, la croissance du marché des courses en ligne n’était que minime. Les détaillants alimentaires pensaient avoir encore beaucoup de temps devant eux pour se préparer, un jour, à une éventuelle percée du commerce électronique dans le secteur alimentaire. Mais la pandémie de coronavirus est arrivée, provoquant une explosion de la demande. Les consommateurs qui auparavant n’envisageaient pas une seconde commander leurs courses hebdomadaires en ligne se sont soudainement retrouvés à commander en masse, allant jusqu’à surpasser l’offre. Aujourd’hui, alors que la plupart des mesures de confinement ont été levées et que la frénésie de la thésaurisation est passée depuis longtemps, les ventes en ligne restent considérablement plus élevées qu’avant la flambée du virus.
Cette évolution constitue une menace pour les détaillants alimentaires, estime la société de conseil Bain & Company. Les systèmes « click & collect » et les livraisons à domicile sont structurellement moins rentables que la vente au détail, voire souvent déficitaires. Si la transition vers les achats en ligne s’exacerbe, les détaillants seront en difficulté. Ils devront donc rapidement trouver des solutions pour rendre le commerce électronique rentable pour leurs activités. La question est : comment ?
Chiffres révélateurs
Quelle est l’urgence du problème ? À l’apogée de la crise du coronavirus, le taux de pénétration d’Internet est passé de 8,1 % à 12,4 % au Royaume-Uni. En France, il est passé de 6 % à 10,2 %. En Italie, où le marché du commerce électronique est à la traîne, le taux de pénétration en ligne a doublé pour atteindre 4,3 % et, en Allemagne, un marché dominé par les discounters sans boutiques en ligne, il est passé de 1,5 % à 2,9 %.
Ces chiffres sont particulièrement révélateurs, surtout lorsqu’on sait que les ventes hors ligne en magasins ont atteint un pic au même moment et que de nombreux détaillants alimentaires n’avaient pas la capacité suffisante pour répondre à la demande accrue en ligne. Une enquête menée par Bain & Company auprès de 7 500 consommateurs européens en mai a montré qu’une personne sur cinq avait essayé en vain de passer une commande en ligne au cours des semaines précédentes. Le potentiel était donc beaucoup plus élevé. Le consultant estime que le marché du e-commerce conservera entre 35 et 45 % de cette croissance supplémentaire impulsée par le coronavirus. Le marché se retrouve soudainement propulsé à un niveau qui n’était escompté qu’à l’horizon 2025. Et si une deuxième vague de l’épidémie devait survenir, la demande en ligne atteindrait un nouveau pic.
Trois pistes
Cette croissance pèse sur la rentabilité des détaillants alimentaires. Alors que les ventes au détail génèrent en moyenne une marge de 2 à 4 %, le e-commerce est souvent déficitaire, car les détaillants ne répercutent pas suffisamment les coûts. La livraison de commandes préparées dans un « dark store » est tout juste rentable, mais les détaillants qui livrent les courses à domicile depuis leurs magasins physiques enregistrent une marge négative de 15 %. Mais ceux qui ne développent pas d’offre en ligne risquent, à terme, la faillite.
Que doivent faire les détaillants alimentaires ? Bain avance trois pistes. La nécessité d’investir dans l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement semble inévitable : centres de distribution électronique centralisés et/ou dark stores locaux plus petits (éventuellement en transformant les magasins existants). Une automatisation avancée augmente considérablement la productivité. Mais cela représente de lourds investissements.
Une deuxième piste est la recherche de nouvelles sources de revenus : vente de publicités et de bannières sur la boutique en ligne et l’application, offre de nouvelles possibilités d’activation numériques aux fournisseurs de biens de grande consommation, vente de données…
Enfin, les détaillants alimentaires doivent se pencher sur leur tarification et la répercussion des frais de livraison. Selon Bain, des améliorations sont possibles : si les livreurs de repas comme Uber Eats s’en tirent avec des frais de livraison élevés sans fâcher les consommateurs, pourquoi les courses hebdomadaires devraient-elles être livrées (presque) gratuitement ?