La combinaison de factures énergétiques trois fois plus élevées, de l’indexation des loyers et de la hausse des charges salariales met de nombreux supermarchés indépendants en difficulté. Frederic Van Landeghem, franchisé Carrefour, fait les comptes.
Jusque fin 2024 ?
Il fera donc un peu plus frais dans les magasins. L’éclairage baissera plus tôt et des portes et panneaux solaires doivent apporter un peu d’oxygène aux exploitants. Les entrepreneurs mettent tout en œuvre pour garder leurs factures d’énergie sous contrôle. « Dans le pire des cas, cette crise énergétique durera jusque fin 2024 : je m’y prépare mentalement », explique Frederic Van Landeghem. Il gère dix Carrefour Market et trois Carrefour Express. Jusqu’à la crise énergétique, tous ces magasins étaient rentables. Mais aujourd’hui, les coûts de l’énergie explosent.
« Les factures augmentent en fait depuis septembre 2021. Elles sont deux à trois plus élevées qu’il y a un an. Dans notre supermarché d’Erpe-Mere, le surcoût s’établit à 62 000 entre janvier et octobre. À Nazareth, c’est 68 000 euros, à Desselgem, 83 000 euros… L’année dernière, je payais 35 000 euros de gaz et d’électricité par mois pour mes dix supermarchés. Aujourd’hui, c’est 117 000 euros de plus. Il faut encore y ajouter la masse salariale : nous avons déjà subi plusieurs indexations de 2%. Ces augmentations se cumulent. Enfin, l’indexation des loyers a provoqué une augmentation de 8%. Un Carrefour Market moyen, c’est 100 000 euros de loyer par an. L’augmentation atteint ainsi 8 000 euros… »
Économies d’énergie
Pour résumer : quand votre loyer augmente de 10 000 euros, vos charges salariales de 40 000 euros et votre facture de gaz et d’électricité de 70 000 euros, il est impossible d’encore être rentable. Que peut faire un entrepreneur ?
« Carrefour a rédigé toute une feuille de route, avec de nombreuses petites interventions qui, ensemble, font une certaine différence. Certaines sont évidentes, d’autres un peu moins. Par exemple, nous avons installé des minuteurs sur les réfrigérateurs Coca-Cola et Red Bull afin qu’ils s’éteignent la nuit. Cela permet d’économiser 200 à 500 euros par an. Le fait d’éteindre les ordinateurs et les écrans rapporte entre 5 et 10 euros par mois. » Le chauffage est réglé à 18 °C au lieu de 20 °C. Et chaque soir, l’éclairage de tous les parkings s’éteint une demi-heure après la fermeture.
« Nous avons également commandé des portes pour toutes les unités de réfrigération et de congélation. En attendant, nous les recouvrons avec du polystyrène la nuit. Nous avions déjà équipé une partie de nos magasins de panneaux solaires, et nous voulons désormais en installer partout, mais les délais d’attente sont longs. Les portes et les panneaux solaires devraient nous permettre de réduire la facture totale de 25%. » Au total, Frederic Van Landeghem investira environ 600 000 euros dans ces différentes mesures d’économie d’énergie.
Refonte
Les chiffres alarmants sur la situation financière des supermarchés indépendants se multiplient depuis un certain temps. Assistons-nous à la crise de trop pour certains entrepreneurs ? « Carrefour déploie d’importants efforts pour ses franchisés, ils nous aident par exemple dans nos achats de panneaux solaires. Mais un magasin qui était rentable va maintenant plonger dans le rouge. C’est inéluctable. Et Carrefour ne pourra pas sauver tous ses magasins, ce ne serait pas économiquement responsable. »
Selon de nombreux observateurs, la Belgique compte actuellement trop de supermarchés. On pourrait arguer que cette crise énergétique va apporter la refonte du paysage belge du foodretail dont il avait besoin, mais ce n’est pas la vision de Frederic Van Landeghem : « Je ne crois pas en une réduction significative de l’offre : le paysage va certes évoluer, mais de nouvelles personnes vont exploiter les mêmes endroits. Certains magasins souffrent d’un surinvestissement ou d’une mauvaise gestion. Si un entrepreneur motivé peut arriver et faire table rase du passé, il est possible d’écrire une belle histoire. Mais on peut imaginer une vingtaine de fermetures par enseigne, des magasins impossibles à rentabiliser. »
Crédits-ponts et travailleurs flexibles
L’entrepreneur ne craint rien dans l’immédiat pour ses propres magasins. « Ils ont l’avantage de générer des marges intéressantes. Certains de nos magasins pourraient rester dans le rouge pendant deux ans, mais ils s’en sortiront. Les meilleurs magasins atteindront l’équilibre ou réaliseront un modeste bénéfice. Mais tous vont survivre. En revanche, ce sera moins évident pour un magasin qui atteignait à peine le seuil de rentabilité avant la crise et voit maintenant ses coûts d’énergie, de loyer et de personnel exploser. Et ce, quelle que soit l’enseigne. Le seuil de rentabilité augmente pour tous les magasins. »
Les grands supermarchés digèrent mieux les augmentations de coûts que les petits, car leur chiffre d’affaires plus élevé leur permet de mieux absorber la hausse des coûts. « Dans certains magasins, les coûts de l’énergie représentent désormais 3% du chiffre d’affaires, c’est sans précédent. Dans les plus grands magasins, ils passent de 0,6 à 1,2%. »
Que pourrait faire le gouvernement ? « Des crédits-ponts seraient à mon avis une mesure très correcte pour les entreprises saines qui souffrent de problèmes de trésorerie temporaires. » La crise met davantage d’amateurs de flexi-jobs sur le marché, et cela aide, poursuit Frederic Van Landeghem. « Il s’agit souvent de personnes très fiables désireuses d’accroître leurs revenus face à la crise. Elles nous permettent de gagner en flexibilité au niveau du personnel et des horaires et ainsi de maintenir les coûts sous contrôle. »
Noël compliqué
Entre-temps, le comportement d’achat des consommateurs change radicalement depuis janvier-février. « Le caddie moyen a baissé de 15% alors que l’inflation atteint 11%. Les clients achètent désormais davantage de produits de marque de distributeurs moins chers que de produits de marques classiques. Cela ne me pose aucun problème : je suis heureux que les clients continuent à venir et se rendent compte qu’ils peuvent aussi faire des courses bon marché chez Carrefour. Mais le chiffre d’affaires ne suit pas l’inflation. C’est un cercle vicieux. »
« On voit parfois des différences de prix de 50% entre la marque A et la marque Carrefour. Dans ce cas, le client ne va pas hésiter. D’autant que nous organisons parfois des dégustations à l’aveugle avec les chefs d’équipe et qu’il arrive que la marque discount sorte gagnante. Et même si la marque A est meilleure : cela justifie-t-il de payer 60% de plus ? En général, la réponse est non… »
La période de Noël sera donc plus que compliquée. Et le fait que tant Noël et le Jour de l’An tombent un dimanche ne facilitera pas les choses pour les retailers indépendants. « Les consommateurs pourraient moins sortir au restaurant et opter plutôt pour un festin familial à petit budget : on remplacera le champagne par du cava et le repas gastronomique par un plat de poisson. Si nous réalisons le même résultat que l’année dernière, ce sera très bien. »
Sonnette d’alarme
Les Carrefour Markets de Frederic Van Landeghem ne sont pas les seuls supermarchés en difficulté : ce constat s’applique à la plupart des franchisés de l’alimentation et de la restauration. Michaël Rosin, président de la Fédération belge de la Franchise (FBF), tire donc la sonnette d’alarme.
« Le gouvernement fédéral et le gouvernement flamand ont tous deux introduit des mesures de soutien ces derniers mois, mais celles-ci sont loin d’être suffisantes face à l’explosion des factures d’énergie. Nous demandons de nouvelles compensations et des mesures de protection ciblées comme une limitation de l’indexation des loyers commerciaux, en particulier pour les biens les plus mal isolés. Nous réclamons également une augmentation de la déduction des investissements dans des mesures d’économies d’énergie. Sans mesures de ce type, c’est la survie de nombreux magasins franchisés dans le secteur de l’alimentation et de l’horeca qui est menacée. »