Notre pays est pris en tenaille par non pas un, mais deux casseurs de prix jaunes et les premières victimes sont déjà tombées. Un réseau grandissant de chasseurs de bonnes affaires anéantit toute garantie de prix. Filet Pur est de retour pour vous décortiquer l’actualité food de la semaine.
Fusée d’essai nord-coréenne
Que de titres triomphants dans la presse cette semaine : « Ils capitulent déjà ! » ou encore « Ils évitent la confrontation. Ils ont peur! » Résultat : feu d’artifice à Pelt et sauts de joie à Rijkevorsel. Sans oublier Hal, où le cours de l’action Colruyt a pris des allures de fusée d’essai nord-coréenne. Les investisseurs se sont frottés les mains. Et pourquoi toute cette effervescence? Uniquement parce que quelques initiés anonymes ont suggéré que Jumbo lors de son entrée en Belgique pourrait renoncer à cette fameuse garantie du meilleur prix. Comme si c’était une nouvelle. Sérieusement. N’en croyez rien : c’était une fuite organisée. Là-bas à Veghel ils ont un conseiller en communication sans égal, un spécialiste du leurre.
Mais ne triomphons pas trop vite : il semble que Colruyt soit pris en tenaille. Sur le front sud, près de la frontière franco-belge, Carrefour ouvre quelques magasins pilotes de sa formule ‘soft discount’ Supeco. Un concept hybride, à mi-chemin entre un supermarché et un cash & carry. Mouais, pas vraiment soft. Image de marque : jaune criard ! Et moche ! Assortiment : restreint, avec l’accent sur le frais. Mais hyper bon marché, ça oui. Bref, ils ont mixé les ingrédients forts de Colruyt et Jumbo pour créer une formule imbattable qui provoquera une coupe-rase dans le Nord de la France. Pour ensuite traverser la frontière? Prépare-toi, Jef !
Victimes collatérales
D’ailleurs, que Jumbo fasse son entrée dans nos contrées avec sept ou six certitudes, n’est qu’accessoire. L’essentiel est de contrecarrer l’éternel rival Albert Heijn. Et s’il y a des victimes collatérales, alors tant pis. Et il y a en aura inévitablement, meilleur prix ou non. Pire encore : il y aura des victimes, préventivement en quelque sorte. Match notamment, qui enfin admet officiellement qu’une stratégie du plus haut prix n’est pas la solution non plus. Breaking: Match perd le match.
Ainsi la chaîne illustre, bon gré mal gré, que l’homme le plus riche du monde a parfaitement raison. Eh oui, Jeff Bezos dit parfois des choses sensées. Notamment (je paraphrase pour plus de commodité) : « Les gens me demandent souvent ce qui va changer dans le retail dans les dix années à venir. Ils ne me demandent jamais ce qui ne va pas changer. Et pourtant c’est la principale question que l’on doit se poser. Car on ne peut bâtir une stratégie que sur quelque chose de stable. Et je sais pertinemment que d’ici dix ans les gens souhaiteront toujours des prix bas. Personne ne viendra me dire dans dix ans ‘Jeff, j’aime Amazon, mais je souhaiterais que les prix soient un peu plus élevés’. Impossible. » En effet.
Les profondeurs de l’internet
Une garantie du meilleur prix ? Ça n’existe plus depuis longtemps, comme nous l’avons déjà écrit précédemment. Allez donc voir ce qui se passe dans les profondeurs du web mondial : dans des groupes Facebook, privés ou publics, des shoppers fanatiques s’échangent des informations vitales concernant des réductions, promotions, coupons et produits à prix erronés. Fièrement ils se montrent leurs tickets de caisse avec la réduction qu’ils ont décrochée. Ils s’étonnent des grandes différences de prix locales et se signalent les régions les moins chères, les magasins frontaliers les plus intéressants et les webshops les plus avantageux.
En outre ils s’avertissent mutuellement en cas de pratiques sournoises dans certains supermarchés – et c’est là que ça devient intéressant : les produits en promotion semblent soudainement en rupture de stock lorsque vous en commandez en grande quantité – tout à fait par hasard, évidemment. Les prix affichés sur les étiquettes électroniques augmentent à vue d’œil. Sérieusement. Vous voyez un produit de lessive à prix plancher en rayon et décidez de vous constituer un stock. Avant même que vous n’ayez atteint la caisse le prix a déjà doublé. Des témoignages déchirants. La confusion des prix prend des proportions intergalactiques. Bref, le meilleur prix n’est pas toujours ce qu’il paraît être.
Hormones de croissance
Mais revenons-en au péril jaune dont nous avons quand même eu quelques nouvelles durant les mois d’été. Notamment que la chaîne n’opte pas vraiment pour une Stratégie Océan Bleu : les trois premiers magasins ouvriront leurs portes à des endroits déjà complètement saturés de supermarchés, à tel point que les shoppers ont du mal à s’y frayer un chemin avec leur caddie. Et aussi : que les différences de prix entre les Pays-Bas et la Belgique sont devenues si minimes que ça n’en vaut plus le détour. Pas tant parce que le gouvernement néerlandais a décidé d’augmenter les tarifs de la TVA pour renflouer les caisses de l’Etat, mais plutôt parce que les fournisseurs et les retailers ont unanimement et secrètement profité de ce moment pour administrer des hormones de croissance aux marges. Et ce à un moment d’inattention du consommateur. Vous en feriez autant, non ? Le shopper moyen n’est pas un génie en calcul, c’est bien simple.
Ce qu’Albert Heijn a fait de cet argent facilement gagné, nous a été révélé hier : ce magasin AH to go entièrement automatisé et déplaçable a dû coûter une fortune. Histoire de faire impression. Finalement le fait que Jumbo vienne titiller quelques magasins bleus AH en Belgique n’est qu’anecdotique. Le vrai combat concurrentiel à mener est celui face à Amazon. Au niveau mondial, donc. Un journaliste me demandait au téléphone : « Selon vous, combien de temps faudra-t-il pour que ce concept arrive en Belgique ? » Ne me faites par rire. Aux Pays-Bas les titulaires de cartes bonus utilisent déjà un système d’épargne numérique, tandis qu’en Belgique on en est encore à coller des timbres en papier. Donc, la réponse en bref : longtemps ! Contrairement à ce weekend qui comme toujours passera trop vite . Profitez-en bien et à la semaine prochaine !
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