Les combattants des prix allemands s’avèrent être diamétralement opposés sur le plan stratégique, mais le marché belge de la distribution alimentaire a également sa part de contrastes : si les lions retrouvent le sourire, à Halle, l’heure n’est pas à la fête, observe Filet Pur.
Cheval de Troie
Un coup de maître : c’est du moins ce que pensent les observateurs de l’alliance que Lotus Bakeries, groupe encore relativement petit, a conclue cette semaine avec son concurrent multinational Mondelez, nettement plus grand. Ensemble, ils fabriqueront des biscuits en Inde et commercialiseront le chocolat au spéculoos en Europe. Milka devient le cheval de Troy pour Biscoff. L’heure n’est plus à la concurrence, mais à la collaboration. Deux Flamands entre eux, ça aide. Jan Boone et Dirk Van De Put ont évidemment aussi lu le livre de Byron Sharp, dont j’ai parlé la semaine dernière. Ou ont-ils du personnel pour cela ? Cela se pourrait bien. Cette action de Lotus était déjà inestimable, et elle s’envole maintenant dans la stratosphère.
L’investissement à risque qu’est la société Picnic n’est pas prête d’entrer en bourse, mais le PDG Michiel Muller est catégorique : au cours des derniers mois, des robots travailleurs ont permis au supermarché en ligne app-only de présenter ses premiers chiffres positifs en neuf années d’existence. Aux Pays-Bas. Et en brut. Il n’en s’agit pas moins d’une étape importante, affirme le frère de Frans. Le bénéfice net importe peu pour l’instant : investir dans la croissance est et restera la priorité. La rentabilité suivra bientôt naturellement, simple conséquence de l’évolution démographique : plus besoin de convaincre les jeunes familles de la commodité du commerce électronique. Bientôt, les magasins physiques ne seront plus là que pour les baby-boomers.
Ombre menaçante
On aurait pu penser que l’heure aurait été à la fête à Halle, après l’annonce de ces bénéfices record mardi soir. Après tout, Colruyt Group a connu une véritable période de vaches grasses cette année. Certes, c’est surtout la vente de quelques parcs éoliens qui a rempli les caisses, mais tout de même : la part de marché a fortement augmenté et, avec une marge de 4,3 %, il n’y a pas de quoi rougir. Pourtant, l’euphorie n’était pas au rendez-vous Chaussée d’Enghien. Certes, on connait la sobriété et la modestie des personnages, mais une telle retenue est étonnante. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’ils doivent chercher un nouveau nom pour l’Eco-Score auquel ils tiennent tant.
Un nom constituait le fil conducteur de ce communiqué de presse, finalement. Enfin, pas vraiment un nom, mais l’ombre menaçante d’un concurrent qui n’était pas expressément nommé. Eh bien, cette augmentation de la part de marché au cours de l’exercice précédent était au moins en partie due aux grèves chez le numéro deux belge. Celles-ci sont finies depuis longtemps, de sorte que la base de comparaison sera difficile cette année, comme on dit. Et oui : en ce début d’année civile, cette part de marché est déjà à nouveau sous pression, reconnaît humblement le distributeur.
De marbre
Le coupable ? Delhaize, bien sûr. Non seulement tous ces beaux magasins ont repris du service, mais, pour ne rien arranger, la grande majorité des succursales rachetées ouvriront également le dimanche, ce qui ne fait pas du tout les affaires du leader du marché. Les indépendants emploient des étudiants jobistes et des flexijobbers à des tarifs défiant toute concurrence. Un employeur responsable, offrant des contrats à temps plein fixes et des primes généreuses pour le travail le dimanche, ne peut pas rivaliser. Et ce plaidoyer en faveur de l’égalité des chances se heurte à des concurrents qui restent de marbre, à quoi vous attendiez-vous ?
Peut-être Colruyt devrait-il appeler la fautrice de troubles de l’avenue Fruithof. En effet, la syndicaliste qui a personnellement veillé à ce que le supermarché Delhaize de Berchem soit fermé plus souvent qu’il n’était ouvert l’année dernière siègera bientôt au Parlement, pour le PTB. 9 937 votes préférentiels : c’est moins que les 63 530 récoltés par le fondateur de Medi-Market, Yvan Verougstraete, mais c’est suffisant pour obtenir un siège au Palais de la Nation. Et quelles sont ses intentions ? Se battre pour que le personnel des magasins, qui travaille dur, obtienne à nouveau des contrats à durée indéterminée. Voilà une alliée inattendue, qui prendra un malin plaisir à faire un mauvais coup à son ancien employeur. Ça tombe à pic !
Murs et moulins à vent
En attendant, les lions ne restent pas les bras croisés. En plus de lancer cinq nouvelles boîtes repas olympiques pour gonfler encore davantage les ventes mensuelles de 175 000 unités, l’enseigne commercialisera à nouveau d’innombrables mets irrésistibles au cours des semaines et des mois à venir. C’est ce que nous avons pu constater empiriquement lors d’une visite au Food Market, le salon que la chaîne organise deux fois par an pour ses détaillants. C’est une épreuve, mais il faut bien que quelqu’un s’y colle : goûter du faux saumon végétal, de la mozzarella végane, du jambon halal, de la burrata fumée, des bretzels sans gluten ou du kéfir bio…
La principale conclusion est toutefois que le Grand Projet de franchisage secoue l’ensemble de l’organisation, y compris le service d’achat qui, dorénavant, se plie en quatre pour vendre activement ses concepts et ses produits aux entrepreneurs, plutôt que de les imposer dans les magasins sans commentaire. Une nouvelle réalité qui crée une dynamique totalement différente. Les affiliés sont plus enclins à prendre des risques, sont friands d’innovations savoureuses (et inutiles qu’elles soient trop saines) et ne sont pas gênés par les syndicats lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches sur le terrain : des comptoirs de vente de poisson frais sur glace feront bientôt leur apparition dans certains magasins. « Lorsque souffle le vent du changement, certains construisent des murs, d’autres des moulins à vent », dit le proverbe chinois. Et il ne s’agit pas d’une flatulence.
Encore plus agressif
Enfin, encore ceci. Étais-je en compagnie exubérante de femmes enceintes et de jeunes mères accompagnées de leur progéniture entièrement de plein gré ce mercredi après-midi ? C’est possible. Par pur sens du devoir, vous me connaissez. Qui d’autre pourrait fournir un compte rendu fidèle de l’ouverture du magasin pop-up pour bébés de Lidl, à deux pas du siège de RetailDetail ? Eh bien. Jolie boutique, avec un assortiment étonnamment vaste. Et un sac cadeau contenant des galettes de riz, des collations aux fruits et des lingettes humides. Si je voulais aussi un paquet de couches ? Merci mais non merci, je n’en ai heureusement pas encore besoin.
Fait marquant : alors que Lidl ne cesse d’élargir son offre dans ses supermarchés pour devenir un véritable « one stop shop », avec bientôt 2 600 références en rayon, son grand rival Aldi opte justement pour des magasins plus petits avec maximum 1 800 articles en rayon. Ce souci d’efficacité devrait permettre à l’inventeur du hard discount de miser encore plus agressivement sur les prix les plus bas. On prétend parfois gratuitement qu’il n’y a plus de hard discounters, mais regardez : il y en a un qui ne renie pas ses origines. Ça promet. À la semaine prochaine !