Nos joyeuses campagnes électorales et autres exercices poignants de réconciliation ne peuvent masquer le fait que le food-retail sert principalement à assouvir les accros au sucre et les camés au sel. Filet Pur démêle également une impressionnant écheveau d’applications quasi inutiles. À votre service !
Jeux de mots
Vous avez aussi vu ces affiches ? « Chateaubriand président », « Yes we canette », « Du blé pour tous »… C’est autre chose que Risotto pas très chérot. Car oui, ils ont remis le couvert : Delhaize et TBWA – les champions des jeux de mots foireux – ont à nouveau frappé, et ce, ce qui n’est pas une coïncidence, au moment où les politiciens nous promettent de pleines fournées de baisses d’impôts plus bas, d’augmentations des salaires, de boîtes à tartines mieux garnies et de congés en plus. C’est significatif : alors que le reste du monde s’enfonce dans la dépression, on a retrouvé le sourire à Kobbegem.
Car les Lions se portent mieux. Certes, nous ne savons pas encore à quel point – il est encore trop tôt pour tirer des conclusions hâtives. Mais quand même : les parts de marché ont retrouvé le niveau d’avant l’annonce fatale du 7 mars 2023. Les clients reviennent, et achètent davantage. Curieux de savoir d’où ils reviennent, d’ailleurs : ce ne sont quand même pas ceux-là mêmes qui criaient haut et fort qu’ils ne mettraient plus jamais les pieds dans un Delhaize l’an dernier, n’est-ce pas ? Frans Muller regarde le tout d’un œil approbateur : les marges doivent et vont encore augmenter en Europe.
Shitstorm
Si l’enseigne n’a pas souffert d’un exode massif pendant cette année de crises et de turbulences en tous genres, c’est grâce aux efforts incessants des RH, qui ont réussi à insuffler un sentiment d’appartenance et de connexion plus fort que jamais au sein du personnel. Julie Van der Heyden, talent director de son état, viendra expliquer comment elle a réussi ce tour de force au People & HR Congress de RetailDetail le 6 juin prochain. Mon avis : se retrouver ensemble dans une tempête de merde crée inévitablement des liens.
En attendant, ce qu’on n’est pas parvenu à réaliser à Gaza et en Ukraine est désormais un fait à Neckarsulm : un traité de paix a été signé. Plus précisément, entre le discounter Lidl et Haribo, producteur de gommes addictives aux couleurs vives qui tentent de se faire passer pour des fruits. Le fabricant d’oursons a refusé de fournir le hard-discounter pendant plus d’un an pour cause de désaccords sur les conditions d’achat. Mais voyez-vous ça : les deux parties ont fini par trouver un accord. En général, les experts affirment alors qu’un tel conflit ne fait que des perdants : Lidl a perdu en fair share dans le rayon confiserie – les consommateurs n’aiment pas sa marque de distributeur – et Haribo a perdu des ventes au profit de son rival Katjes. Bref, il y a donc un gagnant. Ils s’en remettront.
Astucieusement déguisé
Dans la même veine malsaine, PepsiCo a annoncé que deux millions de sachets de chips par jour ne suffisent plus à satisfaire l’addiction croissante des consommateurs au grignotage. Cette usine déjà immense va encore s’agrandir. Cela tombe bien, car les journaux n’ont-ils pas publié une nouvelle interview de l’un de ces empêcheurs de tourner en rond accusant l’industrie alimentaire de pratiques criminelles flagrantes ? Hé oui : Teun van de Keuken, le créateur de Tony’s Chocolonely, a sorti un nouveau best-seller. Il y raconte à peu près la même histoire que dans son précédent, mais sous un titre plus percutant : De mens is een plofkip, L’être humain est un poulet gonflé aux hormones en VF. Le pitch : l’industrie alimentaire nous rend malades par pur appât du gain. D’accord. Commencer par rendre les consommateurs accros à du chocolat certes plus ou moins équitable, mais aussi beaucoup trop sucré, puis pointer du doigt 80 % de l’assortiment des supermarchés ? Pour Teun, cela ne pose manifestement aucun problème.
Heureusement, il y a des food-retailers qui montrent l’exemple, avec de belles promesses de durabilité comme « mieux manger, c’est mieux vivre ». Nous sommes sauvés. En tout cas, c’est ce que je pensais jusqu’à récemment. Jusqu’à ce que je garnisse mes tartines au blé complet d’une de ces salades fermières d’Albert Heijn, en fait. Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Aurais-je ouvert un sachet de Haribo dans ma légendaire étourderie ? Mais non, c’était bien des carottes, du chou et du céleri-rave. Mais aussi 7,5 % (!) de sucre. Allez Bébert, on ne peut plus appeler ça des sucres « cachés », n’est-ce pas ? Il s’agit purement et simplement de bonbons, astucieusement déguisés en légumes sains.
Empreinte numérique
Teun a donc raison : je me préparerai mes salades moi-même, désormais. Et je vais même être payé pour ça. Par Carrefour, plus précisément. Sans même devoir faire mes courses à un Hyper ou à un Market. Il suffit que je partage une photo de ma création culinaire dans la nouvelle application Coco by Carrefour. Comme, par exemple, une salade de légumes passés à la mandoline. Accompagnée d’une mayo végane maison, histoire d’impressionner la génération TikTok. Facile. Sans sucre. Nutri-Score AAA ! Cela me rapportera facilement 8 centimes, en plus d’une avalanche de likes. Bel exemple de gamification sur mesure pour un groupe cible qui ignore souvent les supermarchés, et les marques peuvent sponsoriser. Succès garanti.
Même si j’ai donc maintenant – si je compte bien – pas moins de six applications Carrefour sur mon smartphone. Car en plus de l’application générale associée à mon compte Bonus, j’ai aussi téléchargé SmartScan, Fast Delivery, Buybye et Reeborn. Sacrée empreinte numérique : l’administration en serait jalouse. Mathieu Michel siègerait-il au conseil d’administration du groupe ? Je poserai la question à mon prochain passage à Zaventem. À la semaine prochaine !