Mettre des buts aux frais d’autrui : Frits peut le faire, Jef le fait, Albert l’avait dit, bordel ! Une semaine riche en occasions immanquables dans le food-retail. Filet Pur ouvre grand le piège du hors-jeu.
Imparable
Profiter des campagnes de marketing d’autrui sans dépenser un rond : chez Jumbo et Colruyt, ils maîtrisent la tactique à la perfection. Payer la fédération de football – sans parler de l’UEFA – pour avoir le droit de mettre des buts grâce à l’Euro ? Vous avez perdu la tête ? Exact. Chez nos voisins du nord, le Péril jaune propose donc une « cape de supporter » orange (ne me demandez pas les détails) et fait appel au célèbre groupe de bal Snollebollekes pour une chanson que je n’écouterai sous aucun prétexte sur YouTube ou Spotify. Il faut savoir conserver un minimum de dignité.
Tout cela n’était pas (et n’est toujours pas) du goût d’Albert Heijn, partenaire officiel de la fédération néerlandaise de football et en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, seul food-retailer autorisé à irriter les supporters néerlandais avec des publicités orange vif pour l’Euro. Ils ont donc engagé un cabinet d’avocats hors de prix pour envoyer des lettres de menace à la fois à l’ennemi juré et aux grosses huiles de la fédé. En vain : à Veghel, ils sont assez malins pour éviter les références directes au tournoi comme s’il s’agissait d’un périmètre de sécurité autour d’une usine 3M. Avec une telle cape, on peut encourager qui on veut. Imparable.
Ruses
Bon, Bebert n’est pas en reste : il n’a pas hésité à recycler le célèbre Binneuuuh hurlé à chaque but des Diables par Frank Raes, le commentateur vedette de la VRT, sans rémunérer ledit Frank. « Il aurait peut-être été élégant de notre part d’informer Monsieur Raes », a admis le retailer. Carton jaune, Albert ! Et ce n’est pas tout. Carrefour aussi peut se sentir lésé. L’enseigne française est le fidèle sponsor des Diables rouges depuis des années – ce qui pourrait devenir gênant si ceux-ci devaient rejouer un jour contre les Bleus, mais soit. Mais si les occupants de la tour d’Evere pensaient que ce statut leur conférait le droit exclusif de mettre sur pied des actions avec Romelu & co, ils en sont pour leurs frais.
À Halle, on a aussi des petits malins au département marketing. De sacrés dribbleurs. Des milieux hypercréatifs. Ils ont donc décidé de distribuer des maillots de football rouges à tous ceux qui dépensent suffisamment en produits gras ou sucrés qu’ils feraient mieux de laisser dans les rayons. De loin, ces maillots ressemblent vaguement à ceux des Diables, mais c’est aussi tout ce qu’il y a à en dire. Commandés sur AliExpress, sans doute. Beaux de loin, loin d’être beaux. Jeu dangereux ? Juridiquement parlant, il n’y a aucun problème – Jules Piler nous l’a confirmé.
Achetez
Quant à savoir si ces actions guérilla permettront à Colruyt de sauver l’honneur, c’est une autre question. Car Jef n’a pas vécu sa meilleure semaine. Depuis la suppression des dégustations, les choses vont de mal en pis pour le discounter. Ce sera sans doute le seul food-retailer à ne pas avoir tiré profit de la crise sanitaire. Un vilain tir croqué, ce rapport financier. Résultat : du rouge vif sur les tables de cotation. Ils auraient dû ajouter « Réaction concurrent » à côté. Je ne vais pas me mettre à donner de conseils boursiers, mais les actions Colruyt sont désormais nettement plus abordables. Et regardons les choses en face : le retailer continue à surperformer la plupart de ses collègues. Ils ont juste besoin d’être un peu plus précis en contre-attaque.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les marques des produits les plus mauvais pour la santé essaient de s’acheter une image sportive avec des promotions spéciales Euro. Frites, mayonnaise, chips, chocolat, soda, glaces, saucisses… Tant qu’ils contiennent une combinaison suffisamment létale de sucre, de sel et de graisse, ils resteront sur le terrain. Les grands bailleurs de fonds de l’UEFA ont-ils vraiment été surpris de voir le seul et unique CR7 mettre hors-jeu les bouteilles de Coca-Cola avec un « Buvez de l’eau » sans équivoque ? Pleine lucarne, Christiano ! Même si ces douceurs se retrouveront bientôt dans des bouteilles fabriquées à partir de plastique 100% recyclé.
Mauvais esprit
Vous savez le désormais : le futur de l’agro-alimentaire sera végétal ou ne sera pas. L’assortiment végan explose, mais la quantité ne fait pas la qualité. Et ce n’est pas nous qui le disons, mais le Financieele Dagblad – l’équivalent néerlandais du Tijd et de L’Echo. Morten Toft Bech, fondateur de l’entreprise britannique Meatless Farm, ne dément pas : « J’ai acheté un vegaburger Carrefour la semaine dernière. Il était si bon marché que je me suis dit qu’il fallait goûter. Horrible. Je l’ai donné au chien, et même lui n’en a pas voulu. » Le problème, poursuit-il, est que chaque supermarché essaie de commercialiser ses propres substituts de viande sous sa propre marque. « Pour eux, c’est plus rentable, mais c’est exactement là qu’ont commencé les problèmes avec la viande. » L’action est tranchante.
Chez Marcassou, on a compris : le saucisson des Ardennes est désormais respectueux du bien-être animal. L’entreprise de charcuterie a l’ambition un peu bizarre de vendre 50% de viande en moins. « Et quand nous en vendons, nous voulons vendre de la viande dont nous pouvons être fiers », a encore déclaré le directeur, qui n’exclut pas la possibilité de se lancer un jour dans la viande de culture. Chez Alpro aussi, on poursuit sans relâche sa quête d’un monde plus durable. Not MLK est exactement ce qu’il dit être : pas du lait, mais pour les amateurs de lait. Il ne faut y chercher aucune provocation, affirme le fabricant. Nous avons donc été signalés hors-jeu. Notre mauvais esprit, toujours…
Algorithme
Quoi qu’il en soit, ce ne sont que des feintes de corps à la lumière des deux nouvelles vraiment importantes du food-retail cette semaine. Tout d’abord, une belle passe en profondeur de Carrefour avec le déploiement mondial d’une plate-forme numérique assez impressionnante en matière de données clients, de personnalisation et les retail media. Oubliez la brochure (papier), proposez à vos clients des offres réellement personnalisées dans l’application. Un vrai marquage à la culotte… Le retailer imite Netflix avec un algorithme unique. La chose arrivera bientôt chez nous : nous vous en dirons plus la semaine prochaine.
Deuxièmement, le cyclisme en ville n’a jamais été aussi dangereux : alors que les riders de Deliveroo, Takeaway et Uber Eats continuent à jouer des coudes dans les rues, les coursiers pressés de Gorillas promettent aujourd’hui de livrer nos courses en moins de dix minutes. Plus rapides que Mbappé... Ils mettent ainsi le supermarché hors-jeu, puisqu’ils achètent leur propre assortiment. Leurs collègues de Getir, DingDong, Weezy et Glovo ne tarderont pas à suivre : après tout, il y a du capital-risque à lever. Puisque c’est évidemment leur seul objectif.
Vin de messe
Aussi dans l’actualité : un food-retailer a accompli en quelques semaines ce que des dizaines de papes, d’évêques et d’avocats de l’Église échouent à faire depuis des années. Oui, à présent que Delhaize veut ouvrir un magasin dans une église, la population de Gand se redécouvre catholique pratiquante. La moitié de la ville s’est lancée dans un violent gegenpressing. Sur les médias sociaux en tout cas. Le retailer est tout simplement en train de remplir les églises à lui seul. Ils ont certes décroché leur permis, mais celui-ci leur sera peut-être dans les arrêts de jeu.
Oui, il y a définitivement trop d’églises dans ce pays, et trop peu de croyants. Et il est impossible de transformer chaque église en galerie ou en musée. On en fait donc des logements, des lieux de travail et des salles de concert. Ou des magasins : au moins, on pourra y entrer sans réservation ni billet. Et y boire un verre de vin – et pas un misérable vin de messe. Enfin, si le centre de distribution n’est pas encore paralysé. C’était un sacré tackle des syndicats, mais avantage retailer : jouez, messieurs. À la semaine prochaine !
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