Tout opposait les réassortisseurs aux profiteurs cette semaine. Un beau morceau de journalisme de convoitise dans un Filet Pur qui, une fois encore, ne s’adresse pas au sensitivity reader.
Pied de nez
L’inflation a du bon : une aubaine pour les marques de distributeur, en effet. Et ce n’est pas nous qui le disons, mais l’association des fabricants de marques de distributeur. Des chiffres record sans précédent, paraît-il. Et rien ne laisse présager un revirement soudain : les marques gonflent leurs prix, alors que les détaillants alimentaires les urgent de ne pas le faire. Mais à quoi bon les écouter ? Des « je-sais-tout », ces managers des PGC avec leurs chaussures marron pointues et leurs costumes bleu vif. Ils laissent les intérêts de leurs actionnaires primer sur ceux des consommateurs. C’était prévisible, non ?
La seule issue à présent est une intervention musclée, ont-ils dû penser à Veghel. Ils l’ont bien cherché. C’est ainsi que Jumbo retire de ses rayons de nombreux produits Nestlé, le fabricant prévoyant une nouvelle augmentation excessive des prix. Dans le cas de Mars, cependant, c’est la multinationale qui fait un pied de nez : pas d’argent, pas de friandises, c’est aussi simple que ça. Pour l’instant, elle est encore clémente avec Jumbo : seule une poignée de produits est concernée. En revanche, elle ne livre plus aucun produit chez le leader du marché allemand, Edeka. Zéro virgule zéro références, contre 450 habituellement. Soit 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. La punition est sévère. Mais elle peut apparemment se le permettre, avec ses marges généreuses.
Impayable
En revanche, ce n’est pas la bière qui manque pour l’instant. AB InBev n’a jamais vendu autant de bière que l’année dernière, et ce malgré une Coupe du monde qui n’a pas donné des maux de tête qu’aux Diables rouges. Avec les hausses de prix, ces géants brasseurs s’en sortent toujours. Comment font-ils, d’ailleurs ? Mais les marges sont sous pression. Les pintes devraient donc être encore plus chères, finalement. On peut s’estimer heureux.
Qu’espérions-nous ? Que les prix commenceraient enfin à baisser un peu, peut-être ? Que nenni ! Outre les produits premium de marque A, même les simples légumes sont aujourd’hui impayables pour le citoyen lambda. Le chou-fleur est le nouvel or blanc. La tomate est en passe de devenir un produit de luxe décadent. Les frites surgelées ne sont plus servies qu’à Knokke. De quoi donc se plaignent les agriculteurs en colère ? Sans oublier les projets du ministre des Finances qui vont aussi faire augmenter le prix du panier en ajustant certains taux de TVA, fulmine Comeos. Vraiment ? En pratique, ça ne serait pas si mal, à en croire le journal. Ou alors, quelqu’un ne sait pas compter. C’est possible aussi.
Enrichissement malhonnête
Marteler que l’entreprise doit faire des économies à tous les niveaux et annoncer fièrement la semaine suivante une rémunération record : la palme d’or revient au PDG d’Ahold Delhaize, Frans Muller. Chapeau bas. Environ 6,5 millions d’euros : si ça ce n’est pas une prime vertigineuse. À côté de ça, le PDG d’AB InBev, Michel Doukeris, passerait presque pour un amateur avec ses 5,66 millions. 128 fois le salaire moyen, a calculé un magazine néerlandais. C’était le seul chiffre qui l’intéressait dans ce volumineux rapport annuel sur lequel le service de communication de Zaandam a travaillé pendant des mois. Voilà.
Un rapport habile de journalistes envieux, bien sûr. Quel esclave salarié moyen se considèrerait capable de maintenir la multinationale de distribution sur la bonne voie contre vents et marées, alors que tous les concurrents pataugent, impuissants, dans l’espoir de survivre à la tempête une année de plus ? Le PDG a atteint ses objectifs et reçoit donc la récompense convenue. L’enrichissement malhonnête, c’est pour les présidents de chambre à la retraite et les patrons de syndicat en fin de carrière. Qui, de leur propre aveu, gagneraient encore bien plus dans le privé. CQFD.
Ferme
Cela n’a pas arrangé les affaires des travailleurs qui, en échange d’une rémunération inférieure à la moyenne, veillent à ce que suffisamment de camions bien remplis rejoignent les magasins à temps, jour après jour. Certes. Toute personne qui se rend dans un Delhaize le voit : ils n’atteignent pas leurs objectifs. Si c’est à cause d’eux ou d’une gestion défaillante ? C’est une toute autre question.
Ces employés dévoués sont certainement tout aussi en colère que les agriculteurs. Les employés jusqu’ici habitués à manipuler avec soin des viandes fines et des repas sains devront désormais trimbaler de vulgaires sacs de pommes de terre dans ce dépôt de produits frais à Asse. Inacceptable, vous comprenez bien. « Si nécessaire, nous ferons grève pendant des semaines », ont fermement déclaré les responsables syndicaux au journal. Mouais. Ça n’aura pas duré plus de vingt-quatre heures.
Compassion
Un retrait stratégique et seulement temporaire des syndicats ? Possible. Après tout, la page est loin d’être tournée. Parallèlement, l’agitation monte aussi au siège et dans les magasins. Ils le voient venir depuis un moment. La patience de Frans et de ses acolytes envers ce petit frère belge attardé a ses limites, non ?
Après tout, les véritables décisions sont prises à Zaandam et nulle part ailleurs. Et qui donne les ordres, là-bas ? Des Hollandais dont du sang bleu clair coule dans les veines depuis le plus jeune âge. Ils regardent avec une certaine compassion l’incompétence de ce vieil appendice belge et préféreraient sortir leurs pinceaux dès demain pour simplement repeindre tout ce rouge, sans s’embarrasser d’une empathie excessive, et encore moins d’une connaissance approfondie du marché et du consommateur local.
Palpitant
Eh bien : Comme le disait à juste titre mon cher ami Niels Bohr, fondateur de la mécanique quantique : « La prévision est toujours très difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir ». Une petite objection pratique qui n’arrête que rarement notre Grand Timonier qui, jusqu’à nouvel ordre, n’a pas encore gagné de prix Nobel. Je ne vais pas mettre la charrue avec les bœufs, mais le printemps promet d’être palpitant.
Une perspective peu réjouissante pour bon nombre d’entre nous. Pour ceux qui souhaitent aborder le week-end dans la bonne humeur, je recommande vivement, une fois encore, la merveilleuse chanson Common People, dans une version live avec Steve Mackey à la basse, qui vient de nous quitter, bien trop tôt. Ou une parenthèse jazz pour les musicophiles exigeants, avec la légende malheureusement disparue hier, Wayne Shorter. Ou pourquoi pas les deux ? Deux pour le prix d’un ! À la semaine prochaine !