Des employés de supermarchés en grève, des délégués en colère, des acheteurs désemparés, des acheteurs corrompus et des fabricants de marques effrayés : tout n’est plus qu’agitation et nervosité. Heureusement, Filet Pur décortique le vrai du faux à cœur joie.
Règle d’or
Dialogue de sourds, selon le dictionnaire en ligne : « Discussion ou négociation entre deux interlocuteurs ou parties qui ne parviennent pas à se mettre d’accord, voire qui ne le veulent pas. » Tel fut exactement le scénario mardi matin à Zellik, où le PDG a brillé par son absence à la table de négociation avec les syndicats et où son personnel a tenté en vain de captiver les délégués avec une présentation PowerPoint soigneusement préparée. Quod non, qu’espéraient-ils ?
On peut comprendre le plan de restructuration qui ne devrait pas être appelé plan de restructuration et les émotions intenses des employés concernés. Mais tous les cours de communication de crise s’articulent autour d’une règle d’or : faire preuve d’empathie. Il faut se rendre à l’évidence : la direction de Delhaize n’a pas fait preuve de beaucoup d’implication ni d’une grande empathie. Ne devrions-nous pas en attendre davantage de titulaires d’un MBA bien rémunérés ? Ou suis-je encore une fois trop sévère ? Certes, il y a peu de bonnes façons d’annoncer une mauvaise nouvelle.
Surenchère
Si seulement ils ne s’étaient pas trompés dans leurs feuilles de calcul Excel. Delhaize a encore du pain sur la planche : les syndicats annoncent une bataille existentielle de plusieurs mois. Cela se traduit par des pertes de chiffre d’affaires considérables, mais aussi par l’élimination des coûts de main-d’œuvre élevés : dans les magasins déficitaires, c’est donc un bénéfice. Notre point de ralliement fiable en cas de petite ou de grosse faim, le magasin installé sous les bureaux de RetailDetail, dont le chiffre d’affaires hebdomadaire s’élèverait à 259 000 euros, est resté ouvert comme d’habitude malgré toute l’agitation, même si certains rayons semblent désormais plus vides que nos estomacs à l’heure du déjeuner. Comme à l’accoutumée, les grévistes sont majoritaires au sud de la frontière linguistique. Simple constatation.
Parallèlement, les candidats à la reprise se font pressants : ils sont près de 200 en lice, pour 128 supermarchés. Tant qu’ils ne visent pas tous les mêmes magasins, il s’agira d’une vente aux enchères. Les affiliés eux-mêmes sont désormais sollicités à longueur de journée par des investisseurs qui ne connaissent rien aux supermarchés mais qui veulent entrer dans le capital. Ça promet. Oui, il y a beaucoup d’argent dans le monde, mais il est réparti de manière assez inégale.
Calimero
216 millions d’euros : le chiffre d’affaires réalisé par Jumbo en Belgique l’année dernière. À en juger par l’enveloppe de Noël de 20 millions d’euros envoyé depuis Veghel, l’enseigne travaille avec une marge négative d’environ 10 % dans notre pays. Sur un chiffre d’affaires total de plus de 10 milliards, le Danger jaune ne conserve d’ailleurs que 80 millions, après impôts. Ça n’en vaut presque pas la peine. Et cela confirme simplement l’analyse précédente de notre Grand Timonier : Jumbo a certainement mieux à faire que de gaspiller son temps, son talent et son argent sur un marché où les bénéfices seront minimes pendant un long moment. Le groupe a largement de quoi s’occuper aux Pays-Bas. Jumbo go home !
En effet, en Belgique, nous sommes confrontés à une prolifération des magasins de périphérie en général et de supermarchés en particulier. C’est du moins ce qu’affirment les observateurs les uns après les autres dans les médias. Mais est-ce vrai ? Factcheck : depuis 2020, pas un mètre carré d’espace commercial n’a été ajouté. Comment cela est-il possible ? Les petits locaux obsolètes disparaissent, de grands et nouveaux locaux sont ajoutés. Et quoi qu’en dise Jumbo, les communes refusent rarement un permis. Pas besoin de jouer les Calimero, donc.
Mafia
Gagner et perdre en une semaine : c’est ce qui est arrivé aux partenaires Casino et Intermarché, aujourd’hui séparés, qui, à en croire de nombreux fabricants de marque, se sont rendus coupables de véritables pratiques mafieuses avec leur alliance d’achat INCA entre 2014 et 2018 : intimidations, extorsions, déréférencements, vous connaissez la chanson. Mais il n’est pas facile de prendre des escrocs si rusés en flagrant délit. En fait, les responsables de comptes clés devraient presque entamer les négociations avec une caméra cachée dans leur Rolex… Une idée à explorer ?
Parce que les conclusions de certaines perquisitions des suspects requises par la Commission européenne viennent d’être annulées en raison d’erreurs de procédure. Travail bâclé du gendarme antitrust. Classique. En France, les tribunaux ont adopté une autre position : extorquer de l’argent à de riches multinationales tels des Robin des Bois des temps modernes n’est pas toléré dans l’empire de Macron. La sentence est tombée : amende de quatre millions d’euros pour restriction de concurrence. Des clopinettes, non ?
Relax !
Et ce alors que les consommateurs n’ont plus de quoi payer leurs courses hebdomadaires : un Belge sur deux est en situation de stress financier. Par conséquent, ils achètent moins de marques A, ont appris à renoncer à l’apéritif, ne commandent presque plus de repas et n’envisagent plus de payer plus cher pour des produits biologiques et issus du commerce équitable. Nous en sommes là. C’est navrant.
Mais c’est dans les moments difficiles que l’on voit qui sont nos véritables amis. Colruyt Group vient volontiers en aide aux consommateurs stressés et aux employés surmenés de Delhaize. La nouvelle application de la pharmacie en ligne Newpharma apprend aux fauteurs de troubles agités à se détendre avec des exercices de yoga et de respiration. Pile au bon moment !
Et ce n’est pas tout : nul autre que Jef Colruyt a expliqué cette semaine à qui voulait l’entendre sa stratégie pour rester positif et résilient en période d’incertitude. Un webinaire auquel ont participé plus de 2 000 personnes intéressées. Cela prouve une fois de plus que dans ce pays de barbares, il n’y a qu’un seul PDG qui se soucie vraiment de la société (ou non, deux, sans quoi je négligerais presque injustement mon propre patron, imaginez). Et en plus, c’était gratuit ! Pas étonnant que les marges soient en baisse chez le leader du marché. À la semaine prochaine !