L’idée de la semaine : les consommateurs sont finalement un peu moins stupides et paresseux que nous le pensions. Et même s’il y a peu de raisons de faire la fête, nous n’échapperons pas à la gueule de bois, prédit Filet Pur. Qui va plier, et qui va rompre ?
No Future
Selon les observateurs des tendances, c’est à un Noël en mode mineur qu’il faut s’attendre ce week-end, avec un repas frugal et des cadeaux utiles, comme des pulls épais et des bouillottes. Les supermarchés confirment qu’il n’y aura pas de homard sur les tables cette année – une question de prix et de bien-être animal – et que le champagne cédera la place au prosecco chez les familles qui n’ont pas eu la clairvoyance de profiter des promotions 1+1 gratuit d’il y a quelques mois. Mais à Anvers, on se bousculait sur le Meir ces derniers jours – nous pouvons vous le confirmer de première main.
Un vélo de livraison Gorillas trône encore à The Loop, le centre d’inspiration inégalé de RetailDetail, où vous pouvez découvrir l’avenir du shopping. Ils ont simplement oublié de l’emporter avec eux quand ils quitté le marché belge la queue entre les jambes, je pense. Car le modèle économique des sociétés de livraison express ne s’est absolument pas avéré être l’avenir du food-retail l’année dernière. Getir, qui vient de racheter son concurrent berlinois pour une bouchée de pain, accumule les pertes.. C’est un métier, à ce qu’il paraît. Une folie, aussi.
Besoin inexistant
Le problème ? Des coûts géants et des marges minuscules, mais surtout : le quick commerce est une réponse à un besoin qui n’existe pas. Dans les villes où l’on trouve des supermarchés de proximité et des magasins de nuit à tous les coins de rue, qui a envie de payer pour quelque chose qu’il est possible de faire soi-même et gratuitement en cinq minutes ? Nous ne sommes quand même pas aussi stupides et paresseux… Les investisseurs enthousiastes et leurs consultants perchés dans leur tour d’ivoire semblent parfois l’oublier.
Se faire livrer des repas d’origines diverses dans la demi-heure ? Avec joie. Des courses, petites et grandes, livrées au pas votre porte, le jour même ou non ? Assurément. Demandez à Delhaize : jamais autant de clients n’ont eu aucune envie de subir la cohue de Noël dans les magasins cette année. Ou voyez Picnic, qui conquiert le nord de la France et veut s’attaquer à Paris l’année prochaine. Mais se faire apporter un sixpack de bières et un grand paquet de chips en dix minutes, moyennant un supplément non négligeable ? Pourquoi ?
Les chiffres ne mentent pas
Vous trouverez un Jumbo City à quelques pas des bureaux de RetailDetail. L’un des cinq supermarchés urbains de la chaîne qui subsistent dans tout le Benelux : le Péril jaune a déjà transformé les autres en supermarchés ordinaires, avec un assortiment un peu plus complet. Les chiffres ne mentent pas. Je passe devant plusieurs fois par semaine : il marche, mais sans recueillir un succès phénoménal à vue de nez. Comme la plupart des Jumbo de ce pays. Et ils paient un loyer dément pour cet emplacement de choix. Il ne sera jamais rentable, même dans cent ans. Un autre exemple d’argent jeté par les fenêtres.
C’est évidemment aussi un investissement marketing, mais un sacré investissement. On peut d’ailleurs se demander si la direction intérimaire, avec un homme de chiffres à la barre maintenant que Frits a fait un pas de côté, ne va pas jeter un regard très critique sur toutes ces activités, histoire de redéfinir les priorités. Et ils auront pas mal de boulot aux Pays-Bas, où la belle mécanique a tendance à se gripper alors qu’une vague de consolidation déferle sur le secteur. L’acquisition d’Hema n’est pas un cadeau (même si les résultats sont bons la Belgique) et ils ont déjà sous-traité les opérations de La Place. La conquête de la Flandre coûte une blinde. Pour quelles perspectives de rentabilité ? Je pose juste la question. S’ils veulent filer à l’anglaise comme leur partenaire de livraison qui a fait flop, ils ne doivent pas attendre trois ans.
Scrupules
Vous avez encore jusqu’à vendredi prochain pour rendre une toute dernière visite à un fossile de la grande distribution qui ne survivra pas à 2022. Makro n’ouvrira pas le 31 décembre – et l’année prochaine non plus. Le calvaire des employés a assez duré. Pour vous, nous sommes revenus sur cette longue agonie, depuis les premières rumeurs de vente en janvier jusqu’aux derniers soubresauts en décembre. Triste histoire. Et puis nous découvrons via-via de mails d’ex-managers sans scrupules qui réclament des bonus colossaux au motif qu’avant de prendre la poudre d’escampette, ils avaient atteint leurs objectifs. Sans blague.
Les employés n’auront ni bonus ni fête d’adieu, mais pourront attendre le verdict final – liquidation ou faillite – chez eux, près du sapin de Noël. Car même sur ce point, les propriétaires et la direction entretiennent un flou total. Ils ont sans doute de bonnes raisons juridiques – et surtout financières – de le faire, mais quand même. À ce propos, nous en saurons plus à la mi-janvier. Mais pas encore sur ce qu’il adviendra des immeubles abandonnés. De nombreuses rumeurs circulent, en tout cas. Aussi cynique que cela puisse paraître : Makro a été une aubaine pour RetailDetail en 2022, du moins en termes de clics. En ce qui nous concerne, la saga pourrait se prolonger un certain temps en 2023.
Petits malins
Voyez-vous ça ! Sacrés retailers ! Pendant toute l’année, les enseignes de supermarchés ont rué dans les brancards parce que les marques A, qui sont après tout des piliers indispensables de toute l’industrie du FMCG, ont voulu appliquer des augmentations de prix tout à fait justifiées et nécessaires. Et leur ont opposé un niet catégorique. Et qu’apprend-on aujourd’hui ? Que ce petits malins, entre leurs soi-disant promotions pour protéger le pouvoir d’achat de leurs clients, ont subrepticement augmenté le prix de leurs propres produits de marques de distributeur – et pas qu’un peu : de plus de 10%, soit plus du double de ce que les marques ont réussi à faire passer à obtenir.
Qu’ils viennent encore pleurer sur leurs marges. Ah, ils ont une explication ? Ces marques de distributeurs étaient très bon marché, et ils ne gaspillent pas leur argent dans des spots télévisés coûteux et des campagnes de promotion impayables. Ils ne doivent pas non plus payer de listing fees et autres contributions pour apparaître dans les folders. Résultat : les matières premières, les salaires et l’énergie représentent une part proportionnellement plus importante du coût et donc du prix de vente. Reste que plusieurs références de marques de distributeur semblent avoir été en rupture de stock plus souvent qu’à leur tour ces derniers mois, ce qui peut laisser à penser que les négociations avec ces partenaires privilégiés ne se sont pas toujours bien déroulées non plus.
Tsunami
Rassurez-vous : ces produits seront encore plus chers l’année prochaine. Car si les prix des matières premières baissent un peu, ceux de l’énergie et les salaires continuent à augmenter. C’est comme ça. Ces fêtes en mode mineur seront suivies d’une solide gueule de bois. Ce fut une sacrée année dans les rayons, comme nous l’avons souligné dans notre traditionnelle rétrospective FoodRetail peut-être pas tout à fait complète, mais assez étendue. Et les dommages collatéraux ne sont pas à négliger : les réserves financières s’épuisent, chez tout le monde.
Les plus faibles en tête : après les boulangeries et les restaurants, les premières supérettes ferment déjà leurs portes, et le véritable tsunami est encore à venir. Pour l’instant, les franchiseurs font encore semblant de rien, mais les indépendants – comme les petits producteurs alimentaires – seront les premiers à en payer le prix. Notez-le bien : en 2023, ce sera plier ou rompre pour beaucoup d’acteurs du retail.
Filet Pur prend deux semaines de vacances et vous souhaite de chaleureuses fêtes. Et aussi beaucoup de bonne humeur, nous en aurons besoin. À l’année prochaine !