Un pavé, des gens qui passent à la caisse, des CEO en danger et les nouveaux fossoyeurs du food-retail : tels sont les ingrédients d’un nouveau Filet Pur bien juteux. Livré avec soundtrack. Prêt pour un petit karaoké ?
« Some guys have all the luck »
C’est terrible. Pendant des mois, les Investor Relations se coupent en quatre pour que tout soit nickel jusque dans le moindre détail. Et livrent superbe pavé de 253 pages. Un volumineux rapport annuel farci de détails fascinants sur la mission, la vision, la stratégie, la création de valeur, l’engagement et la durabilité du groupe. Sans oublier tous les résultats financiers, bien sûr. Et qu’est-ce que ce pisse-vinaigre de Belga a retenu de ce superbe ouvrage ? Exactement : un simple chiffre, partagé quelques minutes plus tard par tous les journaux et périodiques du Benelux. Y compris par vos serviteurs, évidemment – pourquoi s’en priver ?
Le salaire de Frans Muller, le patron d’Ahold Delhaize. En plus de son fixe non négligeable, l’homme a reçu pour un total de cinq millions d’euros de bonus l’an dernier, ce qui lui a permis d’empocher la modique somme de 6,024 millions d’euros. C’est donc ça, « passer à la caisse » ? Le montant correspond à 120 fois le salaire moyen du groupe de supermarchés, a même été jusqu’à calculer quelqu’un. Le virus lui a permis d’atteindre aisément ses objectifs cette année. Du pain béni pour des Unes bien populistes, mais la réalité est évidemment que ces bonus ont été négociés en toute transparence bien avant le déclenchement de la pandémie. Monsieur Muller n’y est pour rien : il a juste eu de la chance.
« Some guys have all the pain »
Et tout le monde n’est pas aussi verni. Dans les magasins, les salariés doivent évidemment se contenter de beaucoup moins, mais les fidèles investisseurs aussi restent eux aussi sur leur faim : en Bourse, l’action souffre. Logique : tout le monde sait que face à un si grand cru, les résultats de 2021 feront inévitablement pâle figure. Chez Danone aussi, la création de valeur est depuis un certain temps comparable à celle d’un yaourt très maigre. Le coupable n’a pas été difficile à identifier : celui qui porte la double casquette de président et CEO s’intéresse manifestement plus à la planète qu’au bilan.
Les actionnaires ne le toléreront plus bien longtemps. La durabilité est bien mise en valeur dans le rapport, mais l’essentiel à leurs yeux reste le rendement. Emmanuel Faber doit donc faire un pas de côté : il peut certes conserver son poste honorifique de président, mais son rôle de CEO est terminé. Les investisseurs activistes veulent un manager, pas un philanthrope. Un scénario similaire s’est déroulé il y a quelque temps chez Unilever, où le généreux Paul Polman a dû laisser place à un homme plus pointilleux sur les chiffres. On peut aussi se demander si le maître-brasseur Carlos Brito restera encore longtemps à la tête d’AB InBev : son successeur a déjà entamé son échauffement. On savait aussi que Ter Beke était à la recherche d’un nouveau patron. Le groupe agroalimentaire a essuyé sa première perte depuis la crise de la dioxine. Francis Kint n’a définitivement pas de chance, lui qui a dû faire face à une contamination à la listeria et au coronavirus – entre autres. Il pourra partir en vacances le 30 juin.
« Some guys get all the breaks »
Parfois, il suffit de se trouver au bon endroit au bon moment. Et le bon endroit, en ce moment, c’est le bio. Une croissance du chiffre d’affaires de 15% et de nouveaux clients qui reviennent : Luc Dossche – le CEO de BioFresh, propriétaire des magasins Origin’O et Ekoplaza – n’est pas à plaindre. Parfois, une crise a du bon, conclut-il sobrement. Les plus anciens s’en souviennent : la crise de la dioxine avait déjà été une bénédiction pour le secteur du bio. Il dévoilera tous ses projets pour cette formule importée des Pays-Bas la semaine prochaine au RetailDetail Food Congress.
L’entrepreneur Jan Peeters y prendra aussi la parole. Un autre qui a le sens du timing : il a sauté dans le train Albert Heijn au bon moment et depuis, celui-ci s’est transformé en TGV. Cinq nouveaux magasins par an – dont le premier AH XL du pays –, plus quelques KFC, quelques boucheries et une grande nouveauté qu’il dévoilera jeudi. À ne pas manquer. En revanche, il n’a rien à voir avec les petits magasins de bureau sans personnel que Bébert compte également déployer en Belgique. Au fait, la petite usine à promotions bleue était sur tous les fronts cette semaine : désormais, vous trouverez également des jobs dans ses rayons.
« Some guys do nothing but complain »
Tout cela n’empêche pas que le food-retail fait irrévocablement fausse route. Le secteur est condamné. Les supermarchés se réjouissent de cette croissance de 10% en 2020 ? Bande de losers ! Chez HelloFresh, la croissance, c’est 111% – et ce n’est pas une faute de frappe. Les bénéfices ont été multipliés par dix. Le plan de bataille pour cette année inclut l’introduction de nouveaux produits, avec notamment des salades, des soupes, des desserts et des plats préparés. Dominik Richter est un homme en mission : rendre le supermarché superflu. Et il n’est pas le seul : Tom Peeters, le fondateur du supermarché en ligne Crisp, a exactement la même ambition et il reçoit des tonnes d’argent pour réaliser son rêve. Vous êtes prévenus.
Jeff Bezos est également sur le sentier de la guerre – pour les quelques mois qui lui restent avant sa retraite. La technologie « Just Walk Out » avec laquelle Amazon veut révolutionner définitivement le food-retail a atterri à Londres. De longues files d’attente se sont formées devant les portes du magasin, mais pas à la caisse. « On a un peu l’impression de voler dans les rayons », a déclaré un client. « L’environnement est quand même très froid », a critiqué un expert de la grande distribution. Ben oui. Certains ne sont jamais contents. En attendant, les supermarchés traditionnels se contentent de partenariats avec Deliveroo pour faire livrer leurs produits à leurs clients. C’est ça, l’avenir ?
Je l’avoue, j’ai puisé mon inspiration dans une bonne vieillie scie des merveilleuses années 80. Avec laquelle Rod Stewart a décroché le jackpot, et ce n’était pas la première fois. Lui savait ce que signifie, « passer à la caisse » ? Dans ce domaine, Frans Muller ne lui arrive pas encore à la cheville. En termes de jolies blondes inscrites à son tableau de chasse non plus, à notre connaissance. Alors, qui est à plaindre ? Bon, c’est déjà l’heure de l’apéro ? À la semaine prochaine !
Vous souhaitez recevoir chaque vendredi un résumé de l’actualité FMCG dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous ici pour recevoir la newsletter gratuite de RetailDetail Food.