Les dirigeants du retail se prennent pour des sélectionneurs, les sodas nuisent à la santé, le café vendu dans les supermarchés est infâme et la fausse viande est aussi de la viande. Mais pourquoi le fier leader du marché revient-il à des recettes d’un passé lointain ? Vous le découvrirez dans un Filet Pur bien saignant !
Mauvais amis
Combien de personnes se sont étouffées avec leur sandwich gouda (aux Pays-Bas) ou américain (ici) mercredi dernier à l’heure du déjeuner ? Si nos voisins d’outre-Moerdijk connaissaient quelques mots de français, ils se seraient exclamés « coup de théâtre ! ». Pourtant, ce départ de Ton van Veen n’est pas une surprise totale : il y a deux ans, il était revenu de sa retraite, à contrecœur certes mais toujours avec la même dévotion, après que son successeur a été discrédité par de mauvais amis. Mais il était écrit dans les étoiles que ce retour ne durerait pas dix ans.
Il y a quinze jours, le CEO présentait encore à la presse réunie à Veghel les résultats annuels décevants de Jumbo comme le prélude à une nouvelle ère de croissance effrénée. Et aujourd’hui, il part car : « Les fondations sont là. » Cela me rappelle quelque chose : « 90% du travail est fait », vous vous souvenez ? Ton van Veen, c’est donc le Georges Leekens du foodretail néerlandais.
On ne peut pas dire que la promesse d’un « Jumbo tel que Jumbo est censé être » ait été pleinement tenue – on peut aussi se demander si ce Back to the Future est une stratégie intelligente – mais avec l’adhésion aux alliances d’achats Everest et Epic Partners, une nouvelle stratégie de marque propre et une restructuration du siège, on ne peut pas reprocher à Ton un manque d’activité.
Mauvais café
Et maintenant ? Les spéculations sur son successeur se multiplient. Il ne s’agit plus de dénicher une spécialiste en restructurations : Jumbo a de nouveau besoin d’un leader inspirant et charismatique, une sorte de Frits van Eerd, mais sans les frasques. Le fait que les CEO de Lidl et de Spar Pays-Bas aient également quitté leur poste la semaine dernière ne risque-t-il pas de déclencher un grand jeu de chaises musicales ? Ou faut-il plutôt parier sur Saskia Egas Reparaz, la directrice de HEMA ? Qui vivra verra.
Quoi qu’il en soit, Jumbo maintiendra le cap, a déclaré Colette Cloosterman-van Eerd au nom de la famille propriétaire de la chaîne. Peut-on en déduire que les rayons vides pour cause de boycotts vont perdurer ? Avec Red Bull et Pringles (Kellanova), le distributeur a entre-temps fait marche arrière.
Pas encore avec JDE Peet’s, mais à qui manque vraiment Douwe Egberts ? Personne, pas vrai ? Ce café torréfié à l’excès est à peine buvable. « Infâme », même. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais Rob Berghmans, le fondateur de la chaîne de bars à café Caffènation, à la suite d’un test de dégustation à l’aveugle dans Gazet Van Antwerpen et Het Nieuwsblad : « Ils devraient avoir honte. » Non pas que le café dessert Boni de Colruyt s’en tire mieux : « Très mauvais. Goûte le charbon. » Si tu le dis, Rob.
Meilleure copie
Ben oui, les consommateurs paient pour la marque même quand le goût ou la qualité ne justifient pas vraiment le supplément de prix. On en avait déjà eu la démonstration une semaine plus tôt dans une comparaison de cocas zéro parue dans les mêmes journaux : la copie éhontée de Lidl a obtenu le score le plus élevé, alors que l’authentique Coke Zero a à peine eu la moyenne. Mais ce n’était pas la raison du rappel massif de Coca-Cola cette semaine : il s’agissait plutôt de niveaux excessifs de chlorate, qui ne constitueraient toutefois pas un danger pour la santé publique. Le fait que cette contamination qui datait de la fin du mois de novembre n’ait été détectée qu’à la mi-janvier et n’ait donné lieu à un rappel que dix jours plus tard est plutôt rassurant. Sans blague…
En parlant de copies éhontées, la Justice française a décidé cette semaine que la fausse viande pouvait aussi être appelée viande, ou plus ou moins. Le steak de soja peut continuer à s’appeler steak de soja, et il n’y a rien à redire concernant le lard végétal – hormis le goût, évidemment. Cette belle victoire du secteur végétarien sur le lobby de la viande – qui n’était finalement pas si surpuissant – et le populisme opportuniste de certains responsables politiques clôturait en beauté le Veganuary. Quoi de mieux qu’une belle entrecôte grillée pour fêter ça, diront les esprits malicieux.
Mauvais caractère
Le retail et l’horeca n’ont pas toujours été une combinaison gagnante, mais au moins deux retailers y croient fermement. Carrefour y voit une bonne occasion de rentabiliser les mètres carrés bien trop chers de ses hypermarchés bien trop grands en en louant quelques recoins à Prego !, le passe-temps d’Yvan Verougstraete qui doit manifestement s’ennuyer un peu au Parlement européen. Les commentaires en ligne sont en tout cas très élogieux pour ce traiteur italien de qualité, mais l’enseigne continue à se refuser à la Flandre (pour l’instant ?).
Colruyt, de son côté, se lance dans un test intéressant, avec une gamme de dépannage pour l’horeca dans deux supermarchés. Parce que ces quatre Colruyt Professionnels peinent toujours à décoller ? Si j’avais plus mauvais caractère, je pourrais faire remarquer avec sarcasme que les ambitions B2B du retailer s’assimilent à du « Colruyt tel que Colruyt est censé être », puisque l’entreprise a commencé comme vendeur en gros d’articles coloniaux, ses magasins ont toujours ressemblé à des entrepôts pour grossistes, et le leader du marché ne semble pas avoir l’intention de gâter ses clients retail avec des emballages plus petits et une meilleure expérience en magasin. Mais vous me connaissez : je ne suis pas si perfide.
Mauvais goût
Je suis même l’empathie incarnée, vous le savez. J’ai donc une petite pensée pour les clients d’Alost et de Bruges Saint-Pierre qui devront désormais faire la queue encore plus longtemps derrière des caddies plats surchargés dans les allées étroites des magasins et aux caisses. Il faut bien faire quelques sacrifices pour bénéficier des meilleurs prix. Courage à vous !
Enfin, je ne voulais pas vous priver du dernier coup d’éclat de Lidl aux Pays-Bas. Dans son folder, le discounter lance une véritable semaine belge avec des gourmandises traditionnelles comme des gaufres, des chicons au gratin et de la mayonnaise au citron. Rien de particulier, pourriez-vous penser. Mais qu’est-ce qui fait aussi partie de l’héritage gastronomique de notre chère Belgique selon le retailer ? Tenez-vous bien : la pizza surgelée… aux frites (françaises). Soit deux monstruosités en une seule et même promotion. Non, le mauvais goût commercial n’a pas encore atteint ses limites.
Cela rassurera certains, mais c’est malheureusement la triste vérité, pour terminer avec les paroles d’une ancienne grande dame de la chanson. Bon, je fonce faire des crêpes. Pas vous ? À la semaine prochaine !