Chiffres étonnants, campagnes de relations publiques rusées, pratiques mafieuses lâches, augmentations de prix exorbitantes et grévistes désespérés : Filet Pur révèle l’amère vérité et découvre au passage le Harry Potter de la distribution alimentaire belge.
Bonne chance
Augmenter son chiffre d’affaires de 91 millions d’euros avec 89 magasins en moins : Carrefour Belgique l’a fait. Enfin débarrassés de cette pagaille et bonne chance, Mousquetaires ! Une croissance des ventes sur base comparable de 9,9 % : ça faisait longtemps. Une croissance alimentée par la hausse des prix, mais également l’augmentation des volumes. Cette performance doit toutefois être nuancée : il y a un an, les rayons étaient tout bonnement vides en raison de problèmes logistiques persistants, vous vous souvenez ? Avec une base de comparaison aussi faible, la croissance est un peu plus facile.
En outre, Carrefour a reçu un coup de pouce de ses sympathiques concollègues de Delhaize, ou du moins de leurs syndicats : les magasins de Bruxelles, en particulier, ont enregistré des ventes record en mars à la suite des grèves chez son concurrent. Il n’en reste pas moins que le groupe a également progressé aux mois de janvier et de février et avait déjà entamé une reprise au troisième trimestre de l’exercice déficitaire 2022. Même les hypermarchés enregistrent à nouveau des chiffres de croissance, même si cela semble totalement contre-nature. Les hypermarchés sont peut-être déjà les cathédrales de la distribution alimentaire, qui va encore à l’église ? On en viendrait presque à soupçonner Geoffroy Gersdorff de détenir des pouvoirs magiques. Le Harry Potter de la distribution alimentaire, mesdames et messieurs ! Il lui suffit de crier « Diminuendo ! » pour que les problèmes se réduisent comme peau de chagrin. Chapeau bas !
Le service, c’est surfait
Bien qu’il n’hésite pas à donner son avis : les coûts salariaux élevés dans les hypermarchés sont tout simplement intenables. Dites-nous quelque chose qu’on ne sait pas, Geoffroy ! Mais vendre les magasins intégrés à des opérateurs indépendants n’est actuellement pas une option pour le sorcier. « Actuellement », précisons-le bien. Il préfère peut-être ne pas ouvrir la porte à des mois de grève et de blocages. Qui lui jetterait la pierre ? Mais si Delhaize réussit à faire passer ce plan diabolique de franchisage d’ici à la fin de l’année, qui arrêtera les concollègues ?
Pour l’instant, le détaillant se limite cependant encore à des économies classiques : c’est maintenant aux clients de retirer les suremballages, les employés n’ont pas le temps de le faire. Le service, c’est tellement surfait.
Là où ça fait mal
Si Carrefour renouera avec les bénéfices cette année ? Cela dépendra en partie des militants de Delhaize. Ils sont fatigués et, surtout, sans le sou. Et inquiets des menaces d’astreintes par un huissier. La situation est telle que le détaillant ferme lui-même certains magasins. Où sont les piquets de grève quand on en a besoin ? Certains grévistes en colère sont apparemment dépassés. Cela pourrait bien tourner à la guérilla. Mais « la violence est le dernier refuge de l’incompétence », comme l’a si bien dit Isaac Asimov. Le coup de l’huile de moteur n’est pas non plus la chose à faire.
Entre-temps, les syndicats maintiennent fermement qu’ils continueront à faire pression sur leur employeur préféré à coups d’actions ciblées. C’est ce qui est apparu ces derniers jours, avec un énième blocage du centre de distribution de Zellik. Changement de stratégie, sourit un délégué dans le journal. Les frapper là où ça fait mal. Avec des rayons des magasins affiliés vides à l’approche d’un long week-end, par exemple. Ces 200 acheteurs potentiels seraient-ils toujours aussi enthousiastes ? Comme si le détaillant avait besoin de piquets de grève pour mettre l’approvisionnement de son magasin sens dessus dessous. Il le fait très bien tout seul.
Récupération rapide
Parallèlement, c’est la panique chez Aldi, où les chiffres virent désespérément au rouge. Maintenant que les membres de la famille ont trouvé un terrain d’entente, les managers sont défaillants. Bref, il y a toujours quelque chose… Le patron, Torsten Hufnagel, sort l’artillerie lourde : la plus grande restructuration de l’histoire, promet-il. Le rapprochement entre le nord et le sud est mis en pause, il faut d’abord redresser les comptes. Toute l’entreprise est chancelante. Mais pas en Belgique, assure la direction. Les chiffres restent cependant strictement confidentiels.
En revanche, le grand rival Lidl a mis au point une stratégie astucieuse pour effacer les pertes record enregistrées l’année dernière : faire baisser les prix. Il doit bien y avoir un raisonnement ingénieux derrière cette décision, mais quel est-il ? Filet Pur peut vous le dire : ces 250 produits, ce n’est pas une affaire de guerre des prix mais de relations publiques. L’investissement a déjà porté ses fruits, puisque tous les médias en font état. Y compris votre source d’informations sur le commerce de détail préférée, bien sûr.
Toujours plus haut
Le contraste avec les fabricants de marques ne pourrait pas être plus grand. L’inflation est peut-être en légère baisse, mais pas pour les denrées alimentaires. Voyez plutôt : le prix du Coca-Cola a augmenté de 20 % et les consommateurs n’en ont pas bu une goutte de moins. Glups. Danone maintient également son niveau de ventes, malgré une augmentation du prix des yaourts de 10 %. Même chose chez Nestlé, qui se sépare (en partie) de ses pizzas surgelées. Unilever nie en bloc profiter de l’inflation pour augmenter ses marges : la multinationale affirme qu’elle ne répercuté « que » les trois quarts de l’augmentation des coûts. PepsiCo, en revanche, se satisfait du statu quo : les prix n’augmenteront plus cette année, ou du moins pas trop.
D’ailleurs, ces fabricants de marques n’augmentent pas leurs prix pour le plaisir, ni même pour satisfaire leurs actionnaires. Non, tout ce qui les intéresse, c’est l’avenir de notre planète. Atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, cela demande des fonds. Car si nous devons compter sur les détaillants, nous n’y arriverons jamais. Ils sont trop occupés à se détruire les uns les autres, mais aussi à détruire leurs fournisseurs. Et donc, par extension, le monde entier.
Pratiques mafieuses
Le véritable problème, finalement, ce sont les maudites alliances de détaillants qui n’existent que pour soutirer de l’argent aux fabricants, sans apporter de contrepartie significative. Des propos qui ne viennent pas de nous mais de l’association des fabricants de marques, qui compte sur la Commission européenne pour mettre un terme une fois pour toutes à ces pratiques mafieuses. Nous sommes curieux.
Quoi qu’il en soit, une enquête est en cours sur trois alliances d’achats qui n’en seraient pas vraiment. Notamment AgeCore, a indiqué Colruyt. Juste pour que vous le sachiez. Quant aux deux autres, vous avez certainement une petite idée, non ? C’est ce que je pensais. Profitez bien du long week-end et à la semaine prochaine !