Ne croyez jamais un food-retailer, et encore moins un fabricant de marque : les Belgique ont presque autant confiance dans les acteurs de la grande distribution qu’en leurs responsables politiques. Ça promet. Mais ce numéro de Filet Pur aussi déforme allègrement les faits – à ce niveau, vous pouvez nous faire totalement confiance.
Monstre du Loch Ness
Une « mission d’enquête » : c’est ce que la Commission européenne s’apprête à lancer sur l’insistance du secteur du retail uni et des ministres de l’Économie de huit États membres pour mettre enfin un terme à ces restrictions territoriales de l’offre qui coûteraient quelque 14 milliards d’euros par an aux consommateurs européens mais dont seuls AB InBev et Mondelez ont officiellement été reconnus coupables à ce jour – alors que toutes les chaînes de supermarchés, quelle que soit leur taille, affirment haut et fort qu’elles sont pratiquées par toutes les multinationales.
Selon les fédérations de marques en revanche, ces prétendues murailles commerciales existent autant que le monstre du Loch Ness. Aussi, lorsqu’elles disent « accueillir favorablement » une telle enquête dans un communiqué de presse, la cause est entendue : cette mission d’enquête n’est qu’un euphémisme pour « mise au frigo jusqu’après les élections », après quoi une nouvelle Commission se fixera d’autres priorités. Margrethe Vestager viendrait d’ailleurs de commander un de ces T-shirts « Ik moet just niks » (Je n’ai aucune obligation).
Opinion
Pas étonnant que la confiance dans notre merveilleux secteur alimentaire ait plongé à des profondeurs abyssales. Les Belges s’interrogent ouvertement sur la sécurité, la santé et la durabilité de leur alimentation. Bon, qu’une majorité n’ait pas une trop haute opinion des autorités, on le savait, mais les restaurants, les retailers et les fabricants ne jouissent pas non plus d’une confiance sans bornes, au contraire. Tout le monde est busé : seuls les agriculteurs bénéficient encore du soutien de plus de la moitié des consommateurs. Peut-être par crainte de la visite d’un tracteur avec un chargement de lisier.
Alors que l’on pensait que les prix baisseraient un peu malgré les pratiques mafieuses des marques, il s’avère que l’inflation repart dans la mauvaise direction. Et si l’huile d’olive était déjà impayable, le jus d’orange risque lui aussi de disparaître des rayons en raison d’une sécheresse au Brésil et d’ouragans en Floride. Les consommateurs vont-ils recommencer à remplir leur caddie ? Oubliez. La pluie incessante pèse sur la consommation. Le barbecue reste dans l’abri de jardin et il y a peu d’autres raisons d’acheter des litres de cava ou des cubis de rosé. Sans parler des apéritifs.
S’évader
Un retailer m’a confié cette semaine qu’un autre facteur n’était pas à négliger. En raison du nouveau calendrier scolaire dans l’enseignement francophone, les consommateurs vivent aujourd’hui de vacances en vacances. Toutes les sept semaines, ils peuvent échapper un moment à la morosité ambiante. Résultat : entre les dernières vacances aux sports d’hiver et le prochain citytrip, ils se nourrissent de galettes de riz ou des spaghetti-bolognaise produit blanc, achetés en promo 2+2 gratuits. C’est comme ça.
Le salut viendra peut-être d’un été sportif long et chaud. Chez Carrefour en tout cas, on est bien décidé à ne rien laisser au hasard, à en juger par l’activation rouge vif géante que déploie actuellement le retailer à la gare centrale d’Anvers, dans l’espoir de motiver une fois de plus le public à supporter les Diables Rouges. Il faudrait être complètement aveugle pour le manquer.
Aveugle, sourd
À ce propos, les malvoyants sont plus que jamais les bienvenus dans les supermarchés de la chaîne, et plus particulièrement dans l’hypermarché d’Auderghem, où ils peuvent désormais faire leurs courses à l’aide d’une application qui les guident dans les rayons et leur lisent à haute voix les informations sur les produits et les prix. Chez Carrefour, on achète les yeux fermés. Je les entends déjà : « Maintenant, vous allez sans doute vous moquer parce que nous lançons encore une nouvelle application, n’est-ce pas ? » Car oui, mon commentaire un peu caustique d’il y a quinze jours à propos des six applications Carrefour présentes sur mon iPhone n’est visiblement pas tombé dans l’oreille d’un sourd à Zaventem. Mais s’ils le disent eux-mêmes, je n’ai pas à le faire. Affaire réglée.
Malgré la présence de deux ministres, Carrefour s’est contenté d’eau et de biscuits lors de la présentation à la presse. Le contraste n’aurait pas pu être plus frappant avec les mets succulents servis lors de l’inauguration du nouveau centre de distribution géant de Kellanova à Malines, où – ce n’est pas un hasard – deux mandataires politiques étaient également de la partie. Huîtres, asperges et tout le tintouin : un journaliste complaisant a droit à quelques avantages, parfois. Si l’on en juge par les halls pratiquement vides, ce complexe a été construit en vue d’une croissance plus que substantielle. Une annonce importante est prévue dans le courant de l’année, mais nous n’avons pas été autorisés à en savoir plus.
Chargement de délices
Enfin, encore ceci. J’ai l’impression qu’il ne se passe pas une semaine sans que Collect&Go ne donne des nouvelles. Ainsi, des chariots autonomes allègent désormais la charge de travail des collaborateurs au centre de distribution de Londerzeel. Ils préparent les courses 20 % plus vite, aussi. Ce sera nécessaire, car entre-temps, plus de 40 % des achats en ligne de produits alimentaires livrés en Belgique proviennent déjà des Pays-Bas. Waow. Ce doit donc être la part de marché en ligne cumulée d’Albert Heijn, HelloFresh et Crisp.
Enfin, surtout en Flandre, car les Wallons commandent rarement en ligne et encore moins au-delà de la frontière : la France n’atteint que 1 %. Mais Auchan ne livre pas encore de commandes de 24 paquets de Cristaline, 12 caisses de champagne et un kilo de camembert dans notre pays. Vous devrez aller les chercher vous-même. Pas moi : nous attendons la livraison imminente d’une cargaison de délices en provenance de l’autre côté de la frontière. De quoi et de qui, vous ne le saurez pas, mais il n’y aura pas de galettes de riz. À la semaine prochaine !