Une fête de famille chez un détaillant risque de provoquer une catastrophe sociale chez un autre. Et une baisse du chiffre d’affaires est en fait le signe avant-coureur d’une croissance folle. Les apparences sont trompeuses dans ce Filet Pur, votre ration hebdomadaire de désinformation.
Réunion de famille
Imaginez si Colruyt avait repris une chaîne comprenant Delhaize dans son nom. Cela aurait été un coup de maître, non ? Malheureusement, ils ont manqué cette occasion unique à Halle. C’est ainsi que, mardi dernier, Xavier Piesvaux a pu annoncer fièrement les retrouvailles de la famille après plus de 150 ans. Ainsi, les Lions franchiront bientôt le cap du millier de magasins dans notre pays. Pour ce qui est de la part de marché, le groupe Ahold Delhaize se rapproche un peu plus du numéro un ; c’est toujours ça.
D’accord, l’autorité de la concurrence n’a pas encore donné sa bénédiction, mais la plupart des observateurs semblent de prime abord s’accorder à dire qu’il s’agit d’une décision intelligente. En effet, le segment des magasins de proximité est le nouveau champ de bataille dans la distribution alimentaire. Et là, le leader du marché est tout sauf le leader du marché, et cela pourrait bientôt être un euphémisme. Delfood était, avec Delitraiteur, l’une des rares parties saines du groupe de distribution en difficulté. Magasins de proximité, magasins urbains et bon nombre de stations-service : autant d’emplacements où il n’est pas nécessaire de participer trop violemment à la guerre des prix, si l’on en juge par ce que les consommateurs sont prêts à payer de nos jours pour un mauvais café à emporter.
Catastrophe sociale
Les collègues de Cora observent avec consternation : le démantèlement total de l’ensemble du groupe Louis Delhaize est maintenant presque achevé, mais qu’adviendra-t-il des sept hypermarchés, ces mastodontes déficitaires, dont personne ne semble vouloir ? Deux mille employés y font encore contre mauvaise fortune bon cœur. Faut-il s’attendre à une catastrophe sociale, comme le redoutent les syndicats ? En outre, si ces grands pôles d’attraction venaient à disparaître, le sort des centres commerciaux associés ne s’annoncerait pas non plus très réjouissant. La famille Bouriez demande un peu de patience, mais cela ne pourra plus durer éternellement.
Les chances de trouver des entrepreneurs indépendants assez fous pour reprendre un tel hypermarché semblent minimes. En France, Carrefour s’en sort, et avec des résultats. Bien que cette formule typiquement française de « location-gérance » soit plutôt une sorte de faux travail indépendant. Le détaillant lance également un tout nouveau programme de fidélité, si généreux que les magasins pourraient bientôt ne plus pouvoir faire face à l’afflux de nouveaux clients.
Café sans bière
On le sait, Jumbo maîtrise l’art de la présentation. Dans les magasins, mais aussi sur scène, a-t-on découvert hier. En effet, plutôt que d’envoyer un simple communiqué de presse avec les chiffres annuels, comme il le fait chaque année, le détaillant a cette fois-ci adopté une approche différente en invitant aimablement la presse pour un « café média » à Veghel. Les journalistes se sont empressés d’accepter, même s’il s’agissait d’un café sans bière : l’entreprise a même dû trouver un lieu de réception plus grand. Voilà ce qui arrive quand on offre un déjeuner gratuit : les mousquetaires de la presse se transforment en pique-assiettes enthousiastes et ces nouveaux produits Jumbo ne sont pas mauvais ; je n’ai rien à redire.
Mais bien sûr, on le voyait venir de loin : si le groupe s’est donné tant de mal, c’est qu’il avait des comptes à rendre. Et oui : annoncer un recul après deux décennies de croissance sans précédent du chiffre d’affaires, ça pique, a dû admettre le PDG, Ton van Veen. Mais il y a une explication : « Nous nous étions égarés. » L’entreprise a donc tout mis en œuvre pour nous convaincre que Jumbo a jeté les bases solides d’une nouvelle croissance l’année dernière. Un peu selon la devise « Keep your eye on the donut, not on the hole », comme l’a dit le génie David Lynch, qui nous a quittés il y a peu. Avec un message clair pour notre Grand Timonier : « Il ne fait aucun doute que Jumbo restera une entreprise familiale indépendante. » C’est noté. Nous avons également entendu un avertissement clair à l’intention des fabricants.
Participez au boycott
En effet, l’étape stratégique la plus importante a été l’adhésion aux centrales d’achat Everest et Epic Partners, a déclaré van Veen. Une nécessité : « Nous avons acheté trop cher, on ne peut pas se le permettre. » Et le fait que le sympathique détaillant local ait dû mener des négociations difficiles avec les fabricants, entraînant des indisponibilités dans les rayons ? « Cela nous a coûté 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit moins de 0,1 % de part de marché. » En bref : les boycotts ne sont pas encore terminés. Il suffit de demander à Red Bull ou à JDE Peet’s, qui est déjà en conflit avec au moins quatre détaillants. Un mauvais café, c’est toujours mieux que pas de café du tout, disait David Lynch.
Et en Belgique ? Plus besoin de cadeaux de Noël de Veghel : à partir de maintenant, le bilan sera toujours positif. Une affirmation audacieuse, fruit des efforts incessants d’un nombre croissant d’entrepreneurs. Car, cette année encore, Jumbo va confier sept autres magasins à des indépendants. Réduction des coûts et ancrage local : un combo gagnant. Petite parenthèse : la transparence ostensible des chiffres fait honneur à l’entreprise familiale. Strictement parlant, elle n’y est pas tenue. Sur les performances d’Albert Heijn en Belgique, la société mère cotée en bourse ne divulgue pas la moitié d’une virgule, pour ainsi dire…
Affaire de myrtilles
Le leader du marché néerlandais est actuellement confronté à une affaire de myrtilles : des dizaines de clients sont tombés malades à cause de myrtilles congelées contaminées par l’hépatite A et les premières demandes de dommages et intérêts affluent. Shit happens, mais les médias néerlandais continuent de critiquer le manque de communication empathique et la mauvaise gestion de la crise du détaillant. Le fait que les myrtilles fraîches étaient en promotion chez Jumbo la semaine dernière n’était cependant qu’une pure coïncidence.
Pour terminer sur une bonne nouvelle : l’année 2025 sera excellente, les consommateurs ont un meilleur état d’esprit. Serait-ce vrai ? Les consommateurs reviennent plus souvent au supermarché, ce qui ouvre des perspectives aux marques désireuses d’investir dans l’activation sur le point de vente. Séduisez-les, tel est le message. Innovez.
Qui est en quête d’inspiration peut se plonger quelques heures dans le livre Catching the Big Fish, dans lequel le regretté David Lynch aborde, entre autres, de la créativité. Profitez-en ! Je donne le coup d’envoi au week-end avec cette chanson sinistrement réconfortante tirée de son premier film merveilleusement aliénant : In heaven, everything is fine. Tout simplement parce que je peux le faire et parce que j’ai des goûts un peu différents. À votre service ! À la semaine prochaine !