L’incertitude est la seule certitude qui reste, même le Péril Jaune le sait désormais, et un étonnant nouveau venu fait face à son propre Waterloo. Attention : ce Filet Pur est une autre suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.
Issue fatale
La Belgique est-elle vraiment surpeuplée de supermarchés ? Ce doit être des paroles d’ivrognes. Car un nouvel acteur lorgne notre beau pays. Depuis le sud, cette fois. En grandes difficultés pourtant, le groupe Casino veut manifestement réitérer avec Monoprix la récente expérience assez catastrophique de Franprix : le curieux hybride de supermarché et de grand magasin de luxe arrive chez nous, trois ans après qu’ils ont annoncé une grande offensive européenne – sur laquelle est tombé un silence assourdissant depuis. C’est pour le début de l’année prochaine.
Pas de panique : à Halle, ils n’ont rien à craindre. C’est en effet le supermarché le plus cher de France. Auraient-ils soudainement entrevu une opportunité avec la disparition de Match ? Parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule enseigne « la plus chère de Belgique ». Le choix de l’emplacement est étonnant : les Français ne connaissent-ils pas leur histoire ? Waterloo, on peut s’attendre à un feu d’artifice. La sortie récente d’un film dans lequel Napoléon parle anglais avec un gros accent américain ne sera sans doute pas non plus une coïncidence. « N’interrompez jamais un ennemi qui est en train de faire une erreur » : cette citation de Bonaparte semble tout à fait appropriée. Installez-vous dans votre fauteuil avec un grand seau de pop-corn, le spectacle va commencer.
Tirez votre plan !
Le même ancien empereur aurait déclaré : « En politique, une absurdité n’est pas un obstacle ». Effectivement, nous pouvons le constater chaque jour. Mais dans les affaires ? Ton van Veen, le patron de Jumbo, n’est pas un sot. Il lui arrive de lire un livre de management et il sait parfaitement que VUCA est l’acronyme du quatuor Volatility, Uncertainty, Complexity & Ambiguity. Une vision du monde quelque peu dépassée, certes, puisqu’elle remonte à la fin de la guerre froide, mais celle-ci n’est-elle pas de retour en force ? Et il n’y a pas plus froid que l’actuelle guerre des supermarchés.
Et donc ? Coup de théâtre ! Pour faire face aux forts vents contraires qui s’abattent sur Jumbo tant sur son marché domestique qu’en Belgique, on a décidé de changer radicalement de cap à Veghel : les Sept Certitudes qui constituaient jadis les robustes fondations de la formule à succès sont devenues les Sept Incertitudes, conformément à l’esprit du temps. Après tout, il ne peut plus être question de garantir les prix les plus bas en période de promotions 3+3 gratuits et les clients qui comptaient sur des courses gratuites s’ils étaient quatrièmes dans la file à la caisse seront désormais gentiment, mais instamment redirigés vers les caisses automatiques. Tirez votre plan. Le message est clair.
Manque de bras
Bref… « Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner », aimait répéter le petit général. Ils auraient pu y penser un peu plus tôt au sein du Péril Jaune. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une surprise : à son arrivée en Belgique, Jumbo avait en effet pris soin de laisser le respect des promesses faites aux clients à la douane. Cette aventure leur a déjà coûté assez cher en fin de compte. Et soyons honnêtes : dans de nombreux magasins flamands, il est rare que quatre personnes attendent aux caisses. Par conséquent… Le numéro 32 a ouvert ses portes cette semaine : un beau et grand magasin franchisé à Tessenderlo. Où – surprise surprise ! – on est également en manque de bras.
Oui, ce n’est facile pour personne. En ces temps de guerre des prix, les supermarchés ne peuvent pas payer leur personnel plus qu’une bouchée de pain, et il était soi-disant impossible d’accorder une prime de pouvoir d’achat. Mais comme Napoléon, les syndicats savent qu’il n’y a que deux choses qui unissent les hommes : la peur et l’intérêt. Et si les grèves des deux dernières semaines ne leur ont pas fait trop mal – ils avaient pris leurs précautions, même si Delhaize a subi petite une attaque-surprise –, les supermarchés n’avaient aucune envie de grèves de Noël dans les conditions actuelles. Ils ont donc fini par céder.
Bulles
« Je ne peux vivre sans champagne, en cas de victoire, je le mérite, en cas de défaite j’en ai besoin. » C’est aussi du Napoléon. Et bien, hier, il y a eu des bulles. Du Cava, certes, mais quand même. Que j’écrive ce Filet Pur la tête un peu lourde et les yeux plissés ne vous surprendra donc pas : ce fut encore une merveilleuse RetailDetail Night, et la nuit a été courte. Tout le monde – et en particulier une délégation remarquablement fournie de franchisés d’Albert Heijn et de Delhaize – attendait avec impatience Marit van Egmond.
Laquelle a commencé de manière légèrement provocante : « Le retail est-il encore du détail ? » Pour embrayer immédiatement : « Albert Heijn n’est pas un supermarché. Nous sommes une entreprise food&tech, avec l’application comme point de départ. » Le détaillant veut continuer à avoir un impact, sur la base de la mission « Ensemble, rendre accessible une meilleure alimentation. Pour tout le monde. » Parce que quand on mange mieux, on est mieux dans sa peau. Une assez bonne illustration de ce qui est peut-être la plus belle citation de Napoléon : « Un chef est un marchand d’espérance. »
Vendredi noir
Et pour couronner le tout, que m’a-t-elle confié lorsque je suis allé la saluer ? « Je lis votre rubrique chaque semaine. » Ça alors ! Depuis lors, je flotte à environ 15 centimètres au-dessus du sol – ce qui me convient parfaitement, car je ne suis pas plus grand que Napoléon.
Bref, mon vendredi ne peut pas mal se passer, même si je n’ai pas la moindre intention d’aller profiter de la Black Week chez Delhaize, Carrefour, Aldi ou Lidl. Le mouvement du Green Friday n’a manifestement pas encore atteint le food-retail, bien que nous n’ayons pas vu d’offres spéciales chez Colruyt et Albert Heijn – après tout, c’est le Black Friday toute l’année, chaque jour de la semaine chez eux, non ?
Allez, il est temps d’entamer un week-end bien mérité. Et pour faire une dernière fois honneur à ce bon vieux Bonaparte alors que je parcours ses citations : « L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. » Comme ce fameux film, en d’autres termes. Et comme votre Filet Pur bien-aimé, aussi. À la semaine prochaine !