Si les détaillants ne peuvent même plus faire pression sur leurs fournisseurs, que leur reste-t-il ? Heureusement, nous n’en sommes pas encore là : Filet Pur prend la température du secteur et constate avec soulagement qu’elle est encore bien en dessous de zéro. Ouf !
Couteau dans le dos
La semaine dernière, nous nous demandions comment se portait la part de marché de Colruyt, après l’annonce de chiffres triomphants de ses principaux rivaux, Delhaize et Carrefour. Puisque le leader du marché n’a pas prévu de publier une mise à jour avant la mi-juin, un sympathique concurrent a tout simplement décidé de divulguer les chiffres dans la presse. Si on est capable de planter un couteau dans le dos de son rival, il ne faut pas s’arrêter là. L’ambiance sur le marché belge de la distribution alimentaire est presque aussi bonne que celle qui règne au sein du gouvernement fédéral.
Car c’est ainsi dans notre pays : les détaillants ne peuvent communiquer que leur propre part de marché, et seulement s’ils le souhaitent. Nielsen ne peut pas publier un classement officiel. Parce que tout le monde n’est pas d’accord. Il y en a toujours un pour faire obstruction. Et, oui, tant qu’il n’y aura pas de transparence sur le marché belge quant aux parts de marché des détaillants alimentaires, les rumeurs continueront à circuler sur les parts de marché des détaillants alimentaires. Et tant que tous les détaillants alimentaires ne s’accorderont pas sur une telle transparence, ce sera le statut quo. Sur ce plan, la Belgique est d’ailleurs une exception en Europe. Juste pour que vous le sachiez.
Courbe plane
Ce « concollègue » rusé n’aurait bien entendu jamais révélé ces parts de marché autre que par intérêt personnel : car, en effet, au quatrième trimestre de l’année calendaire 2020, le détaillant de Halle a encore reculé. Depuis le confinement de mars dernier, il n’a cessé de perdre du terrain, perdant déjà un point de pourcentage au total. De quoi créer la panique sur l’Edingenseseteenweg. Imaginez, vous surfez sur une courbe ascendante exponentielle depuis les années 1980, soudainement aplanie par un virus agaçant. Aïe !
Ce virus est une explication opportune à ce recul, mais ce n’est pas la seule. L’essor du magasin de proximité, par exemple, est une tendance durable, en marche depuis vingt ans au moins. La pandémie a tout au plus légèrement accéléré le mouvement. Il en va de même pour l’évolution démographique vers des familles moins nombreuses et l’urbanisation. Des tendances qu’il fallait anticiper. Tout comme la révolution végétale, qu’il a peut-être abandonnée un peu trop facilement à Delhaize et Albert Heijn ces dernières années. Un marché en pleine croissance, pourtant : le numéro trois européen est à vendre pour plusieurs centaines de millions. Mais pas d’inquiétude : Colruyt se reprend. Le détaillant parraine le Veggie Challenge, qui commencera lundi. À l’heure où j’écris ces lignes, plus de 16 000 personnes se sont déjà inscrites. 16 000 ? Hmmm, c’est du sérieux..
Faussement exotiques
D’ailleurs, il passe peut-être à côté d’une autre tendance. Notamment dans les rayons de Delhaize et Carrefour le mois prochain: By Oummi, une nouvelle marque qui veut créer le lien entre les foodies à l’âme aventurière et les consommateurs ethniques en quête de commodité. Pas de produits faussement exotiques, mais d’authentiques classiques de la cuisine égyptienne, marocaine, grecque et turque. Bientôt dans un magasin près de chez vous. Mais pas encore chez Colruyt, donc. Mais elle sera au RetailDetail Food Congress, pour lequel les billets sont disponibles depuis longtemps.
Également au programme du congrès : un appel à la promotion immédiate d’un vaste plan de soutien pour l’alimentation locale. Depuis le confinement, l’alimentation émotionnelle locale est plus populaire que jamais, mais dès le retour à la normalité, les consommateurs retomberont immédiatement dans leurs vieilles habitudes, redoute le VLAM. « Nous devons gagner ce match à domicile », clame-t-il. Comment comptent-ils remporter ce match en misant sur le nudging et le storyelling, vous le découvrirez le 11 mars.
Action-réaction
Contribuer à la bonne ambiance dans le commerce de détail alimentaire ne semble pas être l’objectif d’Albert Heijn. Le pragmatisme est de mise à Zaandam. Un accord est un accord, pas de place pour les excuses. Encore moins en pleine pandémie mondiale : ce petit virus n’est pas un cas de force majeure, a décidé le détaillant. Les conditions de livraison ajustées ne sont pas négociables : les fournisseurs qui osent commettre la moindre erreur peuvent s’attendre à une lourde sanction. Action-réaction : on croirait presque entendre Mark Rutte.
Chez son ennemi juré Jumbo, les amendes coronavirus ne sont pas au programme. « Inapproprié », estime le directeur financier, Ton van Veen. Il aurait pourtant bien besoin d’une source de revenus supplémentaires. Le chiffre d’affaires du danger jaune n’est pas mauvais, mais l’explosion en ligne est inquiétante : le commerce électronique est toujours déficitaire. L’automatisation devrait améliorer l’efficacité, mais cela ne suffira pas : les frais de livraison doivent augmenter. D’ailleurs, toujours aucune trace de cette boutique en ligne belge.
Pas d’abus
Entendre un détaillant plaider pour des prix plus élevés est plutôt rare. Bien entendu, seules les multinationales de grandes marques peuvent continuellement instaurer des augmentations tarifaires injustifiées, et des restrictions territoriales qui entraînent des différences de prix inexplicables sur le marché unique européen, qui n’en est pas vraiment un. Du moins, c’est ce que prétendent les défenseurs des intérêts des détaillants européens. Ils sont vexés.
Je m’explique : en France, Intermarché a un procès sur le dos. Pour abus de pouvoir. Abus de pouvoir ? Il n’a pourtant rien fait d’exceptionnel : ils a simplement fait pression sur quelques fournisseurs en interrompant les commandes, en éradiquant des produits des rayons et en exigeant de grosses sommes d’argent. Le quotidien du commerce de détail alimentaire, en somme. Mais bien sûr, le juge l’ignore, alors qui sait quel sera son verdict ? Cela pourrait avoir de sérieuses conséquences : au revoir l’ambiance.
Chevalet
Car en réalité, ce procès concerne les pratiques de l’alliance de vente au détail Agecore, dont Colruyt est membre. Et donc, par extension, tous les groupements d’achats internationaux. Imaginez s’ils ne peuvent plus mener d’élégantes négociations avec leurs fournisseurs beaucoup plus importants. Il faut au moins pouvoir soumettre ces multinationales aux grésillons, au chevalet ou à une forme douce de torture par suffocation. Bientôt, il n’y aura plus de limites.
Certes, les chances qu’un juge mette un jour un terme à ces belles traditions dans notre merveilleux secteur semblent plutôt minces. Tout au plus, le tribunal infligera une amende. Environ 150 millions d’euros, dans le cas des Mousquetaires. Un modique somme, qu’ils répercuteront immédiatement sur leurs fournisseurs. Payer ou être radié des rayons. C’est aussi simple que ça. Pas vrai ? À la semaine prochaine !
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