Le Valhalla de l’alimentation est désormais à Gand, à moins qu’il ne se trouve finalement ailleurs. Les concurrents sont en ordre de bataille : alors qu’un détaillant alimentaire sort de sa tanière, un autre sort la sulfateuse. L’issue sera-t-elle favorable ?
Quitter sa tanière
N’auraient-ils pas pu se concerter ? Pas moins de trois distributeurs alimentaires ont voulu faire une déclaration quasi simultanée cette semaine, sans la moindre considération pour l’emploi du temps surchargé d’un pauvre journaliste de la grande distribution. Il faut se rendre à l’évidence, c’est l’économie de l’attention dans la pratique : à cette époque de l’année, vous voulez être top of mind. En français, on l’appelle joliment « la rentrée » : ce n’est pas seulement la rentrée des classes, c’est tout simplement le retour aux affaires, le back to business, et c’est un euphémisme : les derniers mois de l’année sont décisifs, la tension monte.
Le discours de Xavier Piesvaux, patron de Delhaize, qui, après dix-huit mois, est enfin sorti de sa tanière sous le siège de la Chaussée de Bruxelles, ne paraîtra que demain, pour cause d’embargo, dans tous les journaux du week-end simultanément, ainsi que sur votre site de confiance retaildetail.be. Je n’ai pas encore le droit d’en divulguer quoi que ce soit, mais vous pouvez en rêver l’essentiel : ce plan d’avenir a été la meilleure décision jamais prise dans l’histoire désormais très riche des Lions. J’aurais donc mieux fait d’écrire cet article avant, à un moment plus calme.
Place à la sulfateuse…
De Kobbegem, rendons-nous en ligne droite au Heysel, où Carrefour a présenté son Salon. Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’y goûter, mais il est clair que le détaillant fait tout ce qu’il peut pour attirer de nouveaux publics, avec l’introduction de plusieurs dizaines de références bio, d’options végétales, de bombes protéinées, d’apéritifs sans alcool et de produits premier prix presque gratuit. Sans oublier une nouvelle gamme authentique de spécialités italiennes et , enfin, une gamme de spécialités maghrébines certifiées halal.
Aujourd’hui, le client est une « cible mouvante », selon Geoffroy Gersdorff, le CEO. C’est peut-être pour cette raison qu’il sort la grosse artillerie. Dans tous les cas : cette année, le détaillant sortira du rouge, a déclaré un cadre supérieur confiant. Notamment à la faveur d’économies de coûts. Car si Lidl est plus que jamais engagé dans le sport en général et le football en particulier, chez Carrefour on a vite tiré les conclusions de ce championnat d’Europe en demi-teinte : le contrat de sponsoring avec la fédération de football n’a pas été renouvelé. Idem dito en France, d’ailleurs. Même le Tour ne peut plus compter sur l’aumône de Massy. Les détaillants vont désormais dépenser leurs budgets avec plus de vista.
Showbizretail
Petit retour à mercredi. Pendant un certain temps, il a semblé que Jumbo allait connaître une nouvelle journée noire : il pleuvait des cordes et, pour couronner le tout, le tapis roulant censé conduire les clients du parking au magasin du premier étage ne fonctionnait pas. Quand tout à coup… Alors que je tournais sur la Vliegtuiglaan, un magnifique arc-en-ciel est apparu dans le ciel – je n’invente rien – et juste avant 11 heures, ce satané tapis s’est enfin mis en branle. C’est une bonne chose, car il y a eu un véritable débordement.
Lorsque la mère van Eerd fait le déplacement de Veghel à Gand, on sait qu’il ne s’agit pas d’une ouverture de magasin ordinaire pour Jumbo. Un « Valhalla » de l’alimentation, selon le directeur Ton van Veen. On peut en dire long sur le péril jaune, mais en termes de merchandising visuel , ils n’ont pas de leçons à recevoir. Trois mille mètres carrés d’expérience : un tel marché alimentaire joue dans la même tonalité que le showbiz : tout a l’air impeccable. Ils n’ont décidément pas froid aux yeux. Jumbo va vendre de la viande maturée à 98 euros le kilo dans un quartier populaire de Gand. Pas de Filet Pur… Reste à savoir si le célèbre boucher Luc De Laet sera toujours aussi enthousiaste derrière son comptoir dans six mois.
Le cash au frigo ?
Le détaillant espère que les navetteurs plus avisés des zones résidentielles situées entre le port et Lochristi feront escale dans le Muidewijk, qui était jusqu’à récemment un « désert alimentaire ». Ils pourront aussi se restaurer immédiatement sur place, dans le Foodcafé. Vous ne payerez pas un demi-centime de plus pour une pizza que vous faites préparer dans le magasin que pour une pizza que vous emportez chez vous. Jumbo est un des rares détaillants alimentaires qui s’obstine à vouloir intégrer la restauration dans le supermarché, alors que Delhaize et Carrefour ont depuis longtemps enterré cette idée. La shopper mission risque d’y perdre des plumes : laissez-vous votre caddie à moitié plein pour satisfaire rapidement votre faim ?
Il convient toutefois de remarquer que, alors qu’aux Pays-Bas, tout le monde est sur le pont pour sauver les meubles et que des histoires croustillantes sur Frits cachant des tas d’argent dans le congélateur ont soudainement refait surface, Jumbo, en Belgique, fait montre d’une assurance toujours plus rayonnante. « Nous sommes dans un rapide », nous confie-t-on. « Nous affichons une croissance à deux chiffres » (bon, ce n’est pas si difficile quand on n’est de nulle part, mais quand même) et surtout : « Nous réalisons encore à peine quelques modestes millions de pertes. L’année prochaine, nous atteindrons le seuil de rentabilité« , a déclaré M. van Veen, qui attend avec impatience que cesse l’éternelle grogne au sujet de l’« enveloppe de Noël » que la Belgique reçoit chaque année de Veghel. Il a encore pu décocher une remarque moqueuse à l’adresse de ses concurrents peu loyaux : le travail de sape devrait s’arrêter un jour ou l’autre. C’est noté.
Tout le monde est gagnant
Une explosion de bonnes nouvelles chez pas moins de trois détaillants alimentaires en une semaine, cela faisait longtemps qu’on l’attendait, même si en termes de chiffres concrets, nous sommes restés un peu sur notre faim. Mais une question demeure : si Delhaize, Jumbo, Albert Heijn et Intermarché gagnent des parts de marché, alors que Carrefour affirme « se maintenir », nous devrions presque conclure que les discounters sont en train de perdre la bataille, malgré cette soi-disant crise du pouvoir d’achat qui amène 93 % des consommateurs à modifier leur comportement d’achat. Non ?
Une question idiote peut-être, mais bon : si vous posez une question idiote, vous vous sentirez peut-être idiot, mais si vous ne posez pas de questions idiotes, vous le resterez… idiot. Everyone’s a winner, baby? Non, je ne le pense pas. Bientôt, ils nous diront qu’il n’y a vraiment plus personne qui accuse des pertes sur ce marché difficile et complexe de la vente au détail de produits alimentaires en Belgique. Et ce, un vendredi 13…. Heureusement, je ne suis pas superstitieux : cela porte de toute façon malheur. À la semaine prochaine !