Alors que les consommateurs sont confrontés à des crevettes hors de prix, de fausses excuses, des magasins silencieux et du bétail qui parle, Filet Pur se pose un question depuis les tribunes : qui serait le Roberto Martinez du food-retail ? À votre avis ?
Anormal
Avions-nous vraiment besoin de vous gâcher le week-end dès le samedi matin avec ces chiffres alarmants sur la grande distribution ? Bien sûr, et vous étiez à l’affût, nous l’avons remarqué aux clics. Car les raisons de s’inquiéter ne manquent pas : si plus de 40% des supermarchés encore sains en Belgique doivent être mis sous perfusion financière début 2023 en raison de la crise énergétique et du choc salarial, c’est qu’il y a un problème. Ils sont aussi épuisés que notre fameuse génération dorée. L’augmentation du chiffre d’affaires de 15% offerte par les confinements est partie en fumée depuis longtemps. Les supermarchés sont aujourd’hui à bout de souffle, et ne doivent rien attendre de clients qui recherchent frénétiquement des recettes de fêtes à petit prix. On peut s’attendre à un Noël étrange. Mais bon, plus rien n’est normal aujourd’hui.
Reste à savoir si le siège interviendra pour sauver chaque magasin – indépendant ou non. Ce qui offre aussi des opportunités ciblées pour les vautours opportunistes qui auraient des envies d’expansion en Belgique. Le malheur des uns… Car plusieurs groupes de supermarchés disposent encore de quelques réserves. Vous vous gêneriez, vous ? Les temps sont mûrs pour une nouvelle période de transferts : une vague de consolidation paraît imminente. Mais faut-il s’en réjouir ?
Déconcertant
Quoi qu’il en soit, le secteur comptera au moins un concurrent de moins l’année prochaine. Mais Makro ne manquera à personne, si ce n’est à ses employés qui ont perdu leur emploi. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais une analyse approfondie et assez désenchantée du Brand Asset Valuator de WPP, un outil qui cartographie scientifiquement la valeur des marques. « Un vieux truc sans la moindre valeur » est ainsi son impitoyable conclusion sur la chaîne cash&carry. Ben oui, quand on s’accroche trop longtemps à une formule éprouvée… Même la liquidation ne marche pas, à cause d’ordinateurs défaillants. Frappe croquée.
Et de l’autre côté du terrain : si cela dépendait des syndicats, Metro ira à Sligro et non au CEO Vincent Nolf, qui, selon eux, a une part de responsabilité dans la situation catastrophique de l’entreprise avec une série de décisions stratégiques malheureuses et d’erreurs tactiques. Ce qui fait de lui, en effet, le Roberto Martinez du food-retail. Mais contrairement à l’ancien sélectionneur national, lui ne veut pas encore baisser les bras. Bien sûr, c’est plus facile pour nous – c’est d’ailleurs le point commun entre les experts du retail et les analystes en football : commenter depuis la touche, cela n’engage à rien, mais pas question de s’essayer à mettre un but – ou à sauver un magasin de la faillite.
Sensible
Le plus troublant dans toute cette analyse en est la conclusion : Makro n’est pas seul, Cora, Match, Carrefour et Aldi doivent aussi faire attention… Les deux derniers ont toutefois essayé de redorer le blason d’une marque un peu poussiéreuse la semaine dernière. Aldi, par exemple, ourdit un plan astucieux de conquête de la capitale en déployant une nouvelle arme pas si secrète que ça : le magasin urbain compact. Oh, ne vous attendez pas à un concept urbain branché et révolutionnaire à base de baristas et de comptoirs food-service : il s’agit plus simplement d’un discounter no-non sense avec des caddies plus petits, des allées plus étroites et des prix bas. L’équivalent d’une frappe sèche dans la lucarne, et il n’en faut pas plus. Pas besoin de parking à Bruxelles d’ailleurs : qui s’y aventure encore en voiture depuis l’entrée en vigueur de Good Move ? Exactement.
Chhuut… Ici, on fait des courses. Si les quelque 100 000 Belges ultrasensibles viennent dorénavant faire leurs courses chez Carrefour l’après-midi, la part de marché s’en portera mieux. Car désormais, ces supermarchés vont tamiser les lumières et éteindre la radio tous les après-midis. Il ne s’agit pas seulement d’un coup marketing intelligent, mais aussi d’économies judicieuses sur l’énergie et le Sabam. Et d’un énorme soulagement pour des caissières qui en ont déjà assez de la playlist de Noël, aussi. Tant que les clients souffrant du spectre de l’autisme ne se rendent pas tous en même temps dans le magasin, car la foule risque de les effrayer. C’est peut-être le raisonnement de Delhaize, qui a publié un copier-coller du communiqué de presse le lendemain. Manifestement, les grands esprits se rencontrent.
Manqué
Les supermarchés qui survivent à la phase des poules de la double crise actuelle ne sont pas encore sortis d’affaire : ils devront investir massivement dans la durabilité au cours des années à venir. Quand le secteur alimentaire dans son ensemble est responsable de près d’un tiers des émissions mondiales de CO2, il est logique que tous les regards se tournent vers les chaînes de supermarchés pour résoudre ce problème. Mais Frans Muller, le Lukaku d’Ahold Delhaize, évite habilement le pressing adverse : des objectifs climatiques plus élevés, c’est bien, mais les agriculteurs, marques et transporteurs doivent participer à l’effort collectif.
Oui, c’est ainsi nous connaissons nos supermarchés. Mais maintenir des prix bas ? Holà. Faire des promesses, oui, mais les tickets de caisses sont déjà 18% plus chers. Nous aurons donc un Noël sans tomate-crevettes-frites. Et ce, malgré ces revenus supplémentaires que Frans Muller souhaite tirer du retail media, des soins de santé, des services financiers et du food-service. Car pour l’instant, ce ne sont que des occasions manquées.
Gain de temps
On peut parfois se demander si ceux qui riaient sous cape il y a deux ans quand Jef Colruyt avait donné un smartphone à 16 000 employés de ses magasins ont toujours le sourire aujourd’hui. Car le GSM en question ne sert pas à faire des films TikTok : il aide les employés à remplir les rayons plus rapidement. Et depuis les Diables Rouges, on connaît l’importance de la vitesse d’exécution. Une heure et demie gagnée par magasin et par jour, cela représente neuf heures de travail par magasin et par semaine, soit environ 2250 heures de travail cumulées pour tous les magasins Colruyt chaque semaine, et près de 120 000 heures de travail par an si nous comptons bien. Ajoutez-y les heures pour Okay et Bio-Planet : voilà un investissement rapidement amorti, si vous voulez mon avis.
L’attention pour le détail : c’était un slogan accrocheur de Bébert dans les années 1980, et cela fait partie de la culture Colruyt depuis au moins aussi longtemps. Le communiqué de presse ne dit pas en revanche ce que ces bienheureux employés de magasin peuvent bien faire de cette heure et demie gagnée par jour. Aller à la salle de sport ? Jims disposera bientôt d’une salle pour cinq supermarchés Colruyt: le choix est en tout cas suffisant.
Feinte
Au fait, concernant ces fameux objectifs climatiques : le commissaire européen Frans Timmermans s’impatiente et a donc décidé de recourir à la coercition douce. Il rend obligatoires les emballages recyclables et les consignes d’ici 2030. Et plus question de vagues promesses du type « biodégradable » pour les fabricants d’emballages : le VAR ne veut rien savoir. Le money time a commencé. Il était temps.
On en est également conscient chez Carrefour : l’enseigne veut nous faire évoluer vers une alimentation végétale et plus respectueuse du climat par de subtils incitants. Assez rusé : grâce au blockchain, vous pouvez désormais rencontrer personnellement le bœuf que vous êtes en train de manger. Une confrontation qui pourrait faire changer d’avis les carnivores invétérés. Belle feinte. Curieux de voir les résultats.
Et pour ceux qui restent inconsolables après la débâcle prévisible d’hier, je ne peux que recommander une chanson réconfortante. Une grande dame s’en est allée, mais sa musique est immortelle. À la semaine prochaine !