Les choses doivent empirer avant de s’améliorer : cela vaut non seulement pour le Danger Jaune, mais aussi pour les fabricants de marques assoiffés de pouvoir qui sabotent le marché unique. Et à Zaandam, nous avons appris que l’avenir de la distribution alimentaire est tout sauf la distribution alimentaire. Ce Filet Pur est tout sauf fade.
Tours de vis
En général, les alliances d’achat servent à plumer les fournisseurs de marque, pensions-nous. Apparemment, elles peuvent aussi avoir une autre finalité : au Royaume-Uni, les supermarchés unissent leurs forces pour offrir une meilleure rémunération aux agriculteurs des pays pauvres du Sud. Allez comprendre. En formant une coalition pour le commerce équitable, ils pensent pouvoir enfin garantir des salaires décents et mettre fin au travail des enfants et à la déforestation. Imaginez… L’autorité de la concurrence ne s’y opposerait pas. Et si le succès est au rendez-vous, le concept pourrait être étendu ici aussi. Philippe Weiler, directeur de Fairtrade, une semi-personnalité depuis sa participation à De Mol, trépigne d’impatience.
Pour l’instant, Jumbo s’en tient aux bonnes vieilles méthodes de négociation : bras de fer, bons tours de vis et boycotts à l’ancienne. Plus de Honig, De Ruijter, Wijko et Heinz dans les rayons du Danger jaune. Maintenant que le dialogue est rétabli avec Danone, Douwe Egberts et Coca-Cola, il y avait apparemment de la marge pour faire du bruit ailleurs. Tout cela pour le portefeuille du client, bien sûr. Même si les analyses montrent que les produits ne deviennent pas nécessairement moins chers après un tel boycott. Ou agit-il surtout au nom de ses propres marges ? Tout centime semble bienvenu, car le détaillant est contraint de supprimer des emplois au siège. Non pas parce que les choses vont mal, mais pour qu’elles aillent encore mieux : « Jumbo tel qu’il est censé être » doit avant tout redevenir un Jumbo rationalisé.
Illicite
Mais alors, les fabricants seraient tels aussi omnipotents que le prétendent toujours les détaillants ? Cela reste à voir. Car, jeudi, voilà qu’arrive un e-mail triomphant. Envoyé par EuroCommerce. Et un peu plus tard, un autre de Comeos. Les fédérations du commerce de détail ne peuvent cacher leur joie suite à l’accord conclu par la Commission européenne avec les bandits sans scrupules de Mondelez : 337,5 millions d’euros pour s’être livré à des restrictions commerciales illicites. Abus de pouvoir pur et simple. Il est grand temps de supprimer une fois pour toutes les restrictions territoriales en matière de livraison. Faites tomber ces murs ! Laissons la présidence belge prendre l’initiative. La multinationale elle-même relativise : quelques cas isolés dans un lointain passé, rien de plus. Et l’argent était déjà prêt.
Les frontières disparaîtront-elles vraiment un jour au sein l’Europe unifiée, comme l’espèrent notamment les frères Michiel et Frans Muller ? Pas sûr : le seul autre fabricant à avoir été condamné à une amende jusqu’à présent est AB InBev, et c’était en 2019. Et l’enquête sur Mondelez a pris cinq ans. CQFD. Nous n’avons pas encore reçu de réaction de la part de la fédération des marques AIM.
Intelligence médiocre
En parlant de Muller : quelques chiffres à retenir après ses jours de discussion stratégie à Zaandam. 4 % : c’est la marge d’exploitation qu’Ahold Delhaize veut désormais atteindre chaque année. Bonne chance, à Kobbegem ils savent ce qu’il en est. 3 milliards : c’est le montant que le détaillant pense tirer de nouvelles sources de revenus. Ce qui signifie en fait : faites de la publicité dans notre application et payez une redevance équitable pour nos précieuses données clients, chers fabricants de marques. Et 5 milliards : c’est le montant que le détaillant veut économiser pour concrétiser cette marge. Mais que personne ne prenne ses aises, avertit Frans : l’intelligence artificielle est prête à prendre le relais de l’intelligence médiocre dans les magasins, les centres de distribution et les sièges sociaux. C’est clair.
Mais : pas assez ambitieux, selon les éternels insatisfaits que se font appeler investisseurs et analystes. Pourtant, la dernière fois que j’ai vérifié, peu de détaillants alimentaires dépassaient ce pourcentage. Amazon, oui, mais ce n’est pas un détaillant alimentaire. En fait, ce n’est même pas un détaillant. Et c’est d’ailleurs exactement la voie que Muller veut emprunter : Ahold Delhaize devient une entreprise de médias et de technologie qui se trouve vendre également des produits alimentaires.
Science sympathique
Cependant, lors du sympathique festival scientifique Nerdland, ce week-end à Wachtebeke, le groupe fusionné ne fera pas acte de présence. Contrairement aux übernerds de Colruyt Group, bien sûr, avec des applications de réalité virtuelle adaptées aux enfants et un magasin entièrement automatisé rempli de bonnes choses… Les affaires sont les affaires. « L’une des plus grandes entreprises techniques de Belgique », comme le groupe le dit si bien. C’est possible.
Il a lancé une première cette semaine : un nouveau service ultra-rapide de Collect&Go, plus précisément. À Heusden et Melle, les commandes de produits frais peuvent être retirées dans des casiers réfrigérés après seulement deux heures. Ou livrées à domicile par vélo cargo électrique après seulement trois heures. Le service de courses veut s’imposer non seulement pour les très grosses courses hebdomadaires, mais aussi pour les courses de dépannage. Cela demande un concept adapté.
Gentrification
Vous l’aurez compris : si les entreprises de livraison rapide jettent définitivement l’éponge, Colruyt s’engouffrera dans la brèche. En parlant de reprise : l’époque où un certain Jef se montrait plutôt désobligeant à l’égard du faible potentiel du commerce électronique est bel et bien révolue. Après tout : « Personne ne se trompe plus souvent que ceux qui refusent d’admettre qu’ils ont tort », comme le disait le célèbre François de la Rochefoucauld au dix-septième siècle. Le fait que le groupe teste invariablement tous ces nouveaux concepts (notamment les magasins autonomes et les vélos cargos électriques) à Gand est, en pratique, tout simplement de la gentrification.
Et, avant de conclure : depuis cette semaine, Filet Pur a un petit frère. Un bulletin hebdomadaire palpitant sur le secteur non alimentaire, sous la plume acérée de ma talentueuse collègue Pauline Neerman. Il s’intitule Checkout, et la première publication est disponible ici. Pour cette fois, je lui pardonne son regard narquois sur l’univers des supermarchés, qui serait un peu comme les plats préparés : toujours fade. Mais qu’elle n’aille pas s’imaginer que je ferai de la publicité chaque semaine. Il y a des limites, non ? À la semaine prochaine !