Les clients se font plus avares, les détaillants aussi. Les caisses enregistreuses ne disparaissent qu’au compte-gouttes, les rayons vides font un retour en force. Pourquoi l’automne sera chaud, mais pas Noël ? Filet Pur est de retour : en format XXL, mais sans remise.
Cadavre vivant
Lorsque vous faites une prédiction, il y a deux possibilités : soit on vous rit au nez immédiatement, soit on vous rit au nez 20 ans plus tard. Mais la prédiction que j’ai publiée il y a six ans s’est miraculeusement réalisée, même si l’entreprise concernée avait été assez choquée par ce que j’avais écrit à l’époque. Car, aujourd’hui, les choses sont ce qu’elles sont : Il n’y a plus rien à faire pour Makro, et les repreneurs l’admettent désormais eux aussi. L’entreprise doit être scindée en petits morceaux et donnée en pâture aux limiers, ou quelque chose dans ce genre-là.
« Enfin ! », pourrait-on dire. Ce fut une longue et douloureuse agonie. Personne ne voulait payer les funérailles, ça se résume à peu près à ça. Désormais, la table basse pour le café sera financée au moins en partie par le contribuable, c’est-à-dire vous et moi. Mais certains emplois peuvent également être sauvés, si les choses se passent bien. Les syndicats semblent s’être résignés : ils n’obtiendront rien de plus. Quiconque souhaite rendre, dans un élan de nostalgie, une ultime visite à l’ancienne icône du commerce de détail devra être préparé. Je me demande ce qu’il reste encore dans les rayons : qui prendrait le risque de livrer à un cadavre vivant ?
Problème inexistant
Nous l’avions déjà écrit : les solutions sont la principale cause des problèmes. Et c’est d’autant plus vrai pour Amazon Fresh. Des magasins sans caisses ? Une solution hors de prix à un problème inexistant. Les acheteurs veulent-ils vraiment gagner quinze secondes ? Pas du tout : ils veulent dépenser moins d’argent, aujourd’hui plus que jamais. Le temps, c’est peut-être de l’argent, mais cela ne fait pas le poids face aux prix dans ces magasins de proximité high-tech, qui s’envolent tels une fusée Blue Origin.
Et avoir quelqu’un avec qui discuter, cela fait généralement plaisir aux consommateurs, de temps en temps. Ce constat se répercute lentement sur les échelons supérieurs du deuxième plus grand détaillant au monde, qui appuie désormais sur le bouton pause. Le déploiement d’Amazon Fresh au Royaume-Uni est mis en pause en attendant des jours meilleurs, s’ils arrivent un jour.
Coup de semonce
Cela n’empêche pas d’autres détaillants de tester leur propre version de la technologie « just walk out » en direct. Juste avant mes vacances, j’ai pu essayer le magasin Aldi sans caisses à Utrecht. Être filmé par 475 caméras en même temps, c’est quelque chose. Un projet intelligent, mais le fait qu’un hard-discounter y voit un potentiel soulève des questions. Comment amortir cet investissement avec des prix bas et des marges réduites ? Du point de vue du consommateur, il existe un étrange paradoxe : faire ses courses sans caisse est confortable, mais la sensation est inconfortable…
En outre, les priorités d’aujourd’hui sont ailleurs. À court terme, notamment : la survie. Le fait que cette opération spéciale en Ukraine conduise à une guerre dans les rayons était prévisible. Habituellement, les escarmouches restent sous les radars, mais la semaine dernière, nous avons tout vu. Eh oui, le bureau de RetailDetail étant au-dessus d’un supermarché Delhaize, les rayons vides pouvaient difficilement nous échapper. Le fait que Lidl et Aldi soient également mécontents des démarches du fabricant de yaourts Danone peut indiquer que les augmentations tarifaires proposées sont effectivement substantielles… Mais nous ne pouvons rien savoir. Ou s’agit-il d’un test, d’un coup de semonce en vue des négociations de fin d’année ? Pas impossible. L’automne s’annonce chaud.
Vénus ou Mars
Bien sûr, l’incompréhension mutuelle ne date pas d’hier. Les fabricants viennent de Vénus, les détaillants de Mars (ou vice versa, à vous de choisir). Ces multinationales, avec leurs powerbrands, ont jusqu’à présent réussi à répercuter les augmentations de coûts, n’est-ce pas ? Lisez les récents résultats trimestriels. Chez Pernod Ricard, le champagne coule à flots. Des prix élevés ? Pas de problème ! Santé !
Les détaillants ne peuvent que rêver de telles marges. Ils constatent impuissants les acheteurs succomber à la frugalité. Posez donc la question au patron de Carrefour, Alexandre Bompard. Et ils se mettent des bâtons dans les roues, piégés comme ils le sont dans leurs batailles de prix. Ou ils lancent des campagnes de pouvoir d’achat bien intentionnées qui, cependant, n’augmentent pas vraiment le pouvoir d’achat, comme je l’ai expliqué hier matin dans la fameuse émission De Inspecteur sur Radio 2. Parallèlement, ils lésinent sur les remises salutaires accordées aux clients fidèles : SuperPlus est un peu moins Super, désormais. Merci, Delhaize !
Pas un Noël chaleureux
À quoi s’attendre ? Le grand cliché : Winter is coming. Plus précisément, un winter of discontent, pour reprendre les mots du sympathique dramaturge William Shakespeare. Vous vous en souvenez peut-être : les médias britanniques avaient recyclé l’expression en réponse aux mois de grève sous le règne de la un peu moins sympathique Margaret Tatcher, en pleine période punk à la fin des années 1970. Filet Pur ne manque jamais une occasion d’offrir une petite dose de culture et un cours d’histoire instructif. L’histoire est-elle en train de se répéter ? Pour les usines, les magasins et les consommateurs, les factures d’énergie s’envolent. Les produits surgelés deviennent impayables. Les marges vont se rétrécir, les managers vont devoir licencier et les consommateurs vont devoir faire des choix douloureux. Noël ne sera pas chaleureux.
Et puis, finalement, les augmentations de prix ne sont pas si catastrophiques. Un malheureux 12 % ? C’est trois fois rien. Le Financial Times a calculé ce que coûteraient les produits si les prix suivaient les prix de gros du gaz. Tenez-vous bien : en gros, environ 40 euros pour une pinte, plus de 30 euros pour un café et environ 120 euros pour un paquet de Marlboro Light. La hausse du prix des cigarettes ne serait pas une mauvaise chose pour la santé publique, certes, mais vous avez compris l’essentiel : on peut encore s’estimer heureux. Hourra !
Un peu bête
Pour terminer : dans la guerre des talents, Lidl déploie tous les moyens à sa disposition, y compris un jobevent pour les futurs acheteurs le 22 septembre. Rien de mal à cela, au contraire : malins comme ils sont, ils ont également commandé une campagne de bannières chez RetailDetail. Seulement voilà, leur agence a été un peu trop créative : elle a appelé l’événement « Bite », espérant que les candidats mordraient à l’hameçon, sans doute, et pensant que ce mot anglais ferait son effet des deux côtés de la frontière linguistique. Quod non, cependant : quiconque maîtrise la belle langue française sait que bite est un terme quelque peu vulgaire pour désigner les organes génitaux masculins. Oups !
La campagne a dû être suspendue dès qu’ils s’en sont rendu compte. C’est un peu bête, quand même. Ils se tenaient là, l’air malin. Avec leur XXL. Vous comprendrez que je n’ai pas pu résister à la tentation de les mentionner dans cette rubrique. Reste à savoir s’ils ne vont pas se vexer. À la semaine prochaine !