Les food-retailers n’ont aucune leçon à recevoir en matière de promiscuité : ces échangistes accomplis changent de partenaires comme de sous-vêtements. Une grande partouze se prépare ainsi dans la douce France – et elle sera lourde de conséquences. Envie de vous rincer un œil ?
Sur les barricades
On commence par une chanson ? « You say you want a revolution, well, you know. We all want to change the world. » C’est à peu près la teneur d’une conversation que j’ai eue en début de semaine avec Michel Mersch : le pourtant toujours aussi aimable patron de Nestlé dans notre pays a décidé de monter sur les barricades et prêche la révolution. Une révolution silencieuse dans l’alimentation, mais quand même. Nestlé veut changer le monde, en commençant par nos habitudes alimentaires. Le steak est out, le soja est in. Nous nous trouvons à un point de basculement vers la neutralité climatique complète, carrément. Ils sont tous devenus hippies en Suisse ? Les sous et les pourcentages n’y sont pas pour rien, bien sûr. Une croissance de 24% pour les substituts de viande : peu de catégories de produits font mieux.
Même si les carnivores les plus invétérés laissent la moitié de leur Sensational Burger dans leur assiette, cela ne posera aucun problème : les restes seront soigneusement recyclés par Too Good To Go, qui a formé une coalition de douze (12 !) marques résolues à faire la guerre aux déchets, des superhéros qui, ensemble, mettront définitivement un terme au gaspillage alimentaire. Super. Ont également décidé de donner un petit coup de main : Colruyt – évidemment – et AB InBev. Les bacs de Jupiler et de Leffe seront désormais livrés par camion à hydrogène. Le brasseur a certes dû promettre de ne faire ses pleins d’hydrogène qu’à des stations Dats24, après tout, les affaires sont les affaires. Mais il ne faut non plus pas négliger les efforts d’Aldi : son centre de distribution de Turnhout inauguré en 2019 serait le quatrième bâtiment industriel le plus durable au monde. C’est l’hôtel pour abeilles qui a fait toute la différence, apparemment. Il s’agit parfois de petits détails, mais la sentence est désormais irrévocable : c’est le secteur des FMCG qui va sauver le monde – et personne d’autre.
C’est compliqué
Pour rester dans les problèmes climatiques : ça chauffe dans le secteur. La semaine dernière, nous n’y voyions encore qu’un fait divers, un incident certes notable, mais plus ou moins isolé. Je veux parler du départ annoncé d’Edeka, le leader sur le marché allemand de la grande distribution, de l’alliance d’achat AgeCore. Une simple menace proférée pour obtenir une plus grande part du gâteau, sans doute. Mais à présent que les Mousquetaires ont eux aussi claqué la porte, plus personne ne miserait un kopeck sur la pérennité du groupement européen. Sic transit gloria mundi. Peut-être que le modèle économique s’est-il tout simplement essoufflé… Quand on a fait plier les plus grandes multinationales les unes après les autres, que peut-on encore avoir comme ambition ? Pas facile.
Tout est donc remis en question. Mais il faut surtout y voir la conséquence des relations complexes qui se sont tissées sur le marché français de la grande distribution. À croire qu’ils ont tous « C’est compliqué » comme statut de relation sur leur profil Facebook. Sauf Intermarché, l’éternelle teneur de chandelle de la grande distribution française. Alors que Carrefour, Système U et Cora se sont retrouvés dans Envergure, qu’Auchan a rejoint Casino au sein d’Horizon, les Mousquetaires se sont retrouvés seuls sur leur marché national. Et ils sont déterminés à ne pas s’y laisser prendre deux fois. Ils ont donc coupé les liens avec tout le monde, pour pouvoir flirter avec qui en a envie. Ça promet de sacrées partouzes ! Ce brusque accès de polyamour trouve son origine dans l’immixtion du gouvernement français dans les négociations annuelles. Mais là, cela devient vraiment compliqué.
Apprentis électriciens
En tout cas, ces besognes relationnelles ont également provoqué une guéguerre de relations publiques dans le secteur. Les fabricants de produits de marque ont saisi l’occasion pour balancer un communiqué de presse qui s’en prend une fois de plus aux pratiques déloyales des alliances dans la grande distribution. En affirmant que leur seul but est de faire disparaître des rayons d’innocentes marques dont le seul tort est de refuser de se laisser racketter. Et qu’il est temps pour l’Europe d’intervenir. Évidemment, la partie adverse a réagi au quart de tour. EuroCommerce, l’association représentant les intérêts de la grande distribution, l’a rappelé une fois de plus : si vous laissez ces infâmes fabricants s’en tirer une nouvelle fois, vous vous retrouverez rapidement avec une courbe de prix exponentielle qui fera passer la troisième vague de l’épidémie pour une plaisanterie.
Les deux parties se jettent ainsi des accusations d’abus de pouvoir à la figure depuis quelques jours. Les fabricants étouffent les retailers avec leurs restrictions territoriales de l’offre. Non, ce sont les retailers qui tordent le bras des fabricants. Vous le savez bien, les multinationales sont des acteurs mondiaux, les détaillants, des petites crevettes locales. Non, ce sont les détaillants qui ne jouent pas le jeu avec leurs marques de distributeur et les masses de données qu’ils recueillent sur les clients. Et ainsi de suite. Bref…. Quelqu’un pourrait-il trancher le débat ? Nous avons tenté de faire le point dans une analyse un peu plus approfondie. Conclusion ? « Les fabricants sont tout simplement meilleurs en matière de lobbying. Et les politiciens et les eurocrates qui doivent s’exprimer à ce sujet n’y comprennent rien : des apprentis électriciens à qui on demanderait de contrôler une centrale nucléaire. » Dixit une autorité respectée – pas un physicien nucléaire pour autant, c’est vrai. Bon.
Sur le gril
Vous l’avez remarqué, vous aussi ? On n’entend guère de plaintes sur les autres alliances d’achat ces derniers temps. Non pas qu’elles distribuent les cadeaux, mais au moins se comportent-elles essentiellement comme des centres d’achat et pas comme des agences de recouvrement de dettes. Et cela fait une sacrée différence. Mais les fabricants qui rêvent que l’implosion d’AgeCore et les procès en cours mettront fin à l’impact des groupes d’achat internationaux ont intérêt à se réveiller rapidement.
Car que prédit mon bon ami et expert en retail Marcel Corstjens face au toujours éminent chroniqueur de LZ, Mike Dawson ? « You ain’t seen nothing yet! » En effet, des groupements d’achat encore beaucoup plus importants seraient en gestation. Et notamment des alliances transatlantiques qui mettront les quelque 70 plus grandes marques mondiales sur le grill comme elles ne l’ont jamais été auparavant. Le tout dans le seul intérêt des consommateurs, cela va sans dire. Vous avez un long week-end de Pâques pour réfléchir aux conséquences possibles. De toute manière, les barbecues sont toujours interdits. À la semaine prochaine !
Vous souhaitez recevoir chaque vendredi un résumé de l’actualité FMCG dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous ici pour recevoir la newsletter gratuite de RetailDetail Food.