L’année du foodretail a commencé avec des résultats rouge foncé et des folies jaune vif, le tout agrémenté de quelques pointes d’arrogance. On a également appris qu’un boycott n’était pas l’autre. Une nouvelle série de téléréalité ? La vie telle qu’elle est : c’est votre Filet Pur !
Pas de Pepsi ? Pas de problème !
« – Nous avons arrêté les livraisons ! » « – Pas du tout, c’est nous qui avons décidé de ne plus rien commander ! » On a peine à y croire, mais c’est pourtant vrai : de nos jours, retailers et marques se chamaillent publiquement non seulement sur les prix d’achat, mais aussi sur les pratiques de chantage qu’ils utilisent les uns contre les autres. Ce serait hilarant si ce n’était pas aussi assez pathétique. Alors que ces négociations annuelles étaient autrefois top secret, les personnes concernées n’hésitent plus à appeler elles-mêmes la presse de boulevard pour redorer leur image. Significatif. Une vraie série de télé-réalité : La vie telle qu’elle est – aujourd’hui : le responsable des achats d’un supermarché. Avec une voix off sombre et menaçante bien comme il faut.
Car oui, c’est à nouveau la guerre. D’abord – et encore – entre Carrefour et PepsiCo – et ce, pendant des vacances dont j’avais cruellement besoin qui plus est. Des rayons vides, qui font peut-être plus de mal au retailer qu’à quiconque, d’ailleurs. Pas de Pepsi ? Pas de problème, personne ne boit ça. Mais pour les tranches de pommes de terre hautement addictives de Lays, le crack le plus croustillant du rayon « Grignotages en tous genres », le consommateur n’hésitera pas une seconde à se rendre dans un autre supermarché. Le rayon chips chez Delhaize était parfaitement achalandé cette semaine. Une opportunité unique de reconquérir quelques âmes perdues que les réductions Nutri-Boost laissent froides.
Exercice de musculation pour la galerie
Cela se fritte également entre Jumbo, Haribo et Coca-Cola. Selon les initiés, le Péril Jaune aurait lui-même chassé ces sucreries de ses rayons, mais c’est le géant des boissons rafraîchissantes qui a refusé de les livrer jusqu’à ce qu’un meilleur accord soit trouvé. Et manifestement, cela a porté ses fruits. La situation s’est également tendue avec Pringles, Croky et Corona (la bière, pour éviter malentendu, mais tout est également aplani de ce côté). Alors OK, ils sont désormais membres de deux alliances solides, mais ils devraient quand même éviter tout excès d’arrogance à Veghel. Il n’a jamais été prouvé que ces boycotts apportaient des avantages significatifs. De simples exercices de musculation pour la galerie.
Car ce n’est pas comme s’ils pouvaient présenter un bon bulletin 2023 : l’année s’est soldée par une nouvelle perte de parts de marché aux Pays-Bas, la deuxième consécutive. Et nous n’avons pas encore vu les résultats financiers. Ils se cherchent. Et ils ont donc besoin d’argent. Notamment pour continuer à financer leur coûteuse expansion en Belgique. Car non, malgré l’insistance de notre Captain of Retail, ils ne veulent toujours pas quitter notre beau pays. Comment peuvent-ils ignorer les conseils gratuits du plus grand gourou du retail du Benelux* ? Incompréhensible…
Entre le marteau et l’enclume
D’ailleurs, il leur sera de plus en plus difficile d’abandonner la partie avec les années : plus ils ouvrent de beaux magasins, plus il leur sera coûteux de jeter l’éponge, et plus la retraite sera humiliante. C’est être pris entre le marteau et l’enclume, comme on dit… Certes, j’attends avec impatience le premier marché Foodmarkt flamand. Mais 50 magasins d’ici à la fin de 2025 ? Non, je ne pense pas. D’autant qu’avec 50 magasins, on est encore un nain dans ce petit pays, même quand on porte un nom inspiré d’un éléphant. Alors, Jumbo ou Dumbo ? Qu’ils ne le prennent pas personnellement à Brasschaat : je pose simplement des questions, c’est mon boulot…
Ce n’était d’ailleurs pas la seule manifestation de cette arrogance typiquement néerlandaise ces dernières semaines. Prenez Crisp : perte de 50 millions d’euros et croissance du chiffre d’affaires de « seulement » 43 % en 2022. Voyez-vous votre supermarché supporter de tels résultats ? Il est encore trop tôt pour les résultats de 2023, mais le marché du frais en ligne veut déjà faire des bénéfices cette année aux Pays-Bas, et l’année prochaine chez nous. Really ? D’accord, ils offrent un peu moins de courses gratuites actuellement, mais tout de même : je n’en crois pas un iota. Le toujours très pertinent chroniqueur financier du Financieele Dagblad a fait le calcul pour nous : les charges salariales et les frais de fonctionnement s’élèvent déjà à plus de 63 millions d’euros en 2022, alors que le résultat d’exploitation ne dépasse pas 15 millions. C’est mission impossible.
Un peu de patience…
Attention : en tant que consommateur, j’espère qu’ils y arriveront. Car où pourrais-je encore commander d’excellents salsifis bio (conseil : ils s’épluchent beaucoup plus facilement que les salsifis ordinaires) ? Des épinards sauvages ? Des avocats parfaitement mûrs ? Oui, c’est à vous que je m’adresse, acheteurs de Halle, Zellik et Zaventem. Dans de nombreux domaines, Crisp fait ce que le supermarché ne veut pas (plus) faire et ce que le primeur ne peut pas (plus) faire. C’était notre pause publicitaire.
Et ces résultats orange sanguine (c’est la saison) ne sont rien comparés à la performance ahurissante de Picnic, qui a enregistré une perte de 209 millions d’euros (!) en 2022. La situation était « relativement meilleure » en 2023, selon son directeur Michiel Muller (le frère de). Traduction : les pertes se sont encore creusées, mais sur un chiffre d’affaires plus élevé. Il demande un peu de patience. Mais encore une fois, quand on compte Bill Gates parmi ses amis, on n’est pas à une centaine de millions de plus ou de moins. Évidemment, c’est tout de suite beaucoup moins compliqué. Et ils peuvent repartir pour une nouvelle année. Bientôt, ce supermarché en ligne n’emploiera plus que des robots. Difficile d’organiser de petites fêtes dans ces conditions…
Pas si génial que ça
Enfin, encore ceci. Delhaize se prend pour Spotify. Les clients Superplus ont reçu leur propre rétrospective par courrier cette semaine : un retour annuel plutôt révélateur de leurs produits préférés, de leur rayon favori, des points économisés, etc. Une invention géniale du service marketing. Ou pas ? D’accord, la conclusion selon laquelle les fruits et légumes s’avèrent être mon rayon préféré, je peux l’accepter. Que j’ai économisé 22 mètres de papier grâce au ticket de caisse numérique, ça va. Mais que le pack de quatre Orval trône sur mon podium… Bon ben je vais m’en servir un, je crois. Et que cela ne leur donne pas des idées chez Colruyt. À la semaine prochaine !
*Je rectifie. Bien entendu, notre Grand Timonier n’est pas le plus grand gourou du retail du Benelux : ce serait sous-estimer grossièrement sa sphère d’influence. Du monde ! Sorry, patron !