Les discounters sont une émanation de ce luxe discret qu’apprécient tant les plus riches, les multinationales sont toujours au régime forcé et nous avons un nouveau vainqueur au grand jeu du « Comment se tirer une balle dans le pied en voulant bien faire ? ». Ce n’est en tout cas pas un vendredi noir pour Filet Pur.
Discret
Cinq, c’est un de plus que quatre. Avec cinq ouvertures de magasins en Flandre cette année, Albert Heijn a fait donc mieux que son rival Jumbo. Mais pas non plus beaucoup beaucoup mieux. Le cap symbolique des cent magasins ne sera pas donc franchi l’année prochaine, ni l’année suivante. L’ouverture d’immenses magasins n’est plus dans l’air du temps : le marché est saturé, les concurrents se mettent des bâtons dans les roues, l’administration trainasse, les pouvoirs locaux hésitent, les citoyens se sont habitués aux embouteillages. Ce qui n’a pas empêché quelque trois cents personnes de se masser devant les portes du nouveau AH ce mercredi matin, malgré la pluie. Apprenez à connaître les gens : s’ils pensent qu’il y a quelque chose à choper, ils seront là.
Bébert se profile comme une sorte de discounter en Flandre, au grand étonnement de nombreux Néerlandais d’ailleurs. Mais la réalité est qu’il n’y a plus de véritables discounters, et la semaine écoulée en a apporté une nouvelle démonstration. Car qu’avons-nous trouvé en page 5 du Tijd de jeudi ? Un long entretien en pleine page avec la sommelière Lieve Conard, qui recommande une sélection de vins de fête prestigieux à des prix compris entre 7,99 et 17,99 euros. Le tout dans le style épuré caractéristique du quotidien économique rose saumon. Il fallait regarder dans le coin supérieur droit pour comprendre qu’il s’agissait d’un publireportage, et qui l’avait payé : le lecteur attentif pouvait en effet y déceler un discret logo.
Des gens ordinaires
Le logo d’Aldi, plus précisément. Une belle illustration d’une règle d’or : il faut aller chercher l’argent là où il est. En l’occurrence, chez les magnats de l’immobilier, les traders, les banquiers d’affaires, les investisseurs en capital-risque et les CEO. Les gens qui apprécient le luxe discret. Qui, malgré leur fortune, ont toujours gardé une tendresse pour les petits plaisirs de la vie. Et qui n’ont pas peur de se rendre à l’occasion dans un magasin pour les gens ordinaires. Ou d’y envoyer leur personal shopper, c’est aussi possible.
Un communiqué de presse d’Erpe-Mere annonçant qu’ils accepteront désormais les cryptos la semaine prochaine ? On n’en est plus très loin. Le communiqué de presse de ce matin se bornait toutefois à annoncer l’ouverture d’un troisième magasin urbain compact à Uccle. Certes, c’est le plus grand des trois. Et je peux me tromper, mais l’Aldi de ma commune – qui est aussi, officiellement, une ville – n’est pas beaucoup plus vaste. Peut-être un peu moins bien agencé.
Pots cassés
Nous savions déjà que les marques étaient à plaindre, mais nous ne savions pas à quel point. La quasi-totalité d’entre elles ont connu des problèmes d’achats, d’approvisionnement ou de production l’année dernière, et souvent les trois en même temps. Une chaîne logistique perturbée, c’est la nouvelle normalité, et il était évident que cela aurait un impact sur les coûts.
Mais les trois quarts d’entre elles ont réussi à répercuter au moins une partie de ces hausses de coûts sur leurs clients retail. De quoi se plaignent-elles par conséquent ? C’est généralement le consommateur qui paie les pots cassés, non ? Et surtout en Belgique, où, selon un énième rapport, les prix des denrées alimentaires ont beaucoup plus augmenté que dans les pays voisins ces trois dernières années. Ben oui, on n’avait pas besoin de recherches académiques pour le savoir, M. Dior. Nous nous en étions parfaitement rendu compte par nous-mêmes. La question est désormais : qui fera quoi ?
Signe des temps
Tout doit partir ! Mais alors vraiment tout. Ou du moins tout ce qui est plus ou moins comestible : Hein Schumacher en a assez de cette croissance à un chiffre de sa division Food. Unilever veut donc se débarrasser de sa marque de niche pourtant prometteuse pour les alternatives à la viande. Il faut dire que Le Boucher Végétarien n’a pas cassé trois pattes à un canard après six ans dans la multinationale, la concurrence n’a fait qu’augmenter et les consommateurs ne débordent pas d’enthousiasme. Trop cher, pas surperbon.
Peut-être aussi une question d’époque : la fausse viande, c’est désormais pour les lopettes, et de nombreuses grandes entreprises sont aujourd’hui pressées de se débarrasser de toute référence à quoi que ce soit qui pourrait même être vaguement évocateur de tolérance, de diversité ou de woke. Oui, Walmart, je parle de toi. Peur de ce clown orange et de sa bande de voleurs ? Money talks, bullshit walks : chez AB InBev, on ne sait que trop bien ce que peut coûter la vengeance des rednecks.
Samba
Le populisme est loin d’être l’apanage des politiques. Demandez à Alexandre Bompard, qui a cru bon d’apaiser la colère des agriculteurs français en promettant que pas un gramme de viande brésilienne ne se retrouverait jamais dans les rayons français, accord avec le Mercosur ou pas. Osé. Il espérait redorer son blason à bon compte, mais il a dû rapidement ravaler ses paroles. Une petite faute d’inattention. Ça peut arriver. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il se tire une balle dans le pied – rappelez-vous ses accusations de shrinkflation à l’encontre de certaines marques, alors que les retailers faisaient exactement la même chose avec leurs marques de distributeurs.
Mais comment le brave homme a-t-il pu oublier malencontreusement que le Brésil pèse un cinquième du chiffre d’affaires de son Carrefour bien aimé ? N’aurait-il pas pu voir venir de loin que les éleveurs et les abattoirs brésiliens réunis ne risquaient pas de siffler de joie dans leurs Apitos ? Le ministre de l’agriculture local lui-même a pris soin de le rappeler à l’ordre. Les excuses n’ont pas tardé. Mais pas de la part des Mousquetaires, qui n’ont pas hésité à verser dans la surenchère. Ben oui, eux n’ont pas de magasins au Brésil. Dans ces conditions, tout est plus facile.
Ici non plus, il n’y aura pas de T-Bone steak brésilien au menu ce soir, mais pas de Poulettekes non plus, malgré la nouvelle recette. Et chez vous ? À la semaine prochaine !