Les hard-discounters sont invincibles, les Néerlandais viennent nous donner une leçon de cuisine et d’efficacité dans l’e-commerce, et les marques pratiquent une politique de prix suicidaire. Filet Pur à la rescousse !
Flute de champagne
Si l’affluence de lundi dernier est un indicateur fiable des mois et années à venir, les choses s’annoncent bien pour ce Sligro entièrement rénové à côté du stade des Buffalos. Selon nos estimations, c’est en effet près de la moitié de l’horeca gantois qui s’est déplacée dans l’ancien ISPC. Mais il y avait de quoi faire : si vous vouliez goûter la totalité des délicieux échantillons présentés, il vous fallait facilement toute la journée – et un estomac très solide. En quelques semaines, la ville d’Artevelde s’est donc enrichie de deux hauts lieux de la gastronomie, tous deux pilotés depuis Veghel. Il n’y a jamais de hasard. Mais : un tiers de l’assortiment est belge, ont insisté les Néerlandais.
Comme leurs collègues de Jumbo, les gens de Sligro semblent beaucoup plus confiants dans leurs activités en Belgique à présent que tous les magasins ont été (élégamment) rénovés et qu’ils ont trouvé une solution aux problèmes informatiques persistants. Bref, ils auraient dû mettre la direction belge à la porte depuis longtemps. Bon, d’accord, le chiffre d’affaires belge a encore baissé de 10%. Sur leur marché domestique, la fin de la vente de tabac dans les supermarchés a déplacé la clientèle vers les grossistes, mais il ne s’agit que d’un phénomène temporaire. Il est trop tôt pour sabrer le champagne. Bien que de nombreux invités aient été très heureux de voir leur flute se remplir constamment, pour un lundi matin.
Dans le vif
Peu de raisons de se réjouir en revanche pour les producteurs de produits de grande consommation alors que les consommateurs s’entêtent à faire attention à la dépense. Les hausses de prix effrénées de ces deux dernières années leur reviennent comme un boomerang en pleine figure : de nouvelles augmentations sont inenvisageables et les volumes sont désespérément à la traîne. Chez Nestlé, on s’est ainsi résolu, bien à contrecœur, à trancher dans le vif. Il devrait ainsi être possible de faire tourner le groupe avec une flopée de managers en moins, pense Laurent Freixe, récemment nommé à la tête de l’entreprise. C’est un début.
Mais là encore, que voulez-vous ? Alors que les supermarchés actionnaient tous les leviers dont ils disposent pour réduire la différence de prix entre leurs marques maison et l’offre des hard-discounters à 6% à peine en moyenne – sacrée performance d’ailleurs –, les grandes marques ont laissé l’écart se creuser inconsidérément : il atteint déjà quelque 50%. Il y a beaucoup à dire sur les responsables des achats, mais ils ne sont pas complètement fous – du moins pas tout le temps. Conclusion d’un nouvel ouvrage de référence sur l’industrie européenne des marques de distributeur : il n’y a aucun moyen de concurrencer ces discounters décidément trop coriaces.
Amour impossible
Même ces fameuses alliances internationales ne permettent pas aux chaînes de supermarchés nationales de se mettre au niveau de ces Allemands hyperefficaces, et actifs à l’échelle mondiale. Edeka et Jumbo remettent à présent ces tubes de Pringles en rayons, mais nous ne savons pas exactement qui a gagné quoi au terme de cette campagne de boycott. La seule certitude est que toutes les parties concernées ont souffert d’un lourd manque à gagner pendant de nombreux mois.
Que penser dans ces conditions du communiqué de presse triomphal d’EMD, le club où Colruyt, entre autres, achète certains de ses produits de marques de distributeur ? Ils ont signé un accord avec le géant sud-coréen Lotte. Pour remplir des porte-conteneurs de kimchi bas de gamme, peut-être ? Ou négocier des prix encore plus avantageux pour les fameux fruits de mer Guylian, qui sont la propriété de ce groupe ? Fact : le fondateur Shin Kyuk-ho a donné à son entreprise le nom de Charlotte en référence à l’amour impossible du héros des Souffrances du jeune Werther de Goethe. Un romantique !
Argent européen
Mais nous digressons : nous en étions en effet aux hard-discounters, qui eux n’ont rien de romantique. Mauvaise nouvelle pour les supermarchés – dont Colruyt, CoMarkt, Lidl, Carrefour Market et Delhaize – de Braine-l’Alleud : depuis mercredi, Aldi contribue également à l’atmosphère chaleureuse et à la convivialité de cette commune pourtant à fort pouvoir d’achat, avec son magasin n° 443. Il faut aller chercher l’argent là où il se trouve, pas vrai. Chez les Eurocrates, donc. Vous connaissez l’adage : « Poor people need low prices, rich people love them. » D’autant qu’il ne reste a plus beaucoup de territoires vierges pour le retailer : la probabilité qu’ils atteignent un jour la barre des 500 magasins est pratiquement nulle.
Et ils ont d’ailleurs de la chance que l’e-commerce ne décolle pas vraiment dans l’alimentation : sa part de marché n’y dépasse pas 3%, selon le dernier baromètre de la fédération sectorielle Becom. Les supermarchés en dur n’ont pas à craindre pour leur survie pour l’instant. Même s’il y a aussi des success-stories : les Néerlandais (encore eux) de Crisp ont enregistré une augmentation de 25% de leur chiffre d’affaires et atteint le seuil de rentabilité sur leur marché national – en Belgique, ce sera pour l’année prochaine, selon le plan. Vous vous demandez comment ils s’y prennent, pas vrai ?
Assez simple
Je peux imaginer quelques éléments de réponse… D’accord, il est plus facile de grandir quand on est encore petit. Mais le simple fait que cette scale-up se focalise à 100% sur le commerce en ligne, par exemple, fait une vraie différence par rapport à des grandes enseignes qui voient toujours l’e-commerce comme une activité secondaire aussi barbante que coûteuse, pour laquelle elles peinent à cacher leur aversion. Pour le reste, le commerce de détail est assez simple : avec un assortiment distinctif, des prix raisonnables, une communication claire, une application conviviale, un service de qualité et une logistique intelligente, vous irez déjà loin. Y compris si vous vendez des boxes repas. L’exécution reste primordiale.
Enfin, encore ceci. Il ne faut jamais hésiter à agacer un peu ses clients. Cela a ainsi valu à Delhaize une belle publicité gratuite cette semaine. Le JEP n’a reçu que deux (2 !) plaintes en une année entière à la suite de ce spot où des ados je-sais-tout font découvrir à leur grand-père des chips de lentilles et des glaces aux légumes. Mais il n’en serait pas moins stigmatisant et condescendant aux yeux de l’OKRA, une association de seniors qui consacre ainsi le cliché de personnes âgées pénibles et promptes à râler sur tout et n’importe quoi.
Et qui porte le nom d’un légume tropical que l’on voit rarement au supermarché. Je me demande si papy en mange. Astuce : on trouve des okras – autre nom de gombos – au marché, du moins en ville, et il suffit de les faire cuire avec un peu d’ail dans une sauce tomate, par exemple. Mais bien assaisonner, hein ! À la semaine prochaine !