Les shoppers sont des somnambules, les fabricants de marques sont de gros losers, tandis que les retailers par pur désespoir adoptent des pratiques de vente douteuses. Voilà, résumée en quelques mots, la situation du food retail aujourd’hui.
Ultra-transparent
Je n’irai pas par quatre chemins : une bande de minables incompétents, voilà ce que vous êtes. Eh oui, maintenant que mon association professionnelle vient de créer un point de contact pour les agressions envers les journalistes, je ne mâche plus mes mots. Comprenez-moi : que les shoppers errent comme des somnambules dans les allées du supermarché et jettent systématiquement les mêmes paquets de café, de céréales et de produit de lessive dans leur chariot, ça on le savait déjà. Qu’ils se laissent docilement embobiner par des promotions trompeuses, sans même sortir leur calculette, ça aussi on le savait déjà. Mais que vous, professionnels du retail chevronnés, ne valiez pas mieux, là j’ai été un peu déçu.
Je m’explique. Une partie non négligeable des retailers et des fabricants de marques de notre pays semblent ne pas être au courant de la politique de prix régionale pratiquée par Colruyt. Certains pour leur part pensent qu’Albert Heijn adapte ses prix au niveau régional. Une grande majorité pense que les prix en ligne dans le secteur FMCG sont identiques à ceux pratiqués dans les magasins physiques. Les fabricants croient même que le prix de vente de leurs produits est adapté moins d’une fois par mois. Bref, l’ignorance totale ! Bon, pour Colruyt c’est plutôt une bonne nouvelle. Leur politique de prix est à ce point transparente que plus personne ne se rend compte de ce qu’ils manigancent, là-bas à Hal. Chapeau ! Mais en tant que fabricant de marques je me demanderais quand même si tous ces brand warriors et ces business development managers de l’équipe méritent leur grosse voiture de société. Ce qui nous amène donc à cette question existentielle : bon dieu, ces gens-là lisent-ils RetailDetail ?
Réveillez-vous
D’ailleurs cette semaine les grandes marques FMCG ont été particulièrement visées, notamment par Koen de Jong, expert réputé en marques maison : « Les grandes marques A s’étiolent parce qu’elles tardent à innover, tandis que les retailers sont beaucoup plus flexibles », affirme-t-il. Les multinationales sont dirigées par des financiers du style Warren Buffet, qui ne se préoccupent pas du consommateur. Ils sont à ce point plongés dans leurs tableaux Excel et leurs graphiques boursiers, qu’ils en oublient que le shopper a fondamentalement changé et l’univers du retail aussi. Le modèle d’affaires d’Aldi et Lidl est quasiment imbattable. Wake-up call : en continuant ainsi les marques verront leur part de marché et leur cours boursier chuter.
Non pas que toutes les multinationales soient endormies. Chez Unilever, par exemple, ils sont pleinement conscients des grands défis écologiques auxquels ils doivent faire face : l’huile de palme, le plastique, le CO2, … ça n’en finit pas. La CEO belge Sophie Souied plaide carrément pour une taxe environnementale. Si nous ne devenons pas durables, nous disparaîtrons, prédit-elle. Car personne ne veut travailler pour un moghol qui pollue la planète et exploite les gens.
Tout aussi éveillé : Henkel qui se lance dans le véganisme. Je vous vois sourciller ? Effectivement, le groupe n’a jamais produit quoi que ce soit de mangeable, mais les produits de beauté, eux aussi, contiennent des ingrédients d’origine animale. Ce qui n’est pas pour plaire aux millennials et aux centennials. Dépêchez-vous de retirer ce shampooing au jaune d’œuf des rayons, avant que Gaia ne le fasse.
Un vélo rouillé
Une fois de plus, Colruyt a reçu cette semaine un conseil bien intentionné, et ce de la part de notre Captain of Retail en personne. Le discounter ne doit plus se cramponner à sa promesse du meilleur prix, estime-t-il. Parce que c’est un combat perdu d’avance, lorsque vous avez affaire à des concurrents comme Amazon et Alibaba. Le meilleur prix est mort, misez plutôt sur la durabilité, conseille notre père fondateur. Mais tiendront-ils compte de cette recommandation à la Edingensesteenweg, j’en doute.
Quoiqu’il en soit le discounter continue de bâtir son vaste empire avec la reprise de Fiets!, une chaîne de magasins au nom particulièrement original pour un marchand de vélos. Question simplicité, on ne pouvait faire mieux. En outre, c’est un bel exemple d’intégration verticale : Colruyt s’offre un fournisseur de vélos de société et peut recharger les exemplaires électriques avec ses propres éoliennes. C’est clair, on ne peut plus clair : Jef suit les traces de Jeff. Colruyt devient un ‘everyting store’, mais à modeste échelle belge.
Petite remarque toutefois. Fiets! n’est pas une bécane particulièrement rutilante. Ses pneus sont crevés, sa chaîne rouillée, ses freins usés. Ce deux-roues boiteux a un parcours chaotique derrière lui et reste embourbé dans les dettes. Ils doivent être bien sûrs de leur coup là-bas à Hal. Je ne veux rien dire, mais nous avons déjà vu naître et disparaître dans notre petit pays un géant du retail omniprésent, apparemment intouchable. Ceux d’entre vous qui sont vieux assez que pour avoir vécu en live la chute de GIB Group, se souviendront sans doute d’un spectacle peu éclatant.
Frottage de derrière
Le nu se vend bien. Du moins c’est ce qu’ils pensent chez Albert Heijn. Dans les mois à venir plus de cent sortes de fruits et légumes y seront vendus en toute nudité. Mais ne vous emballez pas, il ne s’agit pas du personnel qui, en tenue d’Adam et Eve, vendrait des pommes et des concombres, non il s’agit ici de la suppression complète des emballages plastiques au rayon frais. Comme si c’était une nouveauté : au marché ils le font déjà depuis des centaines d’années.
Et connaissez-vous le ‘butt brush effect’ ? Il s’agit de ce sentiment d’exiguïté désagréable que ressentent les shoppers lorsqu’il y a trop de monde dans le magasin, ce qui fait que sans cesse les gens derrière eux leur frottent le derrière. Et ils n’aiment pas ça. Conséquence : perte de chiffre d’affaires, puisque du coup les clients fuient le magasin. Et nous apprenons maintenant que ce ‘butt brush effect’ existe aussi online : si le processus d’achat ne se déroule pas de manière fluide ou s’accompagne d’une surabondance de pop-ups et autres promotions, l’e-acheteur a l’impression de se faire tripoter le derrière et renonce à son achat. Voilà l’un des nombreux enseignements édifiants que nous avons retenus du Trade & Shopper Marketing Congress, qui s’est tenu hier. Si vous n’y étiez pas, vous auriez dû y être, car prenez garde, tantôt on vous traitera de minables incompétents. A la semaine prochaine !
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