Pourquoi les magasins urbains font faillite, pourquoi les détaillants deviennent des prédicateurs et pourquoi les députés européens n’aiment pas le tofu : une fois encore, Filet Pur analyse sans pitié les grandes questions alimentaires de notre époque.
Regarder, pas acheter
Commençons par une minute de silence, en l’honneur de la mort prématurée et inopinée d’un concept de vente au détail pourtant prometteur. Du côté de la vraie vie du citadin occupé et du navetteur pressé : telle était la mission de Delhaize Fresh Atelier, cette belle formule tendance et acclamée. Les mâchoires se sont décrochées de stupéfaction lors de son lancement et les jurys n’ont pas tari d’éloges (et oui, je plaide coupable, Votre Honneur). Ils devaient en ouvrir au moins deux cents. Il n’y en a jamais eu plus de 10. La formule n’a pas pu résister au virus qui ravage les centres-villes. Et, voyons les choses en face, Fresh Atelier n’a jamais bénéficié des conditions idéales pour concrétiser son ambition de faire également office de point de collecte pour les courses en ligne.
Pourtant, le détaillant se refuse à parler d’échec : c’était un projet instructif, dont les éléments les plus intéressants pourraient être étendus à d’autres formules de vente au détail, annonce-t-il. N’avons-nous pas déjà entendu ça quelque part ? « Red Market », ça vous dit quelque chose ? Exactement. Un autre célèbre concept sur lequel le monde entier avait les yeux rivés. Mais pas pour acheter. Voilà. Ah, comme l’avait écrit le tout aussi célèbre Samuel Beckett (prix Nobel de littérature 1969) : «Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.» Et c’est bien ce qu’ils ont l’intention de faire : je suis curieux de connaitre le nouveau projet que le détaillant nous mijote. Pas vous ?
Marquer des points
Non, pour l’instant, ce phénomène typiquement français du drive piéton ou du point de collecte urbain ne marchera pas en Belgique. De plus, si vous voulez introduire des points de ramassage en ville, faut-il également installer une épicerie de pointe 3.0 ? Colruyt mise également sur une approche « lean & mean » : désormais, un vélo cargo de Collect&Go achemine les courses jusqu’à la place Flagey ; vous voyez, cette zone animée à Uccle pas du tout anti-coronavirus. Encore un projet test à petite échelle du détaillant. Et il nous prépare quelque chose d’autre pour la semaine prochaine. Il faut se faire plaisir. Et qui ne tente rien n’a rien.
Aujourd’hui, essayer c’est innover. Ils en sont également convaincus chez Cora : ils ont conclu un accord avec Uber Eats pour livrer leurs courses aux jeunes citadins de Woluwe et d’Anderlecht. En une demi-heure. Pas mal, quand on sait qu’il faut au moins une demi-heure pour préparer les commandes dans ce gigantesque hypermarché. Les clients doivent donc se contenter d’un choix limité parmi l’offre presque illimitée du détaillant. Pourquoi commander dans un hypermarché quand vous n’avez pas plus de choix que dans votre magasin de proximité ? La question mérite d’être soulevée.
Malbouffe végane
Vous l’avez remarqué, vous aussi ? Les détaillants deviennent des prédicateurs. D’abord, il y a eu Delhaize avec ses rabais sains : manger sain ou ne pas manger, en gros. Si nous n’apprenons pas spontanément à faire des choix plus raisonnables, le détaillant nous donne un coup de pouce. Tout comme Lidl, avec son encouragement extrême. Et, désormais, Carrefour veut également convaincre ses clients d’acheter des produits plus sains et plus durables. Le détaillant a lancé la semaine de transition alimentaire : vous gagnez des points bonus supplémentaires si vous achetez des pâtes acheminées jusque dans les magasins par des moyens de transport responsables, des yaourts locaux ou du fromage dans un emballage recyclable, par exemple. En outre, c’est main dans la main que les détaillants vont résolument freiner le réchauffement climatique. Puisqu’ils ne peuvent apparemment pas le faire seuls, ils vont s’entraider. Les plus grands noms sont déjà de la partie. Et vous ?
De plus, ils deviennent tous véganes. Lundi, on sonne à la porte : un coursier de PizzaHut, avec la très attendue Beyond Pizza, dont le lancement initialement prévu au mois de mars avait été habilement contrecarré par un virus qui, selon certains, serait intimement lié à nos odieuses tendances carnivores. Heureusement, la solution est désormais disponible en ligne. Et force est de constater que c’est plutôt pas mauvais. Ou vous pouvez aller sur Appie : parce qu’ Albert Heijn devient aussi végan. La gamme a tout simplement doublé afin d’encore mieux servir les flexitariens parmi nous. D’ailleurs, cette démarche n’est absolument pas motivée par la santé. Regardez : ils lancent des mini fricadelles, des ailes de poulet sans os et d’autres fantaisies végétales à jeter dans la friteuse. Pourquoi les substituts de viande cherchent-ils à tout prix à imiter la sinistre malbouffe, c’est un mystère.
Cylindre de soja
La Commission européenne n’en veut pas non plus : elle porte une oreille attentive au lobby européen de la viande, hyperactif et bien sponsorisé, qui se sent sévèrement lésé par l’utilisation inappropriée de termes tels que « burger de légumes » et « saucisse de soja ». Dorénavant, nous devrons manger des disques de légumes et des cylindres de soja. C’est sérieux : un vote sur la question est prévu la semaine prochaine. Comme il est bon de constater que nos mandataires européens bien payés ont le sens des priorités. Purement dans l’intérêt du consommateur sans méfiance, bien sûr, qui pourrait inconsciemment acheter une tranche de légumes alors qu’il pensait acheter un burger reconstitué de viande rose vif séparée mécaniquement.
Tant qu’à faire, ne devons-nous pas aller plus loin, chers lobbyistes ? Pourquoi les fabricants de bonbons sont-ils encore autorisés à appeler leurs bonbons souris des « souris » ? Le terme « tomate cœur de bœuf » ne porte-t-il pas à confusion ? Il y a du lapin dans la sauce lapin, peut-être ? Des brontosaures dans les biscuits Dinosaurus ? Du tigre dans le pain tigré ? Un oiseau dans l’oiseau sans tête ? Peut-être faudrait-il d’abord s’assurer qu’il y ait de la vraie viande dans une croquette de viande, par exemple. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, nous avons un accord. OK ? À la semaine prochaine !
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