L’inflation est une bénédiction pour certains acteurs de la grande distribution, une malédiction pour d’autres. Mais sans doute pas ceux auxquels vous pensez. Entre-temps, Filet Pur met le doigt sur le point sensible : l’angle mort de la distribution alimentaire belge. Envie d’en savoir plus ?
Pas normal
La grande distribution est un vaste circuit de vases communicants. Il suffit que Tesco annonce un avertissement sur bénéfices pour que l’action Colruyt s’effondre. Les investisseurs sont apparemment peu convaincus de la capacité de Colruyt à appliquer les augmentations de prix nécessaires pour préserver ses marges. De plus, aucune chaîne de supermarchés ne pourra répercuter 100 % de l’inflation sur le pauvre consommateur, cela paraît évident.
Mais pourquoi le numéro un belge est-il plus sévèrement sanctionné que ses concurrents ? Théoriquement, l’inflation favorise les discounters : ils peuvent augmenter leurs prix tout en restant les moins chers et attirer donc encore plus de clients attentifs à la dépense. Du moins, c’est ce qui se passe dans un marché normal. Mais la Belgique n’est pas un marché normal et Colruyt n’est pas un leader normal. Sa stratégie consistant à suivre les tarifs de la concurrence est géniale tant qu’on reste un challenger, un outsider. Mais aujourd’hui, Colruyt est dépassé par les circonstances et coincé par un challenger qui exploite les règles du jeu à son profit. Pas évident.
Aucun retournement de situation
De son côté, Frans Muller n’est pas trop inquiet. Il n’est guère question de crise énergétique outre-Atlantique, et les magasins aux États-Unis tournent bien. En Europe, Ahold Delhaize, champion des marques de distributeur, est bien parfaitement armé pour faire face à la situation. Et une chaîne comme Delhaize peut augmenter les prix à sa guise sans incommoder ses clients privilégiés. Une marge opérationnelle de 4 % ? Sans problème! J’imagine que la concurrence crève de jalousie. Reste à savoir s’ils y parviendront.
Alexandre Bompard envisage également l’avenir avec confiance. Carrefour ne se contente pas de résister. Grâce à son bon ami Emmanuel Macron qui a eu la gentillesse de geler les prix de l’énergie à l’approche de l’élection présidentielle afin que les consommateurs français soient relativement protégés de l’hyperinflation qui sévit dans le reste de l’Europe. Il n’y a qu’en Belgique où la situation est plus délicate: encore une baisse de 7 %. Jusqu’où peut-on s’enfoncer ? Les excuses ne manquent pas : base de comparaison difficile, concurrence rude… Et toutes sont recevables. Reste qu’on attend toujours le premier indice de redressement…
Doigt
Plusieurs marques et chaînes supermarchés avaient imaginé quelques jolis attrape-nigauds pour la Journée de la Terre d’aujourd’hui, mais elles devraient éviter tout péché d’arrogance, surtout concernant leurs ambitions en matière de durabilité. On a pu s’en apercevoir ces derniers jours. Lors de l’assemblée générale de Zaandam, Frans Muller a eu droit à un sacré savon : des militants écologistes estiment qu’Ahold Delhaize en fait trop peu pour le climat et ils l’ont fait savoir à voix haute. Ils menacent même d’intenter une action en justice. Depuis Shell, on sait comment tout cela peut se terminer (mal). Mais le CEO s’est contenté d’un maigre « C’est compliqué, nous allons examiner la question ». Pas de promesses fermes, donc, si ce n’est que les 200 plus grands fournisseurs devront faire leur devoir et cartographier des émissions de CO₂ de leurs produits. Bonne chance…
En Belgique, Test-Achats et Rikolto vont passer au crible la politique de durabilité des cinq plus grandes chaînes de supermarché. Colruyt, Delhaize, Carrefour, Aldi et Lidl n’échapperont pas à un interrogatoire serré. En font-ils assez pour réduire la consommation de viande ? Optent-ils pour l’agriculture durable ? Luttent-ils contre la déforestation et le gaspillage alimentaire ? « L’idée n’est pas de pointer quiconque du doigt, nous allons rester constructifs, mais critiques… » Curieux quand même de lire leurs conclusions. Ce sera pour novembre. Et à en juger par les quantités monstrueuses de viande gratuite qui garnissent les prospectus de cette semaine, je pense que je connais déjà une partie de la réponse.
Coups de pied au derrière
Et ce n’est pas tout. Vous l’avez remarqué, vous aussi ? Alors que les politiciens se bousculaient pour être les premiers à souhaiter un joyeux Ramadan à la communauté musulmane, le silence était assourdissant du côté des supermarchés. Seul Albert Heijn y a vu une opportunité : sous le slogan « RamAHdan à la maison », l’enseigne a promis une livraison gratuite à l’achat de trois produits. Bien vu, sans complexe, et en contraste frappant les concurrents qui ont préféré serrer les fesses, sans doute par crainte d’être la cible de trolls sur les réseaux sociaux. Plutôt vendre des œufs de Pâques contaminés, sans doute.
Les consommateurs d’origine musulmane : le grand angle mort de la distribution alimentaire belge. « Comment ça ? Nous avons aussi du houmous et du couscous perlé dans nos rayons, non ? » Ouais… En revanche, les marques Elvea, Activia, Alpro, Lutti et Tosca n’ont pas eu cette pudeur de gazelle : elles se sont unies pour proposer la toute première box spéciale Ramadan en Belgique. En compagnie des chaînes de mode Torfs et JBC, d’ailleurs. Un projet pilote qui aura une suite digne de ce nom l’année prochaine, affirme l’agence d’ethnomarketing Tiqah, à l’origine de l’initiative. Chapeau. Ce n’est pas trop tôt, mais soit.
Et comme me le rappelait encore récemment mon bon ami François de La Rochefoucauld : « Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres ». Mais tout de même : certains marketers méritent plus un bon coup de pied au derrière que leur BMW iX3. Pas vrai ? À la semaine prochaine !
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