Nous avons appris cette semaine que, même s’ils suscitent des débats houleux, les boycotts sont surtout une bonne opération de relations publiques. Du moins pour certains. Permettent-ils de faire baisser les prix ? Les promotions exceptionnelles ne sont que des écrans de fumée, conclut ce Filet Pur. Mais qu’y a-t-il à cacher ?
Acrobaties
On le sait, le commerce de détail n’est pas un long fleuve tranquille. Et la situation va encore se compliquer : il faut s’attendre à ce que, dans les semaines à venir, près de la moitié du personnel des magasins Lidl soit absent pour cause de claquages, d’entorses de la cheville, voire de fractures crâniennes. Du moins dans une vingtaine de magasins. En effet, le détaillant expose ses employés à des situations dangereuses en surélevant les rayons, qui atteignent 1,80 mètre de haut. Ces derniers vont donc devoir multiplier les acrobaties pour que les œufs de Pâques, qui soit dit en passant figurent déjà dans le folder, se retrouvent tout en haut des rayons, avec toutes les conséquences que cela implique. Les syndicats et les services d’urgence se tiennent prêts.
En revanche, il n’y a rien de mal à franchiser ces 128 succursales Delhaize. Ou du moins pas d’un point de vue juridique. Le tribunal est formel : dans cette restructuration qui ne devrait pas être qualifiée de telle, aucune infraction n’a pu être établie, malgré des investigations approfondies. Sérieusement, qu’est-ce qu’ils espéraient ? La batterie d’avocats qui a aidé à préparer ce plan d’avenir a coûté cher, mais l’investissement en valait la peine. Ainsi, à Mons, Braine-l’Alleud, Overijse et Ixelles, c’est l’esprit léger que les nouveaux propriétaires ont cette semaine pu relever leur nouveau défi et abolir le repos dominical. 37 magasins sont déjà concernés, si notre compte est bon.
Âmes égarées
Les milliers de Belges qui se rendent à Roncq pour y faire leurs courses hebdomadaires soi-disant moins chères chez Auchan méritent notre compassion. Des ignares irrécupérables. Ou tout du moins des âmes égarées. En effet, ces trajets ne rapportent rien. Au contraire, ils coûtent même plus chers. Ce n’est pas moi qui le dis mais notre chère autorité de la concurrence, sur la base d’une analyse des données d’Euromonitor.
Car oui, les supermarchés belges sont peut-être encore un peu plus chers que leurs homologues hollandais et allemands, mais ils sont toujours moins chers que les français. Mais attention, les prix vont bientôt tomber si bas que l’on pourra chauffer tous les supermarchés par géothermie. Alors, les centaines de millions d’euros dépensés par les acheteurs belges au sud de la frontière l’année dernière ? De l’argent jeté par les fenêtres. Grâce à Albert Heijn et Jumbo, principalement : ces sympathiques nouveaux acteurs ont contraint leurs concurrents à réduire leurs marges brutes, car, un peu de sérieux, les fabricants de marque n’ont bien sûr pas baissé leurs tarifs.
Pester à voix haute
Attention, le rapport est impressionnant : 62 pages de graphiques, de tableaux numériques et de conclusions, comparant les prix de vente de centaines de produits par rapport aux prix d’achat et aux marges brutes. Certes, l’analyse se base sur des chiffres jusqu’à fin 2022. Les augmentations de prix de Colruyt en 2023, ainsi que les mesures anti-inflationnistes du gouvernement français, n’ont donc pas été prises en compte. Un détail, rien de plus.
Mais le diable se cachait dans les détails. Car oui, ce rapport fait à nouveau référence à ces fameuses restrictions territoriales de livraison… On entend les fabricants pester jusqu’ici : Colruyt peut décider d’être 5 % plus cher en Wallonie qu’en Flandre, mais Unilever ne peut pas adapter le prix de ses Magnums aux différences de pouvoir d’achat entre la Pologne et la Belgique, par exemple? Ca alors! À l’école, on nous enseignait que le prix est l’un des sept « P » du mix marketing mais, apparemment, la qualité de notre éducation laissait déjà à désirer… Il n’y avait simplement pas encore d’enquête PISA pour le prouver.
Rouler des mécaniques
Mais les fabricants ne baissent-ils vraiment pas leurs prix sous la pression de négociations difficiles et de boycotts téméraires ? C’est ce que prétend le Danger Jaune sur Facebook et dans des annonces dans les journaux. En roulant un peu des mécaniques. Je cite : « Chez Jumbo, nous mettons tout en œuvre chaque jour pour obtenir des prix bas. C’est pourquoi nous sommes constamment en discussion avec les fournisseurs. Il arrive donc que des produits soient en rupture de stock. Mais jamais longtemps. La gamme Coca-Cola est donc pleinement de retour dans TOUS nos magasins. À une différence près : le prix est beaucoup plus bas. Pas temporairement, mais tous les jours. » Voyez-vous ça : les delistings sont principalement devenus un outil de relations publiques.
On est encore loin de Colruyt, soyons clairs. Car l’étude de l’ABC a en effet raison sur ce point : les prix des boissons non alcoolisées sont les plus élevés aux Pays-Bas. Mais il est encore assez rare qu’un détaillant fasse une telle déclaration publiquement. Comme l’escalade du conflit entre Intermarché et Unilever en France : les Mousquetaires mettent ouvertement l’un de leurs plus gros fournisseurs au pilori, ce à quoi le fabricant répond par l’envoi d’huissiers et une assignation. Bonne ambiance. Ils retravailleront bientôt à l’unisson dans l’intérêt des consommateurs, bien sûr.
Cercle vicieux
Certains détaillants optent délibérément pour des prix plus élevés. Même des discounters. Penny, une filiale de Rewe, a fortement augmenté le prix de neuf produits l’été dernier : la mozzarella, par exemple, est devenue 75 % plus chère, tandis que le prix du fromage Maasdam et de la saucisse viennoise a presque doublé. Une campagne de sensibilisation visant à mettre en évidence l’impact de l’alimentation sur le climat, l’eau, les sols et la santé. Et, vous vous en doutez : les ventes de ces produits ont chuté. Pourtant, le détaillant estime que c’est un succès. En effet, cette action prouve qu’il est possible d’orienter les consommateurs vers des produits plus durables en répercutant le coût réel des produits mauvais pour la santé et polluants. Nudging et greenwashing mis en pratique, simultanément. Chapeau !
En jetant un coup d’œil rapide aux folders hebdomadaires, on constate que nos détaillants n’en sont pas encore là. Les offres 1+1 sont tellement dépassées : aujourd’hui, place au 2+3 et même au 1+3. Il faut s’y habituer. Quelle sera la prochaine étape ? 1+5 ? Ces promotions exceptionnelles ne sont que des écrans de fumée, bien sûr. Elles servent à détourner l’attention du manque flagrant d’idées novatrices dans le supermarché moyen. Mais qui brisera le cercle vicieux ? Le changement est toujours délicat. C’est comme les chats et la nage : on peut le faire, mais on préfère éviter. Mettez-vous à leur place… À la semaine prochaine !