Réaliser un chiffre d’affaires de 350 000 euros avec une seule caisse ouverte, devenir millionnaire avec des actions d’un paradis des prix les plus bas, constater que cette fortune n’est que le résultat d’un processus et conclure que les meilleures détaillants food peuvent être à moitié enceintes : oui, nous avons à nouveau vécu une semaine incroyablement enrichissante dans le foodretail. Vous n’avez pas tout compris ? C’est parti…
Un zéro de trop
La photo de la semaine, incontestablement : Jumbo Rijkevorsel, mercredi 15 janvier, 12 h 55. Une seule caisse ouverte, une caissière au chômage technique qui attend patiemment des clients. Lesquels se font rares. Au contraire des très nombreux employés qui lustrent soigneusement les produits dans les rayons. Et cuisent des pizzas, aussi : nous avons pu goûter. Le magasin est superbe. Chiffre d’affaires : 350 000 euros par semaine. Avec une seule caisse ? Très fort ! C’est du moins ce que le directeur financier Ton van Veen a affirmé à plusieurs reprises dans les médias. Ouais… Pendant la semaine d’ouverture peut-être, mais pas à la mi-janvier sur le champ de bataille de la grande distribution qu’est devenue la jadis si paisible Campine, en tout cas. Ou y avait-il un zéro de trop ?
S’est-on fait une montagne de ce Péril jaune ? Avant que la concurrence réunie n’allume des feux d’artifice (pensez au climat !), petite précision tout de même : janvier n’est un mois faste, et le mercredi matin n’est pas la période de plus forte fréquentation pour la plupart des supermarchés. De plus, on aurait tort de tirer des conclusions hâtives d’une seule visite. Reste que l’Albert Heijn et l’Aldi d’à côté accueillaient des clients, comme le Carrefour Market du centre du village et le Colruyt d’Hoogstraten, juste à côté. Comment je le sais ? Parce que mercredi dernier, je suis monté au front avec quelques journalistes du Financieel Dagblad, l’Écho néerlandais. Ils voulaient savoir comment Jumbo et Albert Heijn s’y prenaient pour conquérir la Belgique. Mais comme ils n’étaient jamais entrés dans un Colruyt, j’ai commencé par là.
Trust the process
Accompagner des étrangers qui pénètrent pour la première fois dans l’antre spartiate des prix les plus bas, c’est toujours la promesse de passer un bon moment. « Heuh, c’est ça, le leader sur votre marché ? » Mais une fois le choc culturel (et le choc thermique du département produits frais) digéré, la logique commence à reprendre le dessus : « Une garantie des prix les plus bas, ça pourrait marcher aux Pays-Bas ? » Ben oui, qui sait… Le contraste avec le Jumbo flambant neuf – qui paraît effectivement plus luxueux que le Jumbo néerlandais moyen, m’a-t-on encore confirmé – ne pouvait pas être plus net. D’autant que nous avons aussi rencontré des caddies bien remplis au Colruyt.
Il n’est donc pas surprenant que Colruyt figure en bonne place dans le classement des meilleures actions au monde. Juste derrière Tencent, Apple et Amazon, mais devant Microsoft. « C’est juste le résultat des efforts que nous déployons chaque jour pour nos clients », auriez-vous pu entendre réagir Jef Colruyt et son bras droit Marc Hofman si vous écoutiez attentivement : « Nous ne le faisons pas pour le cours de Bourse, qui n’est qu’une conséquence agréable. » Hashtag #trusttheprocess, quelqu’un ?
Champ de bataille
Non, ceux qui veulent visiter un vrai champ de bataille bien sanglant doivent se rendre à Deurne. On y trouve entre autres le plus grand AH du pays, un Delhaize récemment rénové, deux Colruyt, un Aldi, un Lidl, un Alvo, un Carrefour Market, un des derniers survivants de Smatch et une poignée de magasins de proximité – sans compter le Jumbo qui y ouvrira prochainement ses portes. Formidable ! Le franchisé local du Carrefour Market n’a pas attendu le Blue Monday pour faire une dépression prématurée et décréter une liquidation totale – sans doute avant de plier bagage.
Ce n’est pas la première fois que Carrefour anticipe l’arrivée d’un nouveau concurrent très médiatisé en fermant un magasin. Le détaillant se porte pourtant très bien, comme l’a confié le grand patron Geoffroy Gersdorff lors d’une visite à ce magnifique nouveau Carrefour City : tous les indicateurs sont au vert. Chiffre d’affaires Food, satisfaction client, Net Promoter Score, chiffre d’affaires e-commerce, service de livraison ShipTo… sont tous en hausse. C’est la logique même qu’un jour, quelque part dans le futur, on assistera à une progression des parts de marché, une hausse du chiffre d’affaires et du vert en bas du compte de résultats. Ici aussi, donc : #trusttheprocess. En tout cas, 30 nouveaux magasins ouvriront leurs portes cette année. Sauf si cela ne marchait pas pour une raison quelconque, bien sûr.
Supprimez le CO2
Ce n’est pas un hasard si ce Carrefour City, avec son assortiment bio et son intérieur inspiré directement d’une recyclerie, fait la part belle à la durabilité. Après tout, notre bonne vieille Terre serait déjà condamnée sans les efforts incommensurables de notre secteur des FMCG. Prenez le Quorn : vous pouvez y voir un aliment pour bobos sans la moindre saveur – c’est vous qui le dites, nous n’oserions jamais –, il contribue à réduire la consommation de viande, et donc les émissions de CO2 qui menacent notre existence même. Et ils l’écrivent désormais noir sur blanc blanc sur leurs emballages : un label CO2 informe l’acheteur de l’impact environnemental minime des produits végétariens.
Une primeur mondiale qui leur permet de devancer Colruyt de justesse : au début de l’année, le détaillant avait en effet annoncé l’arrivée d’un éco-label un peu similaire au Nutri-Score. Mais leurs collègues de Delhaize font encore mieux : au lieu d’introduire un label CO2, ils éliminent purement et simplement les émissions de CO2. En commençant par les bananes, qui seront désormais transportées à la rame depuis l’Amérique du Sud afin de ne pas causer le moindre dommage à l’environnement. Respect !
Chapeau bas
La grande absente de la liste des meilleures actions du monde a pour nom AB InBev. Depuis l’acquisition de SAB Miller, le premier brasseur mondial ne parvient plus à créer de valeur. Pas besoin de calculette pour comprendre pourquoi ils veulent mettre leur directeur financier à la porte. Cette semaine, le géant de la bière propose un bac gratuit à l’achat de chaque bac de Jupiler. Dans leur version 33 centilitres, plus précisément. Offert, zéro balle, walou. Inédit, mais pas inexplicable : les volumes de bière, et surtout des pils ordinaires, sont en chute libre depuis un certain temps. De plus – bonnes résolutions aidant –, la moitié de la population s’est mise au régime sec depuis le début de l’année, et la Tournée minérale n’a même pas encore commencé.
Normalement, la Jup se vend environ 2,5 euros le litre. Avec la promo, c’est un gros euro. Et ils parviennent encore à gagner de l’argent avec ça ? Probablement : l’eau du robinet – qui représente plus de 90 % de la bière – coûte moins d’un demi-centime le litre. On peut donc supposer que l’orge, le maïs et le houblon flambent sur les marchés. Conclusion ? AB InBev est en faillite. Vendez vos actions et investissez en matières premières. C’est autrement plus rentable. Ou en actions Colruyt, donc : le discounter a annoncé officiellement qu’il ne participerait pas l’action coup de poing. Ils la considèrent comme « inappropriée ». Tiens, un commerçant avec des principes : chapeau bas, ai-je presque pensé. Presque, parce que le communiqué n’était pas terminé : « Mais comme nous sommes des suiveurs qui proposons toujours les meilleurs prix, nous divisons notre prix de vente par deux. » Lisez : Colruyt participe, mais pas vraiment. Ou du moins pas de gaieté de cœur. Manifestement, il est possible d’être à moitié enceinte à Halle. Donc finalement : chapeau bas… À la semaine prochaine !
Vous souhaitez recevoir chaque vendredi un résumé de l’actualité FMCG dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous ici pour recevoir la newsletter gratuite de RetailDetail Food.