La crise sanitaire ramène le marketing à son essence : les marques redeviennent des pôles de confiance, le consommateur est plus que jamais central. Luc Suykens, directeur marketing de Procter & Gamble, entrevoit d’énormes possibilités.
« Retour à la case départ »
Pour les marketeers, la période est passionnante, déclare Luc Suykens, qui a annoncé son départ de P&G après une carrière exceptionnelle de 32 ans – il prendra prochainement la direction de l’UBA. « La crise sanitaire est un formidable accélérateur. Elle génère une croissance soutenue de l’e-commerce, mais aussi de la proximité. En période de crise, les marques doivent à nouveau donner confiance, et c’était d’ailleurs leur tâche initiale. La numérisation a rendu le monde plus transparent. Par conséquent, les retailers et les marques doivent plus que jamais démontrer leur valeur ajoutée. C’est là que tout avait commencé à l’époque. En ce sens, nous sommes revenus à la case départ. »
Le consommateur a changé : pensez à la composition des familles. « La population actuelle est beaucoup plus célibataire, beaucoup plus urbanisée et beaucoup plus âgée. Je me souviens qu’en 2003, j’avais présenté un graphique montrant que dans dix ans, l’acheteur moyen de détergent aurait plus de cinquante ans. Nous sommes largement au-dessus maintenant. » Mais malgré ces nombreux changements, certaines choses n’ont pas bougé. « Quand Aldi est arrivé, les revues spécialisées avaient prédit la fin de P&G. Les hard-discounters allaient copier nos produits de marques et les vendre à moitié prix. Ces prévisions ne se sont jamais réalisées, nous nous sommes adaptés. »
« Vers un modèle intégré »
Aujourd’hui, le supermarché n’est plus le seul canal de vente pour une entreprise comme P&G. De nouveaux modèles commerciaux grignotent les parts de marché du foodretail. Pensez à Amazon, Deliveroo, HelloFresh… Le supermarché doit-il se réinventer ? « Tout devient de plus en plus sophistiqué. Cela permet d’apporter de la valeur d’une manière différente. J’en ai la conviction : le supermarché a toujours un grand rôle à jouer – mais dans un modèle qui intègre le physique et le virtuel », explique Luc Suykens.
« Je ne crois pas en un modèle où dix camionnettes s’arrêteraient chaque jour devant ma porte pour livrer des détergents, des couches et des shampoings. Cela n’est viable ni économiquement ni écologiquement. Mais je crois en un modèle où l’on commanderait certaines choses à l’avance et où l’on voudrait pouvoir en contrôler d’autres sur place, comme les légumes. Un modèle intégré. Vous pouvez déjà l’observer en Chine : cela procure des opportunités aux petits acteurs indépendants et aux grands, qui vont travailler ensemble et ont besoin les uns des autres. Mais ce sont des modèles totalement différents de ceux auxquels nous sommes habitués aujourd’hui. Les producteurs devront s’y adapter, mais la distribution aussi. Et ce modèle offrira à nouveau d’incroyables possibilités de croissance. »
« Un fabricant n’est pas un retailer »
Dans un monde dominé par le numérique, la tentation n’est-elle pas grande pour les marques de se concentrer davantage sur la vente directe aux consommateurs ? « Je pense plutôt que les retailers eux-mêmes vont décider de ne plus vendre certaines catégories de produits dans leurs magasins. Nous voyons des retailers qui réduisent leur assortiment de 40 % dans le non-food. Reste à savoir s’ils offrent une alternative en ligne pour conserver ces consommateurs ou s’ils y renoncent. »
Luc Suykens ne voit pas les fabricants prendre en charge la distribution dans l’immédiat, sauf dans des segments de niche. « Un fabricant n’est pas un bon distributeur. Nos points forts résident dans les grands process, dans la logistique, mais nous ne sommes pas très flexibles pour ce qui concerne le tri et la livraison des emballages. Le retail, c’est une culture différente, un modèle d’affaires différent. »
« La durabilité pour tous »
La crise ne risque-t-elle pas de reléguer la durabilité au second plan ? Notre interlocuteur ne le pense pas. Des thèmes tels que l’engagement social, les émissions de CO2, les emballages ou l’économie circulaire reviennent sur le devant de la scène. Et on y constate aussi une accélération. Cela oblige les entreprises à se réinventer complètement. On observe deux tendances : d’une part, l’accent placé sur le « fait maison » et le local, d’autre part, des acteurs mondiaux qui disposent de l’envergure et de la technologie nécessaires pour réaliser des percées durables. Il ne faut pas se demander si un modèle va l’emporter sur l’autre : ils ont tous deux un rôle à jouer côte à côte.
Grâce à ses marques fortes, P&G peut avoir un impact positif sur la société chaque jour. L’entreprise travaille sur des innovations révolutionnaires qui vont réduire considérablement l’empreinte environnementale des détergents, des couches ou d’autres produits, et vise la neutralité carbone à l’horizon 2030. « Cela peut paraître ambitieux, mais nous pouvons faire la différence chaque jour. La durabilité ne peut être réservée à l’élite. Il faut la mettre à la portée de tout le monde. C’est le grand défi. »
Chacun est un média
Luc Suykens ouvre à présent un nouveau chapitre de sa carrière : après 32 ans de bons et loyaux services, il quitte P&G pour prendre la tête de l’UBA. « P&G m’a toujours soumis énormément de défis », se souvient-il. « J’avais une fonction différente tous les deux ou trois ans. Cette entreprise possède une incroyable capacité à se réinventer. C’est une véritable école du leadership, où l’on apprend énormément de la diversité et de la qualité des personnes qui nous entourent. » Une nouvelle mission tout aussi intéressante attend à l’UBA. Sous la direction de Chris Van Roey, l’organisation s’est transformée d’une association de publicitaires en une association de créateurs de marques. L’Union des annonceurs belges devient ainsi la United Brands Association. Ce n’est pas un hasard : « Chacun est un média aujourd’hui. Le commerce aussi. Et les médias se sont eux-mêmes transformés en annonceurs et en vendeurs : le plus grand vendeur de vélos du pays est un média. Toutes les frontières disparaissent. J’y vois de grandes possibilités d’accompagner cette industrie à partir de mon expérience chez P&G. »
Curieux de connaître la vision d’un expert en création de marques ? Luc Suykens nous en dira plus ce jeudi 3 décembre, lors du Trade & Shopper Marketing Congress de RetailDetail et LD&Co. Un événement en streaming 100 % corona-proof et très accessible, qui accueillera aussi, entre autres, Stijn Demeersseman, Category Leader Personal Care Appliances chez Amazon ; Raffael Li Preti, VP Commercial Unit Fresh chez Delhaize ; Luc Desmedt de LD&Co et Stefan Van Rompaey de RetailDetail.. Cliquez ici pour plus d’informations et pour réserver vos billets. À bientôt !