De l’agriculture de précision à la viande cultivée, en passant par les magasins autonomes, les repas personnalisés et les emballages intelligents, les technologies de pointe définissent le système alimentaire de demain. Un nouveau rapport en présente les lignes de force.
La courbe de l’innovation
DigitalFoodLab suit depuis cinq ans les innovations technologiques alimentaires des startups et des grandes entreprises et a identifié cette année 28 tendances, regroupées en six mégatendances. Il les positionne sur une courbe d’innovation : après tout, les nouvelles technologies alimentaires suivent un cycle typique, des attentes initiales (éventuellement élevées) à la déception ou à la percée éventuelle.
Le consultant indique également le temps qu’il faudra pour qu’une tendance atteigne la phase de maturité – bien que le cofondateur Matthieu Vincent admette qu’il s’agit d’estimations optimistes plutôt que de véritables prédictions. Quelles sont les six mégatendances qui seront décisives dans les années à venir ? Vous pouvez en savoir plus ici.
Mégatendance 1 : la ferme résiliente
La technologie agricole est un élément crucial de l’écosystème de la foodtech. Les startups développent de nouvelles technologies pour rendre l’agriculture plus durable. Nous voyons plusieurs moteurs à cette évolution : la demande croissante d’aliments cultivés localement, la pénurie d’agriculteurs et de travailleurs, l’augmentation des coûts de l’énergie, les préoccupations liées au changement climatique….
Cette mégatendance évolue dans deux directions : d’une part, rendre le modèle agricole actuel plus intelligent et plus automatisé ; d’autre part, développer de nouveaux modèles tels que les fermes urbaines et l’agriculture continentale. Six tendances façonnent l’avenir de l’agriculture :
-L’agriculture de précision : un secteur déjà assez mature qui cherche à améliorer la production, la qualité et la traçabilité des aliments sur la base de données.
-La robotique agricole : des robots dotés d’une intelligence artificielle ouvrent la voie à des exploitations agricoles autonomes et durables.
-L’agriculture d’intérieur : elle réduit la distance entre la production et la consommation, améliore le rendement, la qualité et la durabilité, mais a été touchée par la crise de l’énergie. Une renaissance est en cours.
-Insectes pour l’alimentation animale : bien que les gens ne les aiment pas, les insectes étaient considérés comme un ingrédient durable pour l’alimentation animale. Mais la production s’avère complexe et nécessite des investissements élevés, ce qui a conduit les investisseurs à se retirer. On s’attend à une consolidation des start-ups.
-Intrants Bio : développement d’une nouvelle génération d’engrais organiques (sans résidus nocifs) et plus efficaces. Il s’agit d’une niche encore très petite et naissante.
-Cultures du futur : en améliorant la qualité des semences, les entreprises tentent de mettre au point des cultures plus productives, plus résistantes aux maladies, plus nutritives et plus durables. Le génie génétique CRISPR est en plein essor à cet égard.
Mégatendance 2 : Des protéines durables
Les protéines animales sont directement liées à 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La plupart des entreprises tentent d’imiter les produits animaux familiers, de la viande aux produits laitiers, afin d’aider les consommateurs à passer de la viande aux produits de substitution et à devenir de véritables flexitariens. Elles se présentent comme étant plus saines, meilleures pour la planète et respectueuses des animaux.
Pour ce faire, ils utilisent différentes technologies. Les défis à relever : les économies d’échelle (pour réduire les coûts) et l’acceptation (par les gouvernements et les consommateurs). Une véritable percée est encore à venir. Quatre tendances se dessinent.
-L’agriculture cellulaire : la culture de cellules animales pour créer des protéines, des graisses et des tissus. Mais la viande cultivée en est encore à la phase expérimentale : le coût est élevé, l’échelle est limitée, le goût et la texture laissent à désirer. Cela prendra des années, voire des décennies.
-Fermentation précise : on introduit le code génétique d’une protéine (généralement laitière) dans un micro-organisme, puis on le laisse fermenter. Outre les produits laitiers, on pourrait produire du miel, des colorants ou du café de cette manière. Prometteuse, mais encore préliminaire.
-Fermentation de la biomasse : on identifiera les micro-organismes capables de produire de grandes quantités de protéines par fermentation, afin de développer des alternatives à la viande, aux produits laitiers, au poisson, etc. Une catégorie spéciale est constituée par les start-ups qui utilisent le dioxyde de carbone pour nourrir un micro-organisme afin de créer une protéine sous forme de poudre par fermentation (comme l’entreprise finlandaise Solar Foods).
-Agriculture moléculaire : on commence à utiliser des plantes génétiquement modifiées pour produire les protéines souhaitées. On utilise en quelque sorte les « plantes comme des bioréacteurs ». Il s’agit d’une méthode encore expérimentale, mais qui pourrait être plus évolutive que la fermentation de précision ou l’agriculture cellulaire.
Mégatendance 3 : le commerce de détail instantané
Les consommateurs veulent et obtiennent un accès plus rapide et plus efficace à la nourriture depuis leur écran. Pensez à la livraison d’épicerie, aux marchés ethniques, aux plateformes de lutte contre le gaspillage alimentaire, aux nouvelles marques de vente directe aux consommateurs, aux magasins autonomes, à la livraison de repas dans les restaurants… Digital Foodlab identifie ici quatre tendances.
-Magasins intelligents : le déploiement des magasins autonomes ou sans caisse est plutôt lent et se heurte à de nombreux obstacles. La technologie est développée par de grands groupes – dont Amazon – qui mettent leur solution à la disposition des détaillants. Le coût élevé reste un obstacle, mais la pénurie croissante de main-d’œuvre pourrait devenir un catalyseur.
-Le commerce rapide : la livraison dans la demi-heure a fait l’objet d’un battage médiatique pendant la pandémie, mais le dégrisement a rapidement suivi. Les coûts sont élevés et la réglementation rend l’expansion difficile. Une vague de consolidation est en cours. Attendons de voir si les robots de livraison peuvent signifier quelque chose à l’avenir.
-Nouveau commerce de détail : d’une part, on assiste à la croissance de pure players « traditionnels » comme Picnic, Rohlik ou Oda avec leurs offres de supermarchés classiques ; d’autre part, nous voyons l’émergence de nouveaux modèles qui se concentrent, par exemple, sur des formules d’abonnement, des emballages réutilisables (The Modern Milkman), des assortiments ethniques, des produits presque périmés (Foodello)…
-Les sociétés de livraison de repas : un secteur désormais mature avec des acteurs principalement cotés en bourse tels que Deliveroo, Uber, Doordash. La consolidation se poursuit, même si la législation du travail reste controversée en Europe. Tous les acteurs livrent désormais également des produits d’épicerie, souvent pour le compte de grands détaillants. Les services B2B et la publicité prennent de plus en plus d’importance dans le modèle d’entreprise.
Mégatendance 4 : l’alimentation comme médicament
D’ici 2035, la moitié de la population mondiale sera en surpoids. L’énorme succès des médicaments amaigrissants tels qu’Ozempic et Wegovy montre le potentiel du domaine de la nutrition et de la santé. Dans ce domaine, la tendance est à la personnalisation : quels ingrédients peuvent être identifiés comme étant sains pour vous ? Cela peut se traduire par des conseils, des compléments ou même des repas personnalisés pour faciliter une alimentation plus saine. Trois tendances se dessinent.
-Coaching alimentaire : de nombreuses startups fournissent des recommandations diététiques basées sur des tests ADN, des analyses d’haleine, des tests de microbiome… En outre, des plateformes de nutrition en ligne proposent des plans de nutrition personnalisés.
-Vieillissement en bonne santé : un certain nombre d’entreprises se concentrent sur les ingrédients qui peuvent potentiellement prolonger la durée de vie. Les légumes génétiquement modifiés, par exemple, les ingrédients dérivés du lait maternel, les huiles et les graisses saines…
-Nutrition personnalisée : il s’agit de produits ou d’ingrédients qui répondent aux besoins individuels. Pensez à des suppléments ou des repas personnalisés basés sur l’ADN, le microbiome ou d’autres analyses. Les imprimantes 3D, qui permettent de fabriquer ses propres compléments alimentaires à la maison, sont plutôt futuristes.
Mégatendance 5 : l’automatisation de l’alimentation
Contrairement à d’autres industries, le secteur alimentaire dépend encore largement de la main-d’œuvre non qualifiée : pensez aux cuisines, aux centres de distribution ou à la livraison. Pour l’instant, les robots de cuisine ou de livraison n’ont pas encore percé, mais quatre tendances se dessinent.
-Les restaurants virtuels, les « cloud kitchens » ou les « dark kitchens » se sont multipliés pendant la pandémie. Il existe différents modèles commerciaux : l’installation et la location de cuisines modulaires (immobilier) d’une part, le développement de marques de restaurants virtuels (marketing) d’autre part. Une phase de consolidation et de mise à l’échelle pourrait suivre.
-Robots cuisiniers : pensez à des robots qui remplacent les humains pour des tâches complexes, à des restaurants automatisés qui cuisinent comme un chef (en préparant des pizzas, par exemple) ou à des distributeurs automatiques qui préparent le repas de votre choix. Les coûts sont élevés : il n’est pas logique qu’un robot très coûteux serve du café, mais il y a des perspectives pour les robots qui peuvent faciliter le travail dans la cuisine.
-Robots de livraison : véhicules capables de livrer des commandes sur le trottoir, sur la voie publique ou dans les airs (drones), entièrement autonomes ou télécommandés. De nombreux détaillants testent ce potentiel, mais la route vers une percée semble encore longue.
-Impression 3D : utilisée d’une part pour permettre une plus grande créativité dans la production alimentaire (formes originales et complexes, traitement des excédents), d’autre part pour fabriquer des protéines alternatives, avec la texture complexe de la viande ou du poisson.
Mégatendance 6 : la chaîne d’approvisionnement intelligente
40 % des aliments ne sont jamais consommés, 15 % ne quittent même pas la ferme. La lutte contre les pertes alimentaires est donc une priorité. Six tendances en matière de numérisation et de normalisation augmentent l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement alimentaire.
-Le restaurant numérique : tout un écosystème de startups a vu le jour autour de l’automatisation des réservations, des commandes, des paiements et de la planification du personnel. La demande d’intégration de ces services pourrait alimenter la consolidation.
-Emballages intelligents : des solutions qui améliorent la durée de conservation, réduisent les pertes, protègent contre les maladies et évitent les déchets. Les emballages biodégradables sont de plus en plus nombreux, tout comme les solutions qui recouvrent les fruits et légumes d’une couche protectrice pour les faire durer plus longtemps.
-Emballages réutilisables : cette tendance est fortement stimulée par les réglementations, telles que la directive européenne qui vise à interdire l’utilisation d’emballages plastiques jetables.
-Gestion des déchets alimentaires : diverses solutions pour réduire les déchets alimentaires. Pensez à des applications comme Too Good To Go qui vendent des produits presque périmés à prix réduit, à la tarification dynamique dans les magasins, aux transformateurs de compost à domicile… L’accent est désormais mis sur la prévention grâce à une meilleure gestion des achats.
-Chaîne d’approvisionnement numérique : la transparence de la chaîne d’approvisionnement est complexe. La blockchain n’a pas encore tenu ses promesses. Aujourd’hui, l’accent est mis principalement sur l’empreinte carbone de la chaîne d’approvisionnement : mesurer, communiquer (également aux consommateurs, pensez à l’éco-score) et échanger des crédits carbone sur des plateformes spécialisées.
-Places de marché B2B : de nouvelles places de marché émergent, qui numérisent entièrement la relation d’approvisionnement entre les fournisseurs et les détaillants (ou les acteurs de la restauration), interagissant directement via une application mobile et un système de messagerie intégré.