La reprise de Groupe Mestdagh par Intermarché redessine le paysage du commerce de détail alimentaire au sud du pays. Une nouvelle qui soulève également beaucoup de questions quant à l’avenir de Carrefour en Belgique.
Beau parcours
Il fallait inévitablement s’attendre à de nombreux rebondissements dans le paysage des supermarchés wallon, depuis que la famille Mestdagh a annoncé fin de l’année dernière la rupture de son contrat de master franchise avec Carrefour Belgium. Mestdagh est en perte de vitesse depuis plusieurs années : les difficultés ont commencé dès 2010, avec la reprise de seize supermarchés Carrefour Market déficitaires. A posteriori, cette opération était une grosse erreur pour l’entreprise familiale. Depuis, le groupe s’enlise : plusieurs restructurations successives n’ont pas permis de renverser la vapeur. La famille jette donc l’éponge.
Que ce soit justement Intermarché qui reprenne l’entreprise est un développement intéressant. Les Mousquetaires, comme ils se surnomment, réalisent un très beau parcours dans le sud du pays ces dernières années. Ils ont réalisé un chiffre d’affaires de 780 millions d’euros avec 78 magasins l’année dernière et vont maintenant presque doubler leur présence, même s’ils doivent se défaire de quelques magasins Mestdagh. Ils se positionnent ainsi comme un acteur de taille sur le marché francophone. Ils sont soutenus par un groupe européen solide, qui fait concurrence à Carrefour pour la deuxième place sur le marché national français.
Formule à succès
Dans un sens, Intermarché endosse dans le sud un rôle de catalyseur très similaire à celui d’Albert Heijn dans le nord. Les deux détaillants défient l’ordre établi avec une combinaison de prix bas, de promotions alléchantes et des magasins modernes avec une belle offre de produits frais. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le chiffre d’affaires a progressé de 72 % depuis 2015, rapporte L’Echo. L’année dernière, la croissance s’élevait à 6 %.
La force des Mousquetaires ? Un esprit d’entrepreneuriat local : tous les magasins sont exploités par des exploitants indépendants qui assument simultanément une fonction de management à la centrale. C’est ce qu’on appelle l’« ownership » au carré, une formule à succès qui, en raison de différences culturelles, n’a vraisemblablement jamais percé dans le nord du pays, malgré quelques timides tentatives. Reste à voir comment le groupe va intégrer les magasins Mestdagh dans une organisation qui s’articule de manière totalement différente… En effet, le fossé pourrait difficilement être plus grand. Cette transition inquiète d’ores et déjà les syndicats. Sur le plan du e-commerce, les entrepreneurs ont également encore beaucoup de pain sur la planche. Mais ce grand pas en avant est en tout cas très prometteur.
La concurrence se renforce
Ce développement est loin d’être une aussi bonne nouvelle pour Carrefour Belgium. Le détaillant perd soudainement 87 supermarchés au profit d’un concurrent. La part de marché, déjà en chute libre depuis la reprise de GB, subit un nouveau coup dur. Le chiffre d’affaires est à nouveau en baisse. En outre, la concurrence dans la partie francophone du pays s’exacerbe. Quelle est la réponse de Carrefour face aux prix bas et aux promotions sensationnelles des Mousquetaires ?
Carrefour n’a pas témoigné d’intérêt pour la reprise de Mestdagh, bien qu’il détienne 25 % des parts de l’entreprise familiale. « Pas intéressant sur le plan financier », indique la porte-parole, Aurélie Gerth, dans De Tijd. Elle souligne que la contribution de Mestdagh dans les bénéfices de Carrefour est minime et que le détaillant français restera bel et bien actif en Belgique. Une situation qui soulève toutefois de nombreuses questions quant aux futurs projets du groupe en Belgique. S’il semblait remis sur les rails en pleine pandémie, il fait aujourd’hui marche arrière. Le détaillant n’a pas résolu ses problèmes logistiques après la grève à Nivelles, et plus encore : la direction n’a jamais réellement donné l’impression qu’elle pouvait ou souhaitait arranger les choses. Un mystère.
Stratégie de contraction ?
Les problèmes logistiques ont suscité un vent de colère parmi les franchisés, certains étant fortement sollicités par les concurrents hollandais. L’ambiance est glaciale. Plutôt étonnant quand on sait que les franchisés représentent la moitié du chiffre d’affaires.
Ces dernières années, la chaîne a également fermé discrètement un grand nombre de supermarchés, certains ayant été repris par Albert Heijn et Jumbo, et a déménagé son siège dans un plus petit complexe. Le Downsizing semble être le mot d’ordre. L’entreprise continue malgré tout à quelque peu se développer avec les petits magasins de proximité Carrefour Express. Mais se contracter jusqu’à disparaître, ce n’est pas une stratégie viable.
Que le groupe Carrefour, magistralement emmené par Alexandre Bompard, réalise un parcours de reprise admirable, personne ne dira le contraire. Mais en Belgique, la mise en œuvre reste une pierre d’achoppement.
Et les Hollandais ?
Une dernière remarque pour conclure : Dans cette affaire, Albert Heijn et Jumbo se sont faits couper l’herbe sous le pied. Une reprise aurait pu permettre à l’un des détaillants d’affirmer instantanément sa position dans le sud du pays. Une étape qu’ils devront bien se résoudre à franchir, s’ils souhaitent concrétiser leurs ambitions. La retenue semble actuellement de mise, en particulier du côté d’Albert Heijn qui a explicitement exprimé sa réticence l’année dernière. Ils n’auront pas beaucoup d’autres opportunités de reprise dans la région.
À moins que la transformation annoncée la semaine dernière de Match en Louis Delhaize ne produise pas le résultat escompté, bien entendu. Certains observateurs voient en cette opération de reconversion la préparation d’une vente imminente. Un mariage que personne ne pourra refuser. Si c’est en effet le cas, 90 magasins seront à nouveau sur le marché d’ici deux à trois ans. Une deuxième chance. Jamais le temps de s’ennuyer.