Depuis peu, il est possible d’observer certains trous dans les rayons de Colruyt : il manque en effet ici et là des produits du leader du marché, Coca-Cola. C’est le résultat d’un conflit croissant entre le producteur de boissons rafraichissantes et l’alliance d’achat européenne Agecore. RetailDetail dresse le contexte.
Comment tout a commencé
Il n’est pas vraiment surprenant que la différence d’opinions entre les deux parties soit maintenant visible en Belgique. Tout a commencé début janvier en France, où Coca-Cola a cessé ses livraisons aux chaînes de supermarchés Intermarché et Netto, parce qu’aucun accord n’avait pu être conclu sur une collaboration commerciale. Le détaillant s’était alors adressé au tribunal, qui avait décidé que le producteur de boissons de boissons devait temporairement reprendre ses livraisons. Cela donnerait le temps aux deux parties de reprendre les négociations et de parvenir à un accord.
Pourtant, le conflit semble au contraire s’intensifier : en Allemagne, le leader du marché Edeka a entre-temps arrêté de commander jusqu’à 120 références de Coca-Cola. Les magasins ne retirent pas toute la gamme des rayons, mais uniquement certains produits individuels. C’est aussi ce qui a lieu chez Colruyt. Une question de solidarité : tous les détaillants concernés sont membres de l’alliance d’achat européenne Agecore, qui a également connu dans un passé récent de féroces conflits avec des fabricants de marque tels que Nestlé, PepsiCo et Mars.
Quel est l’objet du conflit ?
Les parties concernées ne communiquent généralement pas sur les conflits commerciaux, qui sont en effet réglés à huis clos. Dans ce cas-ci, une note interne a pourtant été émise par le président d’Intermarché, Thierry Cotillard. Cela montre qu’il y a deux raisons au conflit : premièrement, Coca-Cola a unilatéralement décidé d’une augmentation de prix en novembre – et ces dernières ne plaisent jamais aux détaillants- et, deuxièmement, le litige porterait sur la position trop dominante du producteur de boissons rafraichissantes.
Coca-Cola obligerait les détaillants à acquérir sa gamme complète, et toujours croissante, de produits. C’est ce que l’on dit être l’exigence du fabricant afin que tout se passe dans les meilleures conditions. Intermarché, en revanche, souhaite réduire cette gamme afin de libérer plus d’espace dans ses magasins pour des produits plus sains, les ventes de boissons sucrées étant effectivement en baisse. Entre-temps, tant en France qu’en Allemagne, Coca-Cola a publié un communiqué de presse apaisant dans lequel le fabricant de marque regrette le conflit, mais souligne également que les pourparlers se poursuivent et que la poursuite de la coopération est une priorité.
Agecore peut-il gagner cette bataille ?
Il est étonnant que le groupement ose désormais aussi exercer davantage de pression sur son plus gros fournisseur. En effet, les rayons vides coûtent du chiffre d’affaires et des clients au retailer, surtout lorsqu’il s’agit d’une marque dominante telle que Coca-Cola. Les négociateurs d’Agecore croient-ils vraiment pouvoir mettre à genoux le fabricant de marque ?
Bien que peu d’informations concrètes soient disponibles, les observateurs supposent qu’il n’y a pas de gagnants dans ce type de conflit commercial. En 2016, une étude de la KU Leuven affirmait que les deux parties étaient perdantes lors d’un déréférencement en cas de conflit. « Dans leur lutte acharnée pour obtenir gain de cause, ils ne peuvent oublier le consommateur. Si le consommateur change de supermarché pour acheter ailleurs le produit non disponible, le retailer perdra des revenus. Si par contre le consommateur au sein du même supermarché change de marque parce que la marque voulue n’est pas disponible, c’est le producteur qui perdra des revenus. » Selon l’enquête, le détaillant subirait les pertes les plus importantes, et le producteur les plus faibles.
Mais est-ce vraiment le cas ? Agecore n’en est pas à son coup d’essai. Le fait que l’alliance d’achat ose aller en confrontation avec Coca-Cola pourrait indiquer que les bras de fer antérieurs avec Nestlé, PepsiCo et Mars ont effectivement abouti à un résultat satisfaisant. En tout cas, c’est une affaire que l’ensemble du secteur suit avec beaucoup d’attention.
Les litiges commerciaux sont en augmentation
Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Au début de l’année, Christian Verschueren, directeur général de l’organisation européenne du retail, EuroCommerce, avait prédit, lors d’une interview accordée à RetailDetail, que les tensions entre détaillants et fournisseurs s’intensifieraient. Les causes sont évidentes : le marché stagne, les marges des détaillants sont soumises à une forte pression à cause du renforcement de la concurrence et de l’émergence du commerce en ligne. Les fabricants, contraints par des investisseurs activistes de chercher à obtenir des rendements toujours plus élevés, tentent donc de se réfugier dans les hausses de prix. Et cela crée des conflits.
Regardez d’ailleurs : il y a peu, Coca-Cola avait également été écarté en Allemagne par Lidl. Edeka est encore aussi en différend avec Jacobs Douwe Egberts et Nestlé. Chez Real, il manque des produits du producteur laitier Milram et la chaîne d’hypermarchés Kaufland (une sœur de Lidl) est quant à elle en conflit avec l’entreprise laitière Zott.
Les observateurs y voient une escalade, confirme également le Lebensmittel Zeitung : par le passé, les déréférencements servaient plutôt de menaces, mais aujourd’hui les chaînes de supermarchés n’hésitent plus à retirer les produits des rayons. L’Allemagne ne fait pas figure d’exception : en Belgique, nous avons récemment assisté (à nouveau) à un affrontement entre Colruyt et Jacobs Douwe Egberts. Cette année promet d’être orageuse.