Quelles sont les intentions de l’entreprise canadienne Alimentation Couche-Tard concernant Carrefour ? Un spécialiste des boutiques de stations-service peut-il sauver l’hypermarché ? Une chose est claire : le groupe français est à vendre…
Chasseur chassé
Certains Français se sont peut-être étouffés dans leur café au lait mercredi matin tant l’offre d’Alimentation Couche-Tard (ATD) sur Carrefour semble sortie de nulle part. De chasseur – il avait annoncé vouloir jouer un rôle dans la consolidation du secteur européen de la grande distribution –, le groupe français s’est soudainement transformé en chassé. Ce n’était pas exactement ce qui était prévu. Mais son directeur Alexandre Bompard a pourtant accepté de discuter avec les Canadiens. Les jeux sont-ils faits ?
Tout d’abord, il ne faut pas sous-estimer la taille de Couche-Tard : le groupe a enregistré une forte croissance par acquisitions et est désormais actif en Amérique du Nord et en Amérique centrale, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie : il compte 14 200 magasins, emploie 131 000 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 44,4 milliards d’euros. Ce n’est pas rien – même s’il faut préciser que plus de la moitié de ce chiffre d’affaires provient de la vente de carburant. Ce pourrait d’ailleurs être la première explication de cette manœuvre inattendue : le groupe veut-il avant réduire sa dépendance aux stations-service ? L’argument tient.
Pas de synergie
Couche-Tard voudrait offrir 20 euros par action, ce qui valoriserait Carrefour à 16,4 milliards d’euros (contre 12,6 milliards mercredi matin). Les investisseurs sont heureux : l’action Carrefour avait déjà gagné 15% mercredi soir. Il faut noter qu’elle n’avait pas particulièrement brillé en Bourse ces deux ou trois dernières années. Alexandre Bompard a bien lancé l’un ou l’autre projet, mais ce n’est pas suffisant. Carrefour est moins performant que beaucoup d’autres entreprises du secteur – et certainement que Couche-Tard. Une petite injection de savoir-faire lui serait donc bien utile.
Mais la grande question que se posent les analystes reste : Couche-Tard et Carrefour sont-ils vraiment compatibles ? Leurs modèles économiques sont en effet très éloignés. Les Canadiens sont les spécialistes des stations-service. Autrement dit, quitte à verser dans le cliché : des vendeurs d’essence, de bonbons, de café et de cigarettes. On peut se demander si une telle entreprise est le partenaire idéal pour relancer des hypermarchés en déclin. « Compte tenu de la nature et de la localisation des activités d’ATD, nous ne voyons guère de possibilités de synergie », ont ainsi déclaré des analystes de Citi à Reuters. « L’acquisition de Carrefour étendrait le modèle commercial de Couche-Tard aux supermarchés et aux hypermarchés, et ce n’est pas évident pour un exploitant de magasins de proximité », estime Bloomberg.
Carrefour est à vendre
Aujourd’hui, rien ne garantit que ces discussions vont aboutir. Mais le fait qu’Alexandre Bompard n’ait pas immédiatement écarté cette hypothèse et qu’il ait accepté de discuter avec Couche-Tard pourrait être un signal important : une vente de Carrefour n’est plus impensable. Au bon prix et avec le partenaire adéquat toutefois.
« Il y a maintenant une affichette “à vendre” sur la vitrine de Carrefour », a également confié l’expert en retail et professeur de marketing Marcel Corstjens (INSEAD) à RetailDetail. « Si vous m’aviez demandé une liste de mille entreprises qui pourraient être intéressées par Carrefour, Couche-Tard n’y aurait pas figuré. Il faut aussi noter que leur action a perdu 10% mercredi soir. D’autres candidats pour qui Carrefour a plus de valeur vont à présent se manifester. Combien de fois auront-ils l’occasion d’acheter un retailer combinant une empreinte internationale aussi impressionnante, une vaste surface commerciale qui peut être partiellement affectée à l’e-commerce et un prix aussi attrayant ? » Carrefour serait par exemple une cible idéale pour Amazon. La saga ne fait sans doute que commencer.