Tant que Colruyt verrouillera le marché, il n’y aura pas de véritable guerre des prix sur le marché belge du food-retail. Ses concurrents peuvent cependant essayer de mettre à mal la garantie des meilleurs prix par des coups marketing. Quant à savoir s’ils réussiront…
Coups marketing
Une campagne ludique sur des baisses de prix chez Lidl, une série d’offres créatives « 1+5 gratuits » chez Albert Heijn et une analyse de l’évolution des prix par Daltix et RetailDetail : il n’en fallait pas plus pour éveiller l’attention des médias grand public en Belgique. « La guerre des prix est déclarée », titrait l’un. « Les experts s’attendent à une guerre des prix », proclamait l’autre. Une rhétorique guerrière alliée à la perspective d’une baisse des prix : peu de combinaisons sont plus à même d’enflammer à l’imagination du consommateur. Mais cette enflammade est-elle justifiée ?
Ce que propose Albert Heijn dans la brochure de cette semaine est un joli coup marketing. Les nombreux consommateurs avides de bonnes affaires vont sans doute se précipiter au supermarché pour acheter un gaufrier dont ils n’ont probablement pas besoin dans le seul but de mettre la main sur des paquets gratuits de mélange pour pâte à gâteau. Ou afin d’acheter des wraps pour les avocats gratuits qui les accompagnent (dont certains finiront probablement dans le bac à compost). D’accord, les agriculteurs sont en colère et certains fabricants font la moue, mais c’est un one-off. Il ne s’agit pas de véritables baisses des prix et l’action ne forcera pas les concurrents à réagir.
Emprise
Car comment Colruyt peut-il répondre à des coups d’éclat de ce type ? C’est exactement le but. Aujourd’hui, les chaînes de supermarché savent parfaitement que Colruyt réagit à chaque baisse de prix ou action promotionnelle d’un concurrent. C’est une machine ultra-efficace qui ne laisse personne proposer des prix plus bas. Se lancer dans une guerre des prix contre Colruyt n’a pas beaucoup de sens : cela ne fera que les renforcer. Le leader du marché a le secteur sous son emprise et ne relâchera jamais l’étreinte.
Les challengers doivent donc changer de tactique. Albert Heijn le fait de main de maître depuis un certain temps : le groupe néerlandais multiple les actions coups de poing et les offres accrocheuses, semaine après semaine. 1+2 gratuits, 2+3 gratuits, et même une action 1+5 gratuits qui n’en est pas vraiment une, mais passons… Ils ont fait la une des journaux. C’est ainsi qu’ils renforcent leur image : il y a de bonnes affaires à faire chez Albert. Par contre, Colruyt n’a aucune réponse à leur proposer.
Telle est la stratégie choisie par le challenger pour mettre à mal la garantie des meilleurs prix ‘made in’ Hal. Et il la met en œuvre de manière très cohérente. Albert Heijn est d’ailleurs loin d’être le seul à opter pour les actions coups de poing. Au sud de la frontière linguistique, Intermarché n’a plus rien à apprendre en matière de coups promotionnels : les Français proposent actuellement six bouteilles de passata gratuites avec deux kilos de viande hachée. 1+6, vous avez bien lu…
Une stratégie intelligente
Quand leurs collègues de Delhaize ont lancé le programme de fidélité SuperPlus l’année dernière, les observateurs y ont immédiatement vu une stratégie intelligente permettant d’échapper aux comparaisons de prix constantes avec Colruyt. Les clients qui achètent des produits assortis d’un Nutri-Score A ou B peuvent en effet bénéficier de réductions importantes, jusqu’à 30 euros par mois. Mais Colruyt ne sait pas qui bénéficie de quelle réduction, et ne peut donc pas réagir. De plus, le programme est lié à un objectif noble : encourager les acheteurs à manger plus sain. On appelle cela du nudging. Ou comment faire d’une pierre deux coups.
Les hard-discounters aussi ont accentué la pression. Lidl a fait mal à Colruyt avec certaines de ses baisses de prix, même si le leader du marché a immédiatement paré les attaques : le prix des canettes de 50cl de Cara Pils a été abaissé à 40 cents dans les magasins – mais pas sur Collect&Go, car Lidl ne vend pas la pils low cost en ligne. De son côté, Aldi a lancé ses actions Knaldi et dégainé l’argument du ticket de caisse plus bas l’an dernier. Imparable : chez Aldi, vous n’êtes pas obligé d’acheter de gros volumes, les caddies sont littéralement plus petits et l’assortiment est plus limité. Résultat : souvent, vous paierez moins à la caisse. Cela se tient. Mais ce n’est pas une guerre des prix pour autant.
Adieu, bonus corona
La concurrence ne se serait donc pas intensifiée ? Si, évidemment. Et il y a une bonne raison à cela. 2020 a été une excellente année pour le food-retail. Mais il sera impossible de rééditer ces performances en 2021. L’horeca et les entreprises vont rouvrir – du moins on peut l’espérer – et le bonus corona va fondre au soleil comme la neige de la semaine dernière. En outre, les prix des produits de marque sont déjà en hausse. Ce qui n’est pas bon pour la perception. D’autant plus qu’une partie importante de la population s’inquiète déjà de sa situation financière.
C’est aussi la raison pour laquelle les négociations annuelles sont en train de tourner au bras de fer. Chaque euro sera âprement disputé à partir du deuxième trimestre. Les food-retailers ne reculeront devant rien, sauf une confrontation directe avec Colruyt. Parce qu’ils n’ont rien à y gagner. 2021 sera donc une année riche en coups promotionnels et en campagnes marketing créatives. Car l’année dernière a démontré qu’il était ainsi possible de mettre le leader du marché sur la défensive et de lui ravir de précieuses parts de marché. La guerre des prix sera avant tout une guerre de perception, mais cela ne la rend pas moins mortelle.