L’année 2016 a-t-elle été celle des box repas ? L’année des discussions fermes entre Ahold et Delhaize ? L’année de CRU et d’Amazon ? Ou avons-nous surtout fêté la joyeuse entrée des produits A chez Aldi. Une année, cinq questions.
1. Le marché alimentaire devient-il un marché de déplacement ?
Chaque année, nos chaînes de supermarchés annoncent l’ouverture de dizaines de nouveaux magasins et les CEO, qu’ils se nomment Jef Colruyt ou François-Melchior de Polignac, déclarent à chaque fois que le marché FMCG n’est pas saturé. Pourtant, chaque année, on compte davantage de magasins qui ferment leurs portes que de points de vente qui voient le jour. Ces fermetures ne se limitent plus aux petits magasins de quartier un peu vieillots : de nouveaux supermarchés modernes qui appartiennent à de grandes chaînes en souffrent également.
Le phénomène a été omniprésent en 2016 : à Zonhoven, sept supermarchés se sont battus à mort, à Neerpelt, un tout nouveau Alvo resplendissant a dû jeter l’éponge après seulement deux mois d’activité, à Schoten, Aldi, Lidl et Colruyt combattent dans un rayon de 300 mètres. A Anvers, Match a été contraint de tirer sa révérence, et à Waregem, l’Intermarché a subi le même sort. Il n’existe plus d’opportunités. Encore une réflexion à ce sujet : les chaînes de supermarchés répercutent de plus en plus ce risque d’expansion sur les franchisés indépendants.
2. Allons-nous vers un éclatement des formules de magasins ?
Il n’existe pas une seule formule de magasin Carrefour market : il en en existe plusieurs qui dépendent du marché local. Nous avons le ‘urban’ Market pour les villes, une édition ‘highlife’ pour les quartiers les plus riches … et nous avons la nouvelle formule Easy pour combler le vide entre le Market et l’Express. Les hypermarchés sont également très axés sur le local : celui de Coxyde n’est pas le même que celui de Mons.
On retrouve ce même raisonnement chez Okay. En plus de la version standard et de la formule Compact, l’entreprise envisage un concept plus grand qui se situerait entre Okay et Colruyt. D’autres enseignes suivent cette tendance sans pour autant modifier le nom de leur enseigne : ils ajoutent une gamme locale, ils testent de nouveaux modules ici et là. Prenons l’exemple de Lidl qui ouvre des filiales « LoF » bien plus grandes, mais qui réduit intentionnellement la gamme de ses plus petites enseignes.
Nous sommes face à une tendance internationale : pensez à l’apparition des magasins Carrefour Gourmet dans différentes villes européennes, ou à l’évolution de la formule Albert Heijn aux Pays-Bas. Le raisonnement qui se cache derrière cela, est très simple : ‘all retail is local’, on est face à un public et à des concurrents différents dans chaque zone de marché. Pour les retailers, il s’agit de trouver le juste équilibre entre les avantages d’échelle et la standardisation d’un part, et les possibilités d’adaptation locales d’autre part. Le ‘one size fits all’ perd certainement en importance dans un marché saturé.
3. La fin du harddiscount, the sequel ?
En Belgique, Aldi a finalement osé faire le pas après de longues années d’hésitation : les grandes marques A engendrent une hausse du chiffre d’affaires, augmentent la corbeille moyenne, et font en sorte que l’acheteur chez Aldi est moins tenté de se tourner vers la concurrence. Même si la communication d’Aldi reste relativement modeste lorsqu’il s’agit des marques : l’entreprise veille à ce que les grandes lignes du concept harddiscount soient conservées, mais ne nie pas qu’aujourd’hui, l’enseigne Aldi est totalement différente de celle d’il y a dix ans. Prenez la gamme des produits frais, l’aménagement du magasin, la communication, le rapport de durabilité, et maintenant les marques.
Lidl a entrepris cette évolution plus rapidement et de manière plus radicale. Cela fait déjà un certain temps que l’enseigne se profile explicitement comme étant une discounter du frais où les familles peuvent faire leurs achats à proximité de leur domicile, et ce de manière efficace et confortable (‘pas de stress quant aux choix à faire’). Durant l’année écoulée, la chaîne a de nouveau été très innovante, avec des magasins pop-up, des webshops, un nouveau concept de magasin et des projets urbains innovateurs. Les investissements publicitaires du retailer sont d’ailleurs disproportionnellement élevés par rapport à sa part de marché. D’où provient tout cet argent ?
De toute façon, le vieux principe de ‘open market’ semble être de moins en moins important pour les fabricants puisque tous les acteurs s’ouvrent aux marques, mais à condition qu’elles apportent de la valeur ajoutée.
4. Le marché FMCG est-il réellement capable d’innover ?
Tant les retailers que les fabricants étudient de nouveaux modèles business. Pour ce faire, ils sont inspirés – ou poussés – par les grands acteurs e-commerce. Des géants comme Amazon, Alibaba ou Google développent non seulement des webshops et des marchés puissants, mais également des écosystèmes mondiaux impressionnants avec leur propre service de livraison, des systèmes de paiement, des services de streaming, des réseaux publicitaires, des programmes de fidélité, des marques de distributeur et bien d’autres. Il est plus que probable que ces empires continueront à avoir une incidence sur le marché FMCG.
Une réelle innovation perturbatrice trouve souvent son origine chez des acteurs totalement étrangers (voyez le rôle de Google et de Tesla dans l’industrie automobile) : Amazon est davantage une entreprise de technologies qu’un retailer, elle n’est pas entravée par l’expérience ou la tradition. Elle mène donc des expériences en matière de boutons de commande et de magasins sans caisse, et ce sans aucune entrave.
Ce n’est sans doute pas par hasard que les multinationales FMCG achètent de plus en plus ce pouvoir innovateur en prenant des participations dans des start-ups : Unilever a racheté Dollar Shave Club, Walmart a repris Jet.com, Carrefour a organisé ses premiers hackatons … L’imitation est une autre stratégie : des supermarchés traditionnels lancent également leurs services de livraison, leurs box repas, leurs applis, leurs ‘urban farms’, …
5. S’agit-il du grand face au petit ?
Cette année, la fusion entre Ahold et Delhaize représente un accord majeur pour les concurrents locaux et des fournisseurs de marques ‘touchés’, mais dans dix ans, elle semblera peut-être n’avoir été qu’une petite note de bas de page. La rapidité avec laquelle les actionnaires prennent des décisions importantes, continue d’étonner.
Après la mégafusion entre AB InBev et SAB Miller, des spéculations vont bon train à propos d’un possible mariage du nouveau groupe de boissons avec le géant Coca-Cola, pas le premier venu. Après seulement quelques années de séparation, Kraft et Mondelez devraient à nouveau fusionner, selon Warren Buffet. Plus près de chez nous, nous avons noté un changement de propriétaire chez Alpro, Delacre et Palm, notamment.
Le fait qu’il s’agisse souvent de marques avec une tradition riche et un ancrage local fort, a son importance uniquement en termes de chiffres concrets dans lesquels la valeur de la marque est reprise : il n’y a pas de place pour les sentiments. Mais attention : la fidélité à la marque est une illusion. Nous constatons que le consommateur imprévisible aime également se faire séduire par des entrepreneurs passionnés et créatifs qui souhaitent donner un nouveau souffle à une marque de famille oubliée, ressortir une vieille recette de bière ou imaginer une affectation durable pour les restes alimentaires. Des entreprises qui ont cette idée folle d’ouvrir un magasin durable avec quelques produits belges, ou qui proposent des produits en vrac. Petit ou grand, multinationale cotée en bourse ou entreprise familiale : les gens ne s’en préoccupent pas. Du moment que l’offre réponde à leurs attentes variées. Tout est possible …