Afin de réchauffer l’atmosphère assez négative qui plane autour de l’entreprise, Colruyt Group a présenté un rapport stratégique intermédiaire détaillé à la presse mardi dernier. Le message central : le groupe surfe sur l’évolution des besoins des clients avec une attention croissante pour le service. Mais cette stratégie est-elle vraiment si solide ?
Parer aux critiques
Pour la première fois, Colruyt Group avait invité des journalistes et des analystes à une présentation de son rapport stratégique. Le groupe estimait manifestement qu’une mise au point était nécessaire face à l’actualité assez négative de ces derniers mois : Barclays a notamment publié un rapport d’analyste très critique, alors la récente – et quelque peu surprenante – annonce sur les prix rouges a alimenté des spéculations sur la fin de la garantie du prix le plus bas dans les médias. L’action a déjà perdu 40% de sa valeur cette année.
Le PDG Jef Colruyt, flanqué de Jo Willemyns (COO Food Retail and Marketing Services) et de Stefan Goethaert (COO Fine Food, Business & Group Services), a donc pris tout le temps nécessaire pour fournir une présentation très complète destinée à répondre aux récentes critiques et clarifier la vision de l’entreprise. « Nous travaillons sur un horizon de deux générations, pas uniquement pour le prochain trimestre », a-t-il déclaré. Et : « Colruyt, c’est bien plus qu’un commerçant. »
Le retailer devient un prestataire de services
Reste que l’entreprise est jugée sur ses résultats, pas sur ses perspectives à long terme. « Peut-être faudrait-il rapprocher ces aspects. » La pandémie a coûté des parts de marché à Colruyt, admet Jef Colruyt, mais le retailer est en train de les regagner. En revanche, la période d’instabilité que nous traversons l’inquiète davantage : « Ce ne sera pas une promenade de santé, mais nous devrons la surmonter ensemble. »
La priorité pour Colruyt reste de faciliter la vie de ses clients. Le retailer veut ainsi s’ériger en prestataire de services numériques. Et parallèlement à la numérisation, la durabilité sera le grand thème des décennies à venir. La croissance du groupe doit reposer sur quatre piliers, et l’alimentation n’est qu’un d’entre eux : la santé, le non-food et l’énergie font également office de fers de lance du groupe.
Focus sur le client urbain
Dans le food-retail, Colruyt se voit avant tout en gardien du pouvoir d’achat du consommateur. « C’est une compétence essentielle chez nous, 120 collaborateurs comparent 62 000 prix chaque jour », assure Jo Willemyns. « Nous sommes en discussions constantes avec l’agriculture et le FMCG. » Il n’a en revanche pas donné de détails sur la nouvelle communication des prix. On notera aussi que Colruyt voit encore des possibilités d’investir dans des magasins physiques en Belgique, au Luxembourg et en France. Ce potentiel se concentre surtout dans les villes : Colruyt veut mieux servir ses clients citadins, avec à la fois des magasins physiques et de l’e-commerce.
« Historiquement, notre part de marché est un peu plus faible dans les villes, mais nous entendons combler ce retard. » Que Colruyt veuille le faire avec des magasins propres et non des franchisés, qui peuvent ouvrir plus facilement le dimanche, pose cependant quelques questions. Selon Colruyt, il s’agit surtout d’un choix déontologique : le groupe ne veut pas faire porter le risque aux entrepreneurs indépendants. « Nous devrons faire preuve de créativité en matière d’horaires, d’efficacité, de service… Nous pensons avoir identifié quelques ouvertures. »
Pour la première fois, le retailer est prêt à livrer les courses à domicile, avec ses propres chauffeurs, depuis le nouveau e-DC de Londerzeel. Mais avec des frais de livraison élevés : 10 à 15 euros. Colruyt apportera plus de précisions à ce sujet la semaine prochaine. Jef Colruyt admet que le coût de la main-d’œuvre belge est un handicap : « La livraison express ne sera jamais rentable dans les conditions salariales belges. »
Nouvelles catégories
Dans les supermarchés, le retailer investira davantage dans quelques « nouvelles » catégories : fleurs, parapharmacie, food box et pain. Des catégories dans lesquelles Colruyt n’a rien d’un pionnier. Ici aussi, il s’agit donc plutôt de rattraper la concurrence. « Que certains concurrents soient effectivement plus performants dans ces catégories n’a aucune importance », affirme cependant Jo Willemyns. « Nous devons surtout proposer les bonnes catégories dans le bon contexte. Il y a vingt ans, nous avions décidé, après d’âpres discussions, de ne pas investir dans le pain ; aujourd’hui, la donne a changé. »
Les activités de Colruyt Group dans la production sont peu moins connues, mais pas moins importantes pour autant : en produisant lui-même, le groupe conserve la maîtrise des coûts et peut maintenir une production locale et écologique, affirme Stefan Goethaert. « Nous produisons nous-mêmes un tiers des ventes de marques propres. » Le groupe va construire une nouvelle unité de production pour le tranchage du fromage, développe de plus en plus ses activités dans l’agriculture, rachète des terres agricoles – ce qui ne fait pas l’unanimité dans le secteur – et investit dans une ferme marine. La transition protéique est une autre question importante.
Fitness
La transition de l’alimentation vers la santé n’a rien d’insurmontable, souligne Jef Colruyt. Les investissements réalisés par Colruyt dans ce domaine créent des synergies. L’acquisition de la chaîne de fitness JIMS a suscité des interrogations, mais on recense 1,2 million d’amateurs de fitness en Belgique et il est assez simple d’aménager un JIMS dans un magasin Colruyt, affirme le directeur général. « Nous pouvons de plus fournir aux passionnés un accompagnement sous la forme de recettes fitness, de supports numériques, des connaissances et d’analyses.
Dans le non-food, Colruyt Group se concentre sur les segments où une consolidation est en cours. Le groupe nourrit de grandes ambitions pour la chaîne de magasins de vélos Bike Republik : un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros au 3e trimestre Il reste également des possibilités dans le secteur de la mode. « Mais nous ne rachèterons pas une agence de voyage, par exemple », précise Jef Colruyt. Ce segment est trop éloigné des activités actuelles.
Xtra
Les projets de Colruyt Group pour la carte Xtra, bien plus qu’une carte de fidélité classique, sont également intéressants. L’application doit constituer une couche numérique au-dessus de toutes les activités du groupe. On compte désormais 4 millions de titulaires de cartes Xtra, dont environ 800 000 utilisent l’application. L’objectif est d’atteindre 1,5 million d’utilisateurs. L’application doit devenir un véritable assistant, avec une fonction de paiement et une liste de courses améliorée. Collect&Go y sera également intégré : « Nous nous dirigeons vers une application unique. Nous construisons cette application comme le fait WeChat, avec des mini-applications en parallèle aux fonctions de base », explique Jo Willemyns.
Conclusions ? Les participants ont eu droit à une belle mise à jour sur le rayon d’action de plus en plus étendu de Colruyt Group, mais nous sommes restés un peu sur notre faim concernant les véritables nouveautés. De plus, la présentation n’a pas abordé les sujets brûlants du moment, comme la concurrence sur les prix avec Albert Heijn ou la succession de Jef Colruyt. Tous les points de critique n’ont donc pas été passés en revue. Reste à présent à attendre les résultats annuels, que Colruyt Group publiera le 14 juin…