Les diminutions de prix draconiennes auxquelles Amazon procède d’emblée chez Whole Foods, ne sont que la première étape d’un projet de conquête bien plus vaste. Tout est question d’innovation.
Effet domino
Les médias américains sont intarissables sur le sujet : Amazon a tenu sa promesse. Les réductions de prix pratiquées depuis hier par le géant online chez Whole Foods sont radicales. Pour bon nombre de produits la chaîne semble même meilleur marché que le casseur de prix Walmart – pour le temps que cela durera, bien évidemment. Pourtant les retailers américains du secteur food étaient déjà engagés dans une guerre des prix, provoquée par l’arrivée de Lidl et par la réaction des concurrents Aldi, Kroger, Ahold Delhaize et Walmart. Et le duo Amazon / Whole foods ne fait qu’attiser ce combat.
Au départ les observateurs avaient pourtant relativisé les choses : Whole Fodds est (ou plutôt était) un retailer de luxe extrêmement cher, s’adressant à un public assez élitaire de foodies et d’adeptes du bio. Avec ses 460 magasins l’enseigne est un acteur relativement modeste (à titre comparatif, Ahold Delhaize en compte 2.000). Mais comme toujours les réductions de prix provoquent un effet domino : les concurrents sont obligés de suivre, ce qui leur coûte beaucoup d’argent. De ce fait les investisseurs perdent confiance dans les chaînes de supermarchés traditionnelles et liquident leurs actions. Encore des milliards de perdus pour les enseignes, comme c’est le cas pour Ahold Delhaize. Et tout cela dans un secteur où les marges sont minimes. Et c’est là qu’Amazon possède un atout que n’ont pas les autres retailers : pour le géant américain l’argent n’est pas un problème …
Etapes suivantes
Mais pour Amazon ces réductions de prix ne sont qu’un ticket d’entrée pour accéder au terrain de jeu du marché FMCG. Apparemment le réel impact d’Amazon ira beaucoup plus loin qu’une simple guerre des prix : l’e-commerçant va intégrer les supermarchés dans son modèle d’entreprise et en redessiner le concept.
Les premiers signes sont déjà perceptibles : désormais Whole Foods vend les appareils Echo et Dot d’Amazon, Prime sera le programme de fidélité pour les clients de Whole Foods, des lockers d’Amazon seront installés dans les magasins Whole Foods, les produits maison de Whole Foodes sont en vente via Amazon.com, AmazonFresh, Prime Pantry et Prime Now…
Les étapes suivantes paraissent évidentes, selon les analystes : un nouveau management sera mis en place chez Whole Foods, chargé d’examiner minutieusement les opérations de l’enseigne, de revoir l’assortiment et de rénover les magasins. Des départements entiers seront supprimés (la mode durable, par exemple) et des services/catégories seront ajoutés (box repas, click & collect). Les magasins seront dotés de kiosques d’Amazon, où des collaborateurs vendront des abonnements Prime aux clients et les aideront à installer les comptes, applications et gadgets d’Amazon. Il est très possible également que la formule de magasin bon marché 365 soit abandonnée, parce que devenue superflue.
Nouveau concept
N’oublions pas non plus qu’Amazon est une entreprise de technologie. Sur base d’une analyse de données approfondie (puisque l’e-tailer a désormais accès aux fichiers clients de Whole Foods) et grâce à son expérience avec Amazon Fresh, l’e-tailer a déjà une image très précise de la manière dont les consommateurs achètent des produits alimentaires. Ainsi Amazon a toutes les cartes en main en vue de tester un nouveau concept de magasin chez Whole Foods, qui répondra mieux au comportement d’achat des millennials et de la génération Z.
Les attentes sont élevées. Finalement le supermarché tel que nous le connaissons aujourd’hui est quasiment identique aux premiers supermarchés des années 1950 et 1960, sauf qu’aujourd’hui ils sont plus grands en moyenne et disposent du système de self-scanning. Mais pour le reste, le modèle commercial est resté inchangé, y compris le routing, le mécanisme des promotions et le folder hebdomadaire. Bonjour l’innovation !
Wake-up call
Admettons, pour l’instant la plupart des observateurs ne sont pas encore vraiment impressionnés par les initiatives d’Amazon dans ses magasins physiques. Oui, les librairies tentent des choses intéressantes au niveau du merchandising, du choix de l’assortiment, de la communication de prix et de l’intégration omni-canal. Toutefois on ne peut pas encore parler de révolution. De même pour les ‘convenience stores’ sans caisses Amazon Go : une idée géniale, mais la réalisation concrète du projet se heurte encore à certains problèmes. Et les points de retrait PickUp d’Amazon Fresh ne sont qu’une copie améliorée des Drives français.
Quoi qu’il en soit, la rapidité avec laquelle procède Amazon et les grands moyens investis par l’entreprise constituent un ‘wake-up call’ pour toutes les enseignes de supermarchés traditionnelles. Les retailers doivent se montrer compétitifs au niveau des prix et se distinguer : les compromis tiédasses n’ont plus leur place sur le marché. Comment Walmart et Google vont-ils réagir ? Que va entreprendre Ahold Delhaize avec son supermarché online Peapod ?Aldi et Lidl seront-ils contraints d’intensifier leurs activités e-commerce ? L’orage, en passant d’abord par le Royaume-Uni, se propagera-t-il rapidement vers l’Europe ? L’enjeu est important … place your bets !