Ahold plus fort, Delhaize sous pression
Les nouveaux partenaires mettent donc l’accent sur l’innovation. Toutefois un autre atout de leur collaboration est le renforcement de leur position d’achat, un facteur vital tant pour Ahold que pour Delhaize, qui plus est sur leur principal marché, les Etats-Unis.
Dick Boer d’Ahold deviendra le CEO de la nouvelle société combinée. Frans Muller, l’actuel CEO de Delhaize, occupera la fonction de Deputy CEO et Chief Integration Officer et sera donc chargé de mener à bien l’intégration des deux entités. Ahold, qui en termes de valeur boursière est deux fois plus grand que Delhaize, détiendra 61% des actions, Delhaize les 39% restants.
Tout cela semble donc bien équilibré, comme il se doit dans une fusion entre égaux. Toutefois les discussions de fusion n’ont pas réellement démarré sur un pied d’égalité. La rumeur veut que Delhaize ait fait le premier pas afin de relancer les discussions de fusion avec Ahold, après l’échec d’une première tentative en 2006.
Depuis Ahold n’a cessé de se renforcer, alors que Delhaize sur son marché domestique belge s’est retrouvé sous pression et s’est vu contraint de procéder à une restructuration draconienne. C’est pourquoi la Rabobank, dans un rapport de début juin, affirmait qu’une fusion était intéressante pour les deux parties, mais qu’elle profiterait davantage à Delhaize.
Ahold USA en ville, Food Lion à la campagne
L’un des atouts de Delhaize est sa forte position aux Etats-Unis, le principal marché des deux retailers. Delhaize USA bénéficie d’une structure de coûts plus avantageuse et d’un appareil logistique plus efficace en gestion propre, alors qu’Ahold dépend d’un partenaire logistique externe. C’est ce qu’affirment les analystes américains dans une récente édition du journal Het Financieele Dagblad. Ahold USA pourrait donc tirer profit des capacités logistiques de Delhaize, si ce n’est que les réseaux des deux groupes dans l’Est des USA ne se chevauchent quasiment pas, géographiquement parlant.
Ahold USA est implanté principalement dans les agglomérations urbaines, où les revenus disponibles sont légèrement supérieurs. Bien qu’Ahold ait moins de magasins aux USA que Delhaize, ils sont en général plus rentables que ceux du distributeur belge. De son côté Delhaize USA est davantage présent en milieu rural, où la clientèle est moins aisée. Vu le chevauchement limité – tant aux USA, qu’en Europe –, une intégration des deux réseaux ne s’impose donc pas en cas de fusion.
Echange d’enseignes
Ahold-Delhaize pourra se concentrer sur les magasins nécessitant une adaptation, car la fusion offrira bien de plus de possibilités au niveau de la transformation des magasins. La Rabobank y voit des opportunités intéressantes. Ainsi les magasins peu performants de la formule américaine d’Ahold, Stop & Shop’, pourront être convertis en Hannaford, enseigne de Delhaize USA, qui, selon la banque, croît plus rapidement et est plus rentable que Stop & Shop.
Autre option : transformer les Food Lions moins rentables, qui disposent d’une surface de vente suffisamment grande, en Giant/Martins, une formule ‘every day low price’ très populaire, selon la Rabobank.
« L’entité fusionnée recèle un énorme potentiel dans des régions comme New England (dans le nord-est des USA, ndlr.), car Stop & Shop y dispose du volume qui manque à Hannaford, alors que Hannaford a une grande expérience dans le frais, que n’a pas Stop & Shop », explique Jon Springer, retail editor du magazine américain Supermarket News. « Giant-Landover, à son tour, peut tirer profit des points de vente Food Lion s’il veut s’étendre vers Washington DC ou la Virginie, des marchés qui pour Kroger/Harris Teeter représentent également un potentiel de croissance. »
Pression accrue aux USA suite à la consolidation
Harris-Teeter est un retailer régional important qu’Ahold aurait voulu racheter il y a quelque années, mais qui hélas pour Ahold – et donc également pour Delhaize – lui a été dérobé par l’américain Kroger. Kroger/Harris Teeter représente une sérieuse concurrence tant pour Giant d’Ahold que pour Food Lion de Delhaize.
Ces dernières années le marché américain n’a d’ailleurs cessé de se consolider. Ainsi Albertson’s a racheté les retailers Shaw’s, Acme et Safeway. D’où la nécessité, tant pour Delhaize que pour Ahold, d’unir leurs forces pour survivre aux USA. Pour faire face à la concurrence les magasins devront être plus attrayants et les prix et promotions toujours plus serrés.
« AH achète 10% moins cher que Delhaize »
L’échange d’enseignes peut également s’avérer avantageuse en Europe pour Ahold-Delhaize. Ainsi la croissance organique d’Albert Heijn en Belgique pourrait s’accélérer : sur les marchés où Delhaize est en difficulté, Albert Heijn pourrait inverser la tendance. En Belgique Albert Heijn a une ‘image prix’ très attrayante, car l’enseigne néerlandaise bénéficie de conditions d’achat avantageuses. AH peut donc être une arme efficace sur des marchés concurrentiels, face à des retailers comme Colruyt et Lidl.
De toute manière Albert Heijn constitue un remède important pour Delhaize Belgique sur la voie du rétablissement. L’enseigne néerlandaise bénéficie en effet de conditions d’achats bien plus intéressantes : selon la Rabobank, Albert Heijn achèterait 10% moins cher que Delhaize. Si le distributeur belge parvient à réduire cette différence à 7 ou 8%, il y gagnera environ 120 millions d’euros et doublera son bénéfice opérationnel (EBIT).
Synergies au niveau IT, marques maison et online
Dans le domaine des private labels aussi, la fusion permettra de réaliser d’énormes économies de coûts, estime la Rabobank. Ensemble les deux distributeurs vendent pour 21 milliards de marques maison. La synergie dans ce domaine est double : l’harmonisation des assortiments résulte en une meilleure qualité des produits, qui pourront être achetés à des prix plus avantageux.
Outre les marques maison, les synergies (de coûts) à exploiter sont multiples, notamment dans le domaine de l’achat d’IT, dans la promotion et le marketing, dans la logistique et, last but not least, dans le développement de l’online. Au niveau du know-how, Ahold fait incontestablement partie du top mondial lorsqu’il s’agit de développer une chaîne d’approvisionnement online efficace. Un savoir-faire online nécessaire, car en Amérique notamment, le groupe est confronté à la montée de retailers non-traditionnels, comme Instacart et Amazon.
Au New Jersey, Ahold exploite un e-fulfilment center entièrement automatisé, permettant le traitement rapide, efficace et à bas coûts des commandes en ligne. Delhaize pourra donc tirer profit de ce know-how online. Ahold, de son côté, pourra bénéficier de l’expertise de Delhaize dans le retail de proximité. Sur les marchés saturés, l’online et le retail de proximité sont deux segments de croissance pour les chaînes de supermarchés traditionnels, qui souhaitent faire face au grand rival qu’est le discount.
L’entité fusionnée Ahold-Delhaize devra donc relever tous ces défis, tant aux USA qu’en Europe, où elle occupera respectivement la 5ème et la 4ème place, en termes de taille. Ahold et Delhaize ont besoin de cette ampleur, en plus des synergies, pour survivre et poursuivre leur croissance.