Même si nous observons peu à peu les premiers signes d’un retour à l’« ancienne normalité », la crise sanitaire a un impact considérable sur le comportement des clients des supermarchés. Mais quelles sont les tendances faites pour durer ? Quels sont les feux de paille ?
Tendances contradictoires
Avec l’assouplissement progressif des mesures sanitaires, le comportement des clients semble également se normaliser. En France, le chiffre d’affaires des hypermarchés se redresse ; en Wallonie, les producteurs locaux s’inquiètent : les nouveaux clients qu’ils ont accueillis pendant le confinement se sont évaporés. Sommes-nous en train de revenir l’ère pré-corona ?
Les mesures sanitaires ont au moins eu pour effet de mettre en veilleuse certaines tendances à long terme dans le secteur du food-retail, du moins pour l’instant. Le rêve du magasin sans plastique – ou les rayons des fruits et légumes sans emballage – n’a jamais paru si inaccessible alors que les consommateurs trouvent à nouveau les produits préemballés plus hygiéniques et plus sûrs. La fusion du retail et du food-service – également appelée « blurring » – apparaît beaucoup moins évidente en période de crise sanitaire et devra se réinventer. Même l’expérience n’est plus ce qu’elle était en cette époque de distanciation sociale.
À l’inverse, d’autres tendances se renforcent : il semble désormais clair que l’e-commerce a enfin opéré sa percée dans l’alimentation. La montée en puissance des magasins de proximité s’est amorcée il y a plusieurs années et n’est pas remise en cause. La demande de produits sains, locaux et durables est également en hausse constante. Le tout dans un contexte de récession, de baisse de la confiance des consommateurs et d’insécurité d’emploi : les clients ne vont pas jeter de l’argent par les fenêtres durant les mois et les années à venir. Le prix et les promotions resteront des priorités. Comment ces tendances parfois contradictoires vont-elles changer nos supermarchés ?
Des modes de consommation sains
Certains schémas sont clairement visibles : les consommateurs préfèrent à nouveau faire leurs courses dans leur quartier. Ils viennent moins souvent, mais achètent plus chaque fois qu’ils passent à leur supermarché. Et ils optent plus souvent pour des produits frais, locaux, bio, végétariens ou végétaliens. Ainsi que pour des produits sains, car il est urgent de perdre ces kilos supplémentaires pris pendant le confinement. Ce sont des tendances qui existent depuis longtemps et qui semblent s’accélérer, tant en Belgique que chez nos voisins. De même, les consommateurs ciblent davantage leurs achats et passent moins de temps dans le magasin, ce qui réduit les achats impulsifs.
Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les hypermarchés et pour les grands supermarchés discount comme Colruyt, qui ont perdu des parts de marché pour la première fois malgré le bonus qu’ils ont enregistré au moment où les consommateurs ont massivement constitué des réserves. À l’instar des chaînes bio, les supermarchés de quartier et les magasins de proximité ont le vent en poupe. Mais comme nous l’avons écrit au début de cet article : il est possible que cet effet s’estompe rapidement.
Les consommateurs ont en effet découvert que la mondialisation avait aussi des effets secondaires néfastes. Ce qui offre des opportunités aux producteurs locaux. Et va encourager les enseignes de grande distribution à se montrer plus transparentes en ce qui concerne leurs filières d’approvisionnement. Cette médaille a aussi un revers : un certain protectionnisme apparaît ici et là. Et cela n’est pas souhaitable pour des pays exportateurs comme le Benelux.
Le retour du plastique ?
Dans leur volonté de faire la part belle à la durabilité, les retailers n’ont cessé de tenter de réduire ou d’éliminer les déchets d’emballage ces dernières années. Chez Delhaize et Albert Heijn par exemple, le rayon des fruits et légumes s’est retrouvé « nu » : les emballages en plastique ont été bannis autant que possible, les produits étaient présentés dans des cartons ou en vrac. Aldi a également sauté dans ce wagon.
Mais le vrac a un inconvénient : de nombreux clients touchent les produits, ce qui n’est pas hygiénique. Et ils préfèrent aujourd’hui jouer la sécurité, ce qui n’a pas échappé aux retailers. L’emballage fait donc son grand retour dans les supermarchés. Définitivement ? Les distributeurs de produits (bio) comme les céréales, les noix, les légumineuses ou les pâtes en vrac sont moins problématiques : le respect des règles d’hygiène y semble garanti.
L’e-commerce s’impose enfin
Les food-retailers belges n’étaient absolument pas prêts pour l’e-commerce, mais cela ne fait désormais aucun doute : la demande est présente. Des investissements dans des capacités supplémentaires prennent du temps, mais ils arrivent. Et ils pourraient aussi changer le visage des supermarchés à long terme : les retailers devront prévoir plus d’espace pour les points d’enlèvement et le stockage des commandes en ligne, par exemple. Des points d’enlèvement, automatiques ou non, font ainsi leur apparition sur les parkings, et il faudra les équiper pour traiter des produits frais et surgelés. Enfin, il faut trouver des solutions efficaces pour le fameux « dernier kilomètre ».
L’essor de l’e-commerce électronique implique une perte de chiffre d’affaires pour le supermarché physique. Il peut ainsi inciter les retailers à réduire la taille de leurs magasins et à revoir leur assortiment. Les scénarios sont bien connus : une partie de la gamme pourrait progressivement être exclusivement disponible en ligne – pensez à des produits de niche ou à des achats de routine, sous forme d’abonnement ou à commander via l’application ou en magasin. Nous le constatons déjà sous une forme très poussée dans les supermarchés chinois Freshippo (filiale d’Alibaba), où les clients sont invités à commandent leurs courses dans l’application, aller les enlever immédiatement ou se les faire livre le jour même à la maison pour que les magasins puissent laisser toute la place nécessaire à l’expérience du frais et de la consommation sur place. Un modèle à suivre ?
Un retour du food-service ?
La bataille pour l’estomac des clients a pris une tournure inattendue. La fermeture des snack-bars, des restaurants et des cantines d’entreprise a permis aux supermarchés d’enregistrer une belle croissance de leur chiffre d’affaires et incité les consommateurs à faire davantage la cuisine. Mais les supermarchés ont également dû fermer leurs salad-bars et restaurants in-store. Les fournisseurs de repas et les boxes à repas ont connu un véritable âge d’or.
Une tendance ? On peut s’attendre à ce que de nombreux consommateurs ne puissent continuer à cuisiner de cette façon tous les jours. Les plats préparés frais et sains conservent un fort potentiel. Les supermarchés peuvent encore renforcer leur position dans le domaine des plats préparés, mais ils subiront également l’impact d’un secteur horeca qui doit se réinventer. Les concepts de libre-service comme les salad-bars survivront-ils aux exigences sanitaires ? Des formules de buffet seront-elles à nouveau possibles ? Faut-il passer à des concepts comportant exclusivement des plats préemballés – que vous pouvez faire personnaliser à condition de les commander dans l’application ? Quel sera le poids des repas à emporter dans les restaurants réels ou fantômes ? Les retailers peuvent-ils – comme dans l’expérience d’Albert Heijn avec Allerhande Kookt – revendiquer un rôle dans ce domaine ? Une coopération avec des services de livraison comme Deliveroo et Takeaway.com est-elle envisageable ? Des opportunités sont présentes, c’est sûr.
Caisses sans contact
Les consommateurs qui s’accrochent aux paiements en espèces sont de moins en moins nombreux. L’argent cash n’est ni hygiénique, ni sûr, ni pratique. Les paiements électroniques et surtout les paiements sans contact ont opéré une percée remarquable ces derniers mois. Des solutions de paiement initialement développées pour les boutiques en ligne font leur apparition dans les magasins : le smartphone est la nouvelle carte de paiement.
Et ce téléphone est aussi un scanner portatif : avec votre propre appareil, vous réduisez encore le risque de contamination. De plus en plus de détaillants proposent désormais des solutions « scan & pay » dans leur application. La caisse traditionnelle avec tapis roulant va-t-elle disparaître des supermarchés ? Les petites règles pour séparer les courses vont-elles être reléguées aux musées du folklore ?
C’est peut-être aussi la raison pour laquelle le bon de réduction papier est en voie de disparition. Dépassé… Il est parfaitement possible de proposer des promotions sous forme numérique, dans l’appli. Des promotions automatisées, cibles et personnalisées. Il est sans doute temps que les markeeters commencent à saisir ces énormes opportunités.
Concurrence accrue
Et enfin, les sous. Si les supermarchés ont enregistré une belle croissance de leurs ventes pendant le confinement – la courbe se stabilise désormais –, les coûts ont également augmenté, notamment en raison des mesures de sécurité, des primes et de la nécessité d’embaucher de travailleurs (temporaires) supplémentaires. Les investissements nécessaires dans la logistique et le commerce électronique coûtent également très cher.
Les prix, qui ont augmenté pendant la période de confinement, devraient à nouveau diminuer, d’autant que la récession va faire sentir ses effets chez les consommateurs. Par conséquent, les marges se contractent à nouveau – et elles n’étaient déjà pas bien grasses. La concurrence va encore s’intensifier. En Belgique, l’expansion d’Albert Heijn et de Jumbo n’a que légèrement ralenti, et Delhaize a déjà annoncé l’ouverture de trente nouveaux magasins. Ces phénomènes conjugués feront-ils des victimes ?
Avant même l’épidémie, les observateurs prédisaient une nouvelle vague de consolidation dans le paysage européen des supermarchés. Mais si Carrefour veut absolument y jouer un rôle et Rewe recherche ouvertement des cibles potentielles, Tesco a vendu sa division polonaise après ses activités asiatiques et se replie désormais sur les îles britanniques et l’Europe centrale. Là aussi, des tendances contradictoires. Aujourd’hui, la seule certitude que nous ayons est que nous entrons dans une période de grande incertitude.