Dans un paysage concurrentiel radicalement différent, la garantie du meilleur prix est une impasse pour Colruyt Group : le détaillant est prisonnier de son modèle commercial mais ne peut pas le modifier. Quoique…?
Le pire reste à venir
Cette semaine, les chiffres semestriels de Colruyt Group n’ont pas dépassé les prévisions des analystes les plus pessimistes : le chiffre d’affaires ne doit son augmentation qu’à la hausse des prix et les bénéfices diminuent de moitié. Et le pire reste à venir, admet l’entreprise : une indexation automatique des salaires est prévue en janvier, une nouvelle vague d’augmentation des prix se profile et la concurrence multiplie les initiatives. Difficile de trouver des points positifs dans cet enchaînement de mauvaises nouvelles.
« Les mois à venir resteront également très riches en défis, les perspectives macroéconomiques sombres continuant à influencer le comportement d’achat des consommateurs », a déclaré le PDG Jef Colruyt. « Cependant, nous avons des as dans notre manche. Grâce à l’importance que nous accordons depuis longtemps à la gestion des coûts opérationnels et à l’efficacité, et à notre expérience dans ce domaine, ainsi qu’à nos investissements ciblés à long terme, nous sommes solidement ancrés en tant que groupe et c’est une force sur laquelle nous pouvons compter et nous appuyer. »
Le grand tabou
En d’autres termes : nous n’allons pas changer de cap, nous allons continuer à faire ce que nous faisons bien depuis 40 ans. La question est la suivante : si vous avez réussi à mieux maîtriser les coûts que tous vos concurrents pendant des décennies, comment pouvez-vous espérer que cette attention continue portée sur l’efficacité génère d’importants gains supplémentaires ? Les chances sont faibles… Il semblerait donc que Jef Colruyt préfère sacrifier davantage les marges plutôt que d’ajuster le modèle économique de son entreprise. Le fait que l’action soit en chute libre est le dernier de ses soucis.
Mais en essayant d’identifier les principaux points sensibles, on tombe inévitablement sur la garantie du meilleur prix de ce célèbre détaillant. Y toucher a toujours été un tabou. C’est compréhensible : la garantie du meilleur prix fait partie de l’ADN de Colruyt. C’était une stratégie brillante pour le challenger qu’était autrefois Colruyt sur le marché belge de la distribution alimentaire. Les fabricants de marques payaient le marketing du discounter, la concurrence n’avait pas de réponse. C’est ainsi que, en quelques décennies, Colruyt a troqué son statut d’outsider du secteur pour celui de leader du marché vraisemblablement inattaquable.
Promotions intelligentes
Mais vous ne trouverez nulle part dans le monde un détaillant alimentaire qui offre une garantie du meilleur prix aussi intransigeante que Colruyt, qui plus est un leader du marché. Le numéro un américain Walmart est très sélectif dans ses garanties du meilleur prix. Les hard discounters comme Aldi et Lidl garantissent un rapport qualité-prix compétitif, mais rien d’autre. La garantie du meilleur prix appliquée par Jumbo, inspirée de Colruyt, aux Pays-Bas n’est qu’une faible décoction comprenant de nombreuses exceptions : elle ne s’applique pas aux promotions temporaires des concurrents, par exemple. Dans ces conditions, ce n’est pas très compliqué.
Sans oublier que le paysage des supermarchés belge a fondamentalement changé ces 10 à 15 dernières années. De nouveaux concurrents internationaux chamboulent la guerre des prix. À commencer Albert Heijn avec ses prix hollandais : ce nouveau challenger se donne une image de prix tranchée avec seulement un nombre limité de grosses promotions savamment choisies chaque semaine, auxquelles Colruyt doit répondre. Les autres chaînes de supermarchés ont rapidement compris et adoptent désormais aussi la tendance du 1+1 gratuit.
Un contre tous
Ainsi, la concurrence en Belgique se pose comme une bataille inégale d’un contre tous. En bon héros local, Colruyt doit répondre à chaque baisse de prix, chez chaque concurrent. Aldi, Lidl, Carrefour et Ahold Delhaize sont des mastodontes à côté du leader du marché. Ils disposent d’un énorme pouvoir d’achat international, qu’ils utilisent de plus en plus. En ce sens, Colruyt peut s’estimer heureux que les multinationales aient réussi jusqu’à présent à maintenir leurs restrictions territoriales d’approvisionnement.
Dans la période d’inflation actuelle, le désavantage est encore plus grand pour le leader du marché : les concurrents ont nettement plus de possibilités d’augmenter leurs prix pour préserver encore un peu leurs marges. Pour Colruyt, c’est beaucoup plus difficile. En outre, la concurrence en ligne est de plus en plus forte. Comme Walmart, Colruyt n’ajuste pas les prix dans ses magasins physiques sur les prix de ses concurrents en ligne : ce serait totalement intenable. Mais les différences de prix croissantes entre les magasins et Collect&Go ne sont pas du goût des acheteurs méfiants.
La part de marché ne progresse pas
Comme si tout cela ne suffisait pas, la garantie du meilleur prix ne semble plus aider Colruyt à gagner en part de marché. Pendant les confinements, le leader du marché a même vu sa part de marché diminuer, de nombreux clients alors en télétravail préférant leur magasin de proximité. Elle est légèrement remontée depuis mais, à 30,9 %, Colruyt est toujours en dessous du niveau pré-COVID de 32,5 %. Et la part de marché stagne depuis ces six derniers mois.
Une conclusion s’impose : la garantie du meilleur prix sous sa forme actuelle n’est pas tenable, même si l’envolée des coûts devrait ralentir avec le temps. Mais y renoncer n’est pas non plus une option, car elle fait partie de l’identité de la marque et est la raison d’être de Colruyt Meilleurs Prix. Comment sortir d’une telle impasse ? Tout au plus, le détaillant peut modifier les petits caractères. L’ajustement des Prix Rouges en début d’année semble mettre en lumière la volonté d’y réfléchir à Halle. Cela demandera de la créativité et la plus grande précaution. Pas à pas, donc. Combien de temps reste-t-il à Colruyt ?