Barbara Torfs, la force motrice et les épaules solides de la division marketing et e-commerce de Schoenen Torfs, a choisi de donner une toute autre tournure à sa carrière et quitte donc l’entreprise. « Il m’est certainement arrivé de susciter la controverse, mais on m’a toujours fait confiance », nous confie-t-elle.
La connaissance et l’expérience que Barbara Torfs a développées et appliquées avec succès durant 21 ans, seront mises à disposition de l’entreprise de coaching Herculean avec l’objectif d’assurer – de façon sportive – la réussite d’autres entreprises.
Plus de dix vingt ans de carrière chez Torfs, quelles ont été les étapes les plus importantes pour vous ?
B.T.: « Lorsque je suis arrivée chez Torfs, l’entreprise comptait une trentaine de magasins. Aujourd’hui, nous en avons 75, de grande taille. Il est évident que ce n’est pas uniquement le nombre de magasins qui a fortement progressé. Les affaires en général, la structure, le nombre d’employés, tout devait suivre la même tendance. Lorsque je me remémore ces années, un sentiment de satisfaction monte en moi.
J’ai connu les différentes phases de croissance. La révolution numérique et ses effets à grande vitesse est l’étape qui ressort du lot. En cinq ans de temps, les choses ont tellement changé dans le retail, bien plus que durant les quinze années précédentes. Il est évident que cela ne signifie pas que nous n’ayons rien construit durant la période qui a précédé cette révolution numérique.
Ne discréditons pas le passé. Durant les quinze et même trente années qui ont précédé l’arrivée de l’e-commerce, mon père et sa génération ont créé les fondements d’une entreprise à succès. La forte croissance de l’entreprise ne provient donc pas uniquement de moi ni du e-commerce, comme Wouter l’affirme parfois tellement bien. »
Ce n’est pas uniquement l’e-commerce qui vous a été favorable, le déménagement de vos magasins des centres urbains vers les périphéries a été un coup de maître.
B.T.: « J’ai été moins impliquée dans ce changement-là, mais cela va de soi que le marketing et la communication de l’entreprise devaient également se réorienter. Lorsque j’ai débuté ma carrière chez Torfs il y a vingt ans, je m’occupais surtout des rénovations de magasins, ce qui impliquait une petite dose de communication. Mon tout premier budget marketing s’élevait à 800.000 francs belges, pas plus. Aujourd’hui, ce même département manipule un budget de près de trois millions d’euros.
Il y a vingt ans, Torfs était surtout connue pour être une marque brave et classique. Je me souviens d’une anecdote qui date d’il y a quinze ans. Une jeune dame expliquait que Torfs était le magasin de chaussures de sa grand-mère. Les jeunes qui ont vingt et trente ans aujourd’hui ont une toute autre image de la marque Torfs. Toutes les catégories d’âge trouvent leur bonheur chez nous. »
A l’époque, comment avez-vous abordé ce rajeunissement de l’image ?
B.T.: « Un rajeunissement commence toujours par le produit même, le choix de la collection. Les magasins et le marketing doivent suivre pour créer une cohérence. Torfs est un des premiers retailers à avoir lancé son propre magazine consommateur. Pour nous, l’objectif de ce magazine était de confirmer le fait que Torfs était une marque à la mode. Ce magazine nous a permis de renforcer notre position dans le monde de la mode.
Le rajeunissement de la marque débute donc toujours dans le choix du produit et si nous nous trompons, vous pouvez être certain que les magasins le font savoir très vite. »
Durant ces vingt ans, quelles sont les décisions que vous avez prises et que vous avez regrettées ensuite ?
B.T.: « Je n’ai que très peu de regrets, en partie grâce au fait que tout le monde se remet constamment en question chez Torfs. La direction de Torfs est très critique envers elle-même et cela permet de limiter les erreurs. J’ai toujours tendance à placer la barre très haut, je trouve que c’est important de ne pas être trop vite content. Chez Torfs, j’étais toujours celle qui était très critique lorsqu’il s’agissait de nouvelles initiatives.
Cela ne nous a jamais empêché d’enclencher un véritable renouvellement. Il est certain qu’on constate parfois qu’un concept de magasin connaît plus de succès qu’un autre, ou qu’on a parfois lancé une campagne qui n’a pas rapporté le résultat escompté. Mais dans l’ensemble, nous n’avons pas été confrontés à d’importants problèmes. Le principal atout de Torfs est le suivant : tous les trois ans, nous élaborons un plan à moyen terme qui est réévalué annuellement. Cela nous permet d’ajuster si nécessaire et d’éviter les erreurs. »
Durant cette période, avez-vous connu d’autres grands changements, outre la révolution numérique, qui ont eu un impact sur la capacité concurrentielle de Torfs ?
B.T.: « Les agrandissements d’échelle qui sont apparus au cours des années sont un des principaux éléments. Torfs a réagi avec force en passant de 30 à 75 magasins et en agrandissant la superficie commerciale par la même occasion. Cela n’a pas facilité les choses pour la concurrence. Nous constatons que le petit indépendant disparaît et que des acteurs comme Brantano se démènent pour pouvoir bien résister.
Nous ne sommes clairement pas les seuls à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour renforcer la situation et c’est logique. Il est utopique de croire qu’on est le seul acteur sur le marché. Aujourd’hui, nous constatons que de plus en plus de magasins de vêtements proposent des chaussures à leur clientèle pour pouvoir profiter d’une part du gâteau. Pour l’instant, Torfs n’a certainement pas l’intention de faire le pas vers la mode vestimentaire, mais nous restons de toute façon attentifs aux nouveaux défis de demain. »
Les magasins multimarques éprouvent des difficultés aujourd’hui. Pensez-vous qu’ils aient encore un avenir ?
B.T.: « Ce phénomène des magasins multimarques contient toujours un risque, certainement lorsque les marques en question se lancent dans leur propre canal de vente en ligne. L’impact est encore relativement limité dans le segment de la chaussure. De plus, j’estime que la force de Torfs se situe au niveau de sa gamme qui est très vaste. Le Flamand moyen n’achète pas toujours la même marque et chez Torfs, il trouve plusieurs marques sous un même toit, tant online qu’offline.
Pourtant, lancer notre propre marque sur le marché reste un de nos défis. Aujourd’hui, nous bénéficions de licences exclusives avec Studio100 et Flair, mais nous avons également un regard critique sur ce que nous pourrions apporter nous-mêmes. »
Il semblerait qu’une grande partie de votre chiffre d’affaires en ligne provienne des écrans présents dans vos magasins. Comment y parvenez-vous ?
B.T.: « Effectivement, trente pour cent de nos ventes en ligne se font en magasin, ce qui est un chiffre très élevé. Cela nous permet de compenser la perte générée par les magasins et c’est une bonne nouvelle. Nous espérons évidemment que cette tendance ne va pas se poursuivre puisque nous serions confrontés à d’autres problèmes. En ce qui concerne notre canal offline, nous optons au moins pour un statu quo ou même une légère hausse.
Nous n’avons eu aucune difficulté à motiver nos collaborateurs en magasins à accompagner le client dans son parcours online. Une des principales forces de Torfs est de toujours impliquer les collaborateurs dans son histoire, et ce lors de chaque opération de renouvellement.
Le fashion-retailer qui doit encore commencer à écrire son histoire e-commerce aujourd’hui, est très en retard, sauf pour les entreprises qui se jettent dans des marchés de niche ou qui produisent une telle plus-value dans leurs magasins que l’e-commerce perd de son importance, pensez au magasin Van Loock. »
Torfs est connu pour être un bon employeur. On peut dire que vous y avez largement contribué ?
B.T.: « Tout cela est également lié aux valeurs et à la culture de l’entreprise. J’ai certainement contribué à faire en sorte que Torfs se positionne en tant que marque chaleureuse et humaine. J’étais la première à rappeler tout le monde à l’ordre et à demander qu’on redescende sur terre lorsque j’ai remarqué que parfois notre communication externe devenait trop high-end fashion. J’ai toujours fait tout ce qui était en mon pouvoir pour conserver l’ADN de la marque qui est caractérisé par sa fraîcheur et son côté humain. »
Vous étiez également la force motrice du programme santé chez Torfs. Pourquoi avoir fait ce choix ?
B.T.: « Il y a quelques années, mon passé de professeur de gymnastique a refait surface. Durant des années, nous avons misé sur le développement émotionnel, mental et personnel de nos collaborateurs et il y a quelques années, nous avons senti qu’il était temps d’accorder plus d’attention au bien-être physique de nos collaborateurs : mouvement, ergonomie, alimentation, repos, récupération mais également l’aspect ‘fun’. Travailler peut certainement être une activité amusante.
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises, et parfois même un ministre, s’engagent dans cette même voie et souhaitent proposer plus de sport sur le lieu de travail. Mais cela va bien plus loin que le sport en soi. Les vendeuses qui restent debout en magasin toute la journée, ont parfois besoin d’un peu plus de repos pour ne pas s’épuiser au travail. Nous ne devons pas tous faire du sport comme des chevronnés, il s’agit surtout de trouver un équilibre. Telle est ma vision du wellbeing et du bien-être au travail. »
Est-ce la base de votre projet Springbok Coaching ?
B.T.: « Le projet Springbok Coaching est effectivement né de cette passion personnelle. Grâce à Springbok, je souhaite que d’autres entreprises puissent bénéficier de cette approche qui a connu le succès chez Torfs. Le bien-être dans les entreprises est un business en plein essor, mais beaucoup d’inepties sont publiées à ce sujet. Avec mes vingt années d’expérience chez Torfs, je pense quand même pouvoir raconter une histoire qui tient la route. Contribuer activement au projet fait partie de mes missions personnelles.
Au départ, Wouter et moi avions convenu que la transition durerait deux ans, mais nous n’avions pas tenu compte du Herculean Groep, la plateforme B2B en faveur du bien-être et du sportainment. Springbok Coaching fera partie de leur Hercules Academy. Lorsqu’Inge Van Belle et Yves Vekemans m’ont demandé de rejoindre leur équipe, j’ai tout de suite senti une complicité.
Le tout s’est accéléré. C’est pour cette raison que nous avons décidé de faire appel à un successeur plus vite que prévu. Wouter et moi étions convaincus que Lise Conix, qui fait également partie de la famille et qui travaille chez Torfs depuis quatre ans, était la meilleure candidate. Cela fait depuis le mois d’août que je la suis de près et je constate qu’elle est prête. Je serai encore présente chez Torfs pour soutenir quelques grands projets et je coacherai Lise dans sa nouvelle fonction. »
Torfs joue également la carte du ‘marketing automation’. Comment cela se traduit-il concrètement ?
B.T.: « Ce phénomène de ‘marketing automation’ est formidable. Cela fait deux saisons que nous recueillons une masse d’information. Nous avons réussi à nous approprier près de 800.000 adresses. Récolter autant d’adresses en si peu de temps a été possible grâce au fait que nos collaborateurs sont impliqués dès le début du projet. Nous leur expliquons pourquoi ces données sont tellement importantes.
Tout le monde a participé avec succès et a fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir toutes ces données. Les résultats provisoires des tests sont très prometteurs. Via ce projet, Torfs a à nouveau démontré que l’entreprise parvient sans cesse à intégrer de nouvelles évolutions. Nous arrivons toujours à point nommé, jamais trop tôt ni trop tard. »
A l’avenir, souhaitez-vous miser davantage sur la communication personnalisée ?
B.T.: « Nous recherchons la segmentation par groupe cible ou par intérêt en premier lieu, mais la personnalisation 1-to-1 est bien entendu notre objectif final. ‘The sky is the limit’ en matière de données, mais il s’agit surtout d’analyser et d’utiliser ces données avec bon sens.
Il y a deux ans, nous avons débuté le processus de transformation numérique en collaboration avec Jo Caudron. Selon lui, Torfs montre bien comment un workshop stratégique peut se traduire dans la pratique.
Chez Torfs, le mérite revient à l’équipe toute entière. Il m’est certainement arrivé de susciter la controverse, mais mes collègues et Wouter m’ont toujours fait confiance. »
Quelles seront les principales opportunités pour Torfs ces prochaines années ?
B.T.: « Nous allons poursuivre le développement du projet online, veiller à ce qu’il ait encore du sens, et à l’automne, nous avons prévu de nous implanter en Wallonie. Nous y serons d’abord actifs en ligne, mais nous souhaitons ouvrir un ou deux magasins très rapidement. Une fois cette voie prise, nous jetterons notre dévolu sur les Pays-Bas.
Nous travaillons également sur un nouveau concept de magasins, mais nous allons d’abord prendre le temps d’expérimenter. En Flandre, nous souhaitons écrire une histoire parallèle à celle de Zalando. Selon nous, le client a besoin d’un ancrage local et si on ne manipule pas trop les prix, la carte est certainement jouable. »