Le lancement d’un nouveau concept de magasin à Gand illustre parfaitement le retour à ses racines amorcé par The Body Shop : l’enseigne veut redevenir un précurseur dans le domaine de la durabilité et de l’éthique, explique Hugues Laurençon, General Manager de la chaîne de cosmétiques pour la France et le Benelux.
« La marque a retrouvé son ADN »
Il n’a pas pu assister à l’inauguration du magasin : impossible de se rendre en Belgique depuis Paris, actuellement en « zone rouge ». Mais ce passionné n’est pas avare de son temps pour expliquer les changements que la marque a connus ces dernières années dans une interview vidéo. Et changement il y a eus : après plus de dix ans au sein du groupe L’Oréal, The Body Shop est passé en 2017 entre les mains du groupe brésilien Natura Cosméticos, également propriétaire d’Aesop (depuis 2012) et d’Avon (depuis début 2020). Une évolution majeure, selon Laurençon.
« L’Oréal nous a beaucoup apporté, notamment sur le plan structurel. Mais dans son giron, The Body Shop est redevenue une marque comme les autres, a perdu sa singularité. Il faut savoir que nous avons longtemps eu une longueur d’avance sur les autres marques de cosmétiques : nous avons par exemple été les premiers à interdire l’expérimentation animale, les premiers aussi à nous approvisionner exclusivement dans le commerce équitable. Nous avons toujours été une marque inclusive, nous soutenons les gay prides… L’objectif de The Body Shop n’est pas de vendre des produits de beauté : notre mission est de lutter pour un monde plus juste et plus beau. Nous revenons maintenant à nos racines : Natura a rendu son ADN à la marque. »
Une voix engagée
Il ne s’agit en aucun cas d’un simple exercice de marketing, les campagnes militantes de l’entreprise le démontrent. Notamment avec la pétition contre l’expérimentation animale dans les cosmétiques – parce qu’il reste des pays où cela est autorisé. Ou avec des actions autour des déchets plastiques : « Tous nos produits pour les cheveux utilisent désormais du plastique recyclé issu du commerce équitable. Nous travaillons dans ce cadre avec l’ONG Plastic for Change, qui met en place un système de collecte de plastique avec les “intouchables” dans la région de Bangalore. » À partir de l’année prochaine, les clients de The Body Shop Benelux pourront retourner leurs emballages pour qu’ils soient traités par un partenaire spécialisé dans le recyclage du plastique pour les cosmétiques. « Et au deuxième semestre 2021, nous allons introduire des stations de recharge pour des produits en vrac dans une douzaine de magasins en Belgique, en commençant par Gand. »
The Body Shop veut également favoriser le changement social. Le féminisme est au cœur de cet engagement : « L’entreprise avons été fondés par une femme qui a écrit une success-story remarquable, et la plupart de nos clients sont des femmes. En collaboration avec Plan International, nous avons collecté des fonds pour donner autant d’opportunités aux jeunes filles qu’aux garçons en Indonésie et au Brésil. Pendant le confinement, nous avons fait campagne contre la recrudescence des violences domestiques. Et début de 2020, nous avons collaboré avec Bruzelle sur le thème de la vulnérabilité menstruelle. » Bref, Hugues Laurençon ne laisse aucun doute : The Body Shop a fait à nouveau entendre sa voix.
Certificat végan
Et les nouvelles boutiques « activist workshop » sont la manifestation physique du virage négocié par la marque. Elles mettent mieux en évidence l’engagement de The Body Shop. « La première boutique conçue selon ce nouveau concept a ouvert en septembre dernier à Londres – logiquement, puisque c’est notre marché domestique. Nous en avons ouvert cinq autres depuis : au Canada, en Corée du Sud, à Singapour, à Hong Kong et à Gand. C’est le premier en Europe continentale. »
Étonnant : presque rien n’est neuf à l’intérieur, tout est recyclé ou revalorisé. « Nous devons rester cohérents dans tout ce que nous faisons. D’ici 2022, tous nos produits devront contenir au moins 95 % d’ingrédients naturels. Presque tous nos produits sont déjà végans, et ils porteront bientôt un certificat pour l’attester. Mais ce n’est pas évident : nous devons modifier de nombreuses formules, le nombre de dérivés de produits animaux que l’on retrouve dans certains ingrédients est absolument incroyable. Nous sommes encore en train d’en découvrir… Modifier les produits n’est pas sans risques : tout changement a un impact sur la texture, le parfum… Mais ce n’est pas du marketing, c’est vraiment un retour à la source militante de la marque. Nous sommes également fiers d’être la première grande marque de cosmétiques certifiée B Corp. »
Un marché important
À Gand, le retailer a déménagé dans un nouvel immeuble mieux situé. « Nous aurions pu rester dans l’ancien, mais le loyer était très élevé. Le nouveau magasin est bien visible au début d’une rue commerçante plus fréquentée, près du Korenmarkt et en face d’un arrêt de tram. De plus, l’immeuble forme un beau rectangle dans lequel le concept prend tout son sens, avec une grande façade et une entrée spacieuse. » La marque veut attirer un large public et garde des prix accessibles, souligne Hugues Laurençon. « Si nous voulons changer le monde, nous devons toucher le plus grand nombre. »
Gand est une ville importante pour The Body Shop : l’enseigne y enregistre un des chiffres d’affaires les plus élevés de Belgique. Et la Belgique est historiquement un marché important pour la chaîne, puisque Bruxelles a accueilli sa première succursale étrangère en 1978, deux ans à peine après la création de la société par Anita Roddick. « Mais nous n’avons pas toujours adopté la bonne approche en Belgique », reconnaît le CEO. « Auparavant, les boutiques flamandes étaient gérées depuis les Pays-Bas, les boutiques bruxelloises et wallonnes depuis la France. Depuis un an, nous avons un directeur commercial pour la Belgique, David Gheerolfs, un Flamand très expérimenté qui a travaillé auparavant pour Eram et Di. La Belgique doit redevenir un marché à part entière, et non une sous-division de la France ou des Pays-Bas. Nous redonnerons ainsi de la fierté aux équipes belges. Et cette fierté est importante dans le retail. »
Projets d’expansion
Toutes les boutiques adopteront le concept « activist workshop » à terme, mais cela prend du temps. En attendant, l’expansion est définitivement à l’ordre du jour en Belgique. Juste après le confinement, The Body Shop a ouvert une nouvelle boutique à City2 à Bruxelles. Et cela n’est pas tout : « Nous pourrions encore ouvrir des boutiques dans plusieurs villes et centres commerciaux. Nous avons dû en fermer quelques-uns à cause des conditions de location, comme à Hasselt. Nous espérons y revenir, mais dans des conditions de location qui nous permettent de survivre. Malgré le contexte difficile, nous n’avons toutefois pas constaté de baisse des loyers ces dernières années. J’espère que les propriétaires seront maintenant prêts à adapter leurs prix à la conjoncture économique. »
On dénombre actuellement vingt boutiques The Body Shop en Belgique, et l’enseigne pourrait en compter vingt-cinq à terme, selon son CEO. Sur ces vingt magasins, trois sont exploités par des partenaires franchisés : Bruges, Courtrai et Wijnegem. « Ils sont présents depuis le début et nous sont extrêmement fidèles. Ce sont des gens qui savent parfaitement ce qu’ils font. Nous pensons pouvoir développer davantage le franchisage. Peut-être pourrions-nous revenir à Hasselt avec un partenaire ? »
De nombreux détaillants ont vu leurs ventes en ligne exploser pendant le confinement, mais The Body Shop ne dispose pas encore de Webshop en Belgique. « Nous lancerons un nouveau site Web avec une boutique en ligne en accord avec notre image de marque l’an prochain. De nombreux clients potentiels commencent leur visite sur internet, ne serait-ce que pour consulter les horaires d’ouverture. Le site est notre première vitrine, il doit donner envie de venir dans nos boutiques. Le lancement est prévu pour l’année prochaine. »
Pas de changement de cap
Enfin, qu’est-ce que la crise sanitaire et le confinement ont apporté à The Body Shop ? La crise a-t-elle accéléré ou freiné certains projets ? « Il ne faut pas se mentir. Cette crise nous fait mal. Les consommateurs ont réduit leurs dépenses pendant le confinement, et ils restent prudents. La situation est difficile : nous avons des valeurs importantes, mais nous sommes aussi une entreprise. Plus nous vendons, plus nous avons de ressources pour faire passer notre message et collecter des fonds, soutenir les organisations… »
Quoi qu’il en soit, le retailer respecte scrupuleusement toutes les recommandations sanitaires : à Gand, les achats se feront sur rendez-vous le jour de l’ouverture. « C’est parfois délicat : quand vous ouvrez une nouvelle boutique, vous voulez le faire savoir au plus grand nombre. Mais nous avons dû nous restreindre : nous ne devons pas éviter d’accueillir trop de gens en même temps, nous ne devons pas mettre nos employés et nos clients en danger. Pourtant, le Covid-19 n’a rien modifié à notre vision, nous n’avons pas changé de cap. Durant la crise économique qui s’annonce, nous allons faire entendre notre voix afin d’encore accélérer le changement. Aujourd’hui, on parle beaucoup de coronavirus, mais par rapport à la crise écologique, ce n’est qu’un phénomène marginal. D’ici deux ans, ce virus appartiendra au passé, mais nous ne serons pas débarrassés du réchauffement climatique. »