Assortiment distinctif, merchandising irrésistible, prix imbattables : les Russes viennent nous donner une leçon de food-retail. Retour à l’essentiel, il faut nous préparer à entrer en économie de guerre. Filet Pur osera-t-il en rire ? Vous nous connaissez…
Pas le choix
Manier la carotte et le bâton n’est pas l’apanage de votre rubrique préférée : Geoffroy Gersdorff, le boss de Carrefour, sait également y faire. Il mise plus que jamais sur les marques de distributeurs et chasse sans ménagement les grandes marques A des rayons si elles ne veulent pas participer aux actions en défense du pouvoir d’achat. Mais il lance en même temps un appel chaleureux à ses fournisseurs à collaborer dans un esprit constructif. Vous connaissez le dicton : un retailer qui parle de gagnant-gagnant veut juste gagner deux fois.
À l’heure où vous lisez ces lignes, quelque 400 marques écoutent avec une fascination totalement feinte son discours de partenariat, d’opportunités et de croissance durable. Ben oui, le retailer aura besoin de leur coopération pour sortir du rouge cette année. Pas le choix… Il n’aime pas qu’on le dise, mais si l’année 2023 a été un grand cru pour Carrefour Belgique, c’est en partie dû à la zone de turbulences traversée par les Lions. Et ils ne recevront pas un tel cadeau cette année, on en est parfaitement conscient à Zaventem. Vont-ils s’en sortir ? Tout dépendra non seulement des fournisseurs en question, mais aussi et surtout des syndicats. Avec lesquels le dirigeant mène au moins des discussions constructives. À voir.
Balle dans le pied
Certaines marques n’attendent pas un boycott pour se tirer bêtement une balle dans le pied. Prenons l’exemple de Nestlé, qui pousse ses consommateurs entre les mains des marques de distributeur avec ses augmentations vertigineuses. En Europe en particulier, les volumes sont sous pression. Ou encore, Mondelez, qui n’a absolument pas l’intention de quitter la Russie et a montré son côté le plus mesquin en traînant Tony’s Chocolonely devant les tribunaux à cause d’une blague provocatrice. L’idée de contribuer à un monde meilleur semble totalement étrangère à Dirk Van de Put, le directeur du groupe : « Nos investisseurs ne s’en soucient pas », a-t-il expliqué au Financial Times. It’s all ‘bout the dum dum didudumdum.
La peur de Poutine joue en revanche un rôle, et peut-on lui en vouloir ? Car oui, quitter la Russie – ne serait-ce que partiellement – coûte cher, comme a pu le constater le producteur de café JDE Peet’s : la société mère de Douwe Egberts voit elle aussi ses volumes diminuer en raison de prix excessifs. Les regards sont tout aussi sombres chez FrieslandCampina : ben oui, quand on boit moins de café, on boit également moins de lait. Et cela coûte un paquet d’emplois. Seul Greenyard s’en tire bien avec des augmentations de prix « nécessaires et réussies ». Mais bon, ils jouissent d’un presque monopole sur le rayon des fruits et légumes. Il n’y a tout simplement pas d’alternative.
Tout doit partir
En termes de timing, le lancement du Festival du Vin n’aurait pas pu être mieux choisi par Delhaize. Le fait que cette maudite Tournée Minérale soit toujours en cours ne les empêchera pas de déboucher quelques bouteilles à Kobbegem, à présent que les 128 agences ont toutes trouvé un acheteur consentant moins d’un an après le coup d’envoi de ce fameux plan d’avenir. Santé ! Tout devait partir et pour s’en assurer ils se sont probablement lancés dans des promotions 2+1 gratuit, voire 1+1 gratuit à en juger par le nombre d’entrepreneurs qui ont réussi à mettre la main sur un deuxième ou un troisième magasin. Quoi qu’il en soit, le vrai travail peut maintenant commencer. Frans Muller attend impatiemment les premiers chiffres, calculatrice en main.
En parlant d’arithmétique : meilleurs prix ou non, Colruyt va payer un peu plus cher ces pauvres éleveurs de bétail. À concurrence de 30 centimes au kilo pour être précis. Sous une légère pression, certes, et en espérant que la concurrence suivra, mais quand même. Pour ce faire, le retailer va chercher l’argent là où il se trouve : pas au sein des banques et autres holdings, mais quand même au Luxembourg. Où le groupe a ouvert son premier Bio-Planet, qui est immédiatement devenu le plus grand magasin bio de tout le Grand-Duché. Et ce ne sera pas le dernier, promet-on à Halle. Il faut dire que la plupart des Luxembourgeois sont assez riches pour s’offrir ces coûteux produits bio.
Intrus
Enfin, encore ceci. Votre serviteur est un foodie autoproclamé qui ne refuse jamais une délicatesse exclusive. Et reconnaissez-le : où peut-on encore trouver des oreilles de porc fumées ? Pas chez Keurslager, pas chez Cru, et encore moins chez Delhaize. Un petit détour par Opwijk ou Boussu – et, depuis hier, par Boom – suffit cependant pour mettre la main sur ce délice méconnu, et pour rien ou presque, encore bien. Le tout grâce à MyPrice, injustement dépeint dans les médias comme un intrus qui ternit l’image du secteur et fausse le marché toute cette semaine. Par votre serviteur aussi, d’ailleurs.
Soyons honnêtes : ne devrions-nous pas nous réjouir de l’arrivée de ce nouveau venu ? Un véritable enrichissement pour le paysage du foodretail : l’un des rares supermarchés à proposer un assortiment véritablement distinctif. Qu’un Colruyt Meilleurs Prix moyen s’apparente à un somptueux palais par rapport au hangar glacial de l’agresseur sibérien n’est qu’un détail : ici, le héros de guerre est le produit. « Pile it high and sell it low » : le gourou du retail Bernardo Trujillo serait fier de toi, Dmitri !
Feu rouge
Le retail tel qu’il est censé être, un retour à l’essence brute en période de pénurie croissante : dans le mille, comme on dit sur les champs de tir. Chapeau ! Seul petit problème : les rayons sont remplis de camelote lituanienne. Car malgré le nom trompeur, il s’agit bien d’une nouvelle tentative d’invasion des Russes de Mere. Et nous ne faisons pas affaire avec les Russes en ces temps de guerre, point. Car même s’ils jouent à cache-cache, ils ne peuvent pas cacher leur amateurisme.
Comme le disait à juste titre Niels Bohr, fondateur de la mécanique quantique : « Il est très difficile de faire des prédictions, surtout concernant le futur ». Mais dans ce cas particulier, je vais me lancer : cette nouvelle tentative ne fera pas long feu. Svetofor – car c’est le nom de la société mère de Mere et MyPrice, basée à Krasnodar – signifie d’ailleurs « feux de circulation ». Feu rouge serait peut-être une meilleure traduction. C’est d’ailleurs la coulure de leur logo. À la semaine prochaine !