Vendredi, jour de poisson, même s’il s’agit d’un poisson de troisième ordre. Vous préférez un Filet Pur futuriste tout droit sorti d’un bioréacteur ? Tant que c’est bon marché, voire meilleur marché que bon marché : la gratuité existe dans le commerce de détail alimentaire. Mais à quel prix ?
Capture accessoire
Et si nous commencions par quelques félicitations ? Après tout, il y a déjà assez de négativité dans ce monde, et parfois aussi dans cette rubrique. Un grand bravo donc à la cardine franche, qui a une nouvelle fois été élue « poisson de l’année », alors que l’année est déjà à moitié écoulée. Un exploit, surtout pour un poisson de troisième ordre. Car, il faut bien l’admettre, la cardine franche ne représente qu’une capture accessoire de la pêche de la sole, beaucoup plus exclusive, coûteuse et, selon certains, carrément prétentieuse. Toutes deux sont liées l’une à l’autre comme le produit blanc l’est à la marque A.
Un choix judicieux donc, par lequel le VLAM (Centre flamand pour le marketing de l’agriculture et de la pêche) fait preuve d’une redoutable compréhension du contexte actuel et des attentes des consommateurs. Comme le disait Bernardo Trujillo, le gourou des supermarchés : « Poor people need low prices, rich people love them. » En période d’hyperinflation, les produits blancs sont plus tendance que jamais. Même s’ils sont de qualité inférieure, ce que je ne prétends certainement pas dire de la cardine franche, à ne pas confondre avec la limande-sole, attention !
Permutation
Et la TVA n’est qu’à 6 %. Ce qui est encore trop, selon le gouvernement : alors que les détaillants alimentaires jouent à la concurrence par les prix avec des produits de qualité inférieure, le ministre des Finances veut ramener la TVA à zéro sur certains produits de base. Notamment pour les légumes, le pain, le lait et les œufs. Cela servira-t-il à quelque chose ? Il y a longtemps que les clients ne se déplacent plus pour une réduction de 6 %, non ? De plus, il ne s’agit que d’une permutation, puisque la TVA sur d’autres produits alimentaires passerait de 6 à 9 %. C’est comme les chaînes de supermarchés qui annoncent à grand renfort de publicité des baisses de prix, mais gardent sous silence les hausses de prix censées préserver leurs marges.
Malgré la pression sur les budgets de ménages, il semblerait que les Belges achètent à nouveau davantage de produits issus du commerce équitable. C’est une question de disponibilité : s’ils sont en rayon, nous les mettons dans notre caddie, même si le prix est un peu plus élevé. De plus en plus de chocolats portent le label Fairtrade, car les fabricants ne manquent pas une occasion de faire du greenwashing, vous pensez bien. Pour les bananes et le café, la situation se stabilise : il s’agit de catégories très concurrentielles. Pourtant, ce sont précisément les combattants des prix qui montrent le bon exemple : Aldi et Lidl affrontent les poids lourds dans l’arène du commerce équitable. Chapeau.
À jamais
Créer des conflits, niveau avancé : à croire qu’ils ont suivi cette formation, chez Mondelez. Après s’être retrouvé sur la liste noire du gouvernement ukrainien et avoir été banni des rayons de Colruyt, c’est maintenant Ikea qui dit « Merci et à jamais » au groupe. Il n’y aura bientôt plus de tablettes de chocolat Daim dans le magasin d’alimentation à la sortie. Elles se vendaient pourtant bien. La décision du détaillant de meubles n’est pas vraiment liée au fait que le fabricant continue d’opérer en Russie : Ikea souhaite « surtout » se concentrer davantage sur sa marque propre, selon la déclaration officielle. D’accord.
Le responsable Food & Beverage, Roel Michiels, nous dira tout sur la politique alimentaire de la chaîne de mobilier la semaine prochaine au RetailDetail Food Congress. Il reste encore des places ! Je vous conseille vivement de réserver la vôtre : en plus d’une mise à jour des tendances actuelles en matière d’alimentation et de commerce de détail, nous terminerons avec un orateur de premier plan : le professeur Koen Kas viendra nous expliquer avec passion comment l’alimentation, la technologie et les soins de santé fusionneront à l’avenir et quel rôle les fabricants et les détaillants peuvent jouer dans cette évolution. Frissons garantis ! Satisfait ou remboursé, c’est promis. Vous pourrez aussi déguster un dessert blockchain. Le goodiebag vaut également le détour. Alors…
Poulet sans tête
En parlant de l’avenir de l’alimentation, ce que nous ne pourrons malheureusement pas encore vous proposer au déjeuner lors de notre congrès, c’est une salade à base de viande de poulet cellulaire progressiste et respectueuse des animaux. Pour en trouver, vous devez aller aux États-Unis. Car oui, ils en sont là : la viande cultivée peut officiellement passer du laboratoire à l’assiette des consommateurs. Ça commence par du poulet sans tête, mais d’autres producteurs devraient suivre au cours des prochains mois, avec du bœuf, du poisson, des crevettes ou autres sortis d’un bioréacteur. Après l’État nain de Singapour, il s’agit du premier grand marché à ouvrir grand ses portes à cette nouvelle catégorie de viande de laboratoire prometteuse.
Mais ce n’est pas demain la veille que des nuggets de viande de culture préemballés se retrouveront dans les rayons de Food Lion ou autres. Cette nouveauté s’adresse évidemment à l’élite, à ceux qui fréquentent les restaurants étoilés. Plutôt malin sur le plan marketing, j’imagine : positionner la viande de laboratoire comme une exclusivité de première qualité. La production est encore coûteuse et les stocks sont limités, mais avoir bonne conscience, cela compte aussi. De la viande sans culpabilité ! On ne saurait trop insister sur l’importance de cette avancée.
Regard mauvais
En revanche, l’Europe est-elle plus déterminée que jamais à rater ce train haut la main ? La viande de culture ne s’inscrit-elle pas parfaitement dans les ambitions de Timmermans en matière de durabilité ? Pour l’instant, aucune start-up ne s’est risquée à introduire un dossier auprès de la stricte autorité alimentaire européenne. Ce processus d’approbation est un chemin de croix qui dure au moins neuf mois, mais potentiellement beaucoup plus longtemps. Mosa Meat, basée à Maastricht, pourrait devenir la première, mais rien n’a encore été annoncé sur ce front.
En parlant de front : chez Delhaize, l’agitation sociale prend des allures de guérilla. Les activistes entrevoient une opportunité, maintenant que l’interdiction des piquets de grève n’est plus d’application qu’à Bruxelles, dans le Hainaut, à Liège et dans le Brabant wallon. Ils bloquent donc à nouveau les magasins là où bon leur semble… Pas beaucoup, mais cela occupe les huissiers. Ailleurs, ils essaient de sensibiliser les clients à leur cause en leur demandant d’abord poliment de ne pas entrer, par solidarité. Et en regardant ensuite d’un mauvais œil ceux qui poussent quand même les portes du magasin. Croyez-moi, ça, ils le font bien.
Mais comment résister à l’appel du thé glacé, du salami, des sucreries, du cava ou des bières gratuits ? Cela fait un moment que notre santé n’est plus une priorité pour les lions. En effet, à Kobbegem, ils prennent également à cœur les recommandations de Bernardo Trujillo : create an island of loss in an ocean of profits. Mais cela ne dure que tant qu’il y a de l’eau dans la mer. À la semaine prochaine !