Le profitflation n’est pas une fable d’altermondialistes. Cette semaine l’a démontré : c’est simplement la dure réalité. Allo, les multinationales ? Et bon sang, qu’est-ce qui se trame chez Delhaize ? Eh bien Filet Pur va vous l’expliquer : on y ment comme des arracheurs de dents.
Abominables
Carrefour n’est pas seul : Colruyt aussi profite largement du malaise qui règne chez Delhaize, a-t-on appris la semaine dernière. Des conditions favorables ont contraint le leader du marché à revoir légèrement à la hausse les prévisions qui accompagneront les résultats de l’exercice encore à publier.
Non seulement l’augmentation des prix de l’énergie n’est pas trop grave, mais les parts de marché semblent se redresser. De pas grand-chose – ces clients gâtés de Delhaize ne s’aventurent dans un entrepôt aussi sombre et spartiate que lorsqu’ils n’ont vraiment aucune alternative à leur disposition –, mais assez pour conclure que les bénéfices s’effondreront un peu moins que ce que Jef avait prédit l’année dernière.
En résumé : oui, les résultats annuels seront toujours abominables, mais plus autant que ce que l’on craignait au départ. Il n’en fallait pas plus pour que les investisseurs sabrent le champagne, comme le montre la hausse du cours de l’action. Nous supposons qu’ils se sont contentés d’un simple cava Gran Barón à Halle.
Profitflation
Payer quelques euros de plus pour de la bière et du ketchup ne dérange pas les consommateurs, si l’on en juge par les excellents résultats trimestriels à nouveau enregistrés par AB InBev et Kraft Heinz. Mais il en va autrement pour les détergents, nous a appris Henkel. Cette catégorie souffre d’une pression incessante sur les prix et les promotions. Il faut être en effet très stupide ou très riche pour continuer à payer ces dosettes sophistiquées au prix plein. Idéalement, on les commande en ligne sur une grande plateforme, en grandes quantités et moyennant des rabais inédits. Ce qui n’a pas empêché le fabricant de détergents d’augmenter ses tarifs de près de 13 %.
Mais combien de temps encore ces marques vont-elles s’en tirer à si bon compte ? Même les investisseurs et les analystes financiers commencent enfin à se rendre compte que certaines multinationales profitent sans scrupule de circonstances inédites pour augmenter fortement leurs marges. La « profitflation » était tendance cette semaine. Et pas chez les militants du PTB : dans la presse économique rose saumon. Le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne le confirment : ce n’est pas l’augmentation des salaires qui a fait augmenter les prix, mais les hausses de prix opportunistes pratiquées par les entreprises elles-mêmes. Holy guacamoly, qui l’eût cru ?
Blocage
Frans Muller s’est également retrouvé dans le collimateur de la presse, car les marques ne sont pas les seuls à optimiser leurs marges. Qu’un CEO grassement payé d’une entreprise très rentable ait refusé une augmentation de 10 % à son personnel logistique n’a pas été très bien perçu… Les grévistes néerlandais cependant se sont avérés beaucoup plus efficaces que leurs homologues belges – c’est un euphémisme : une semaine et demie de mobilisation a suffi. Pas d’huissiers en vue, là-bas. Il faut dire que des rayons vides dans deux chaînes en même temps, on a beau s’appeler Ahold Delhaize… Le manque à gagner aurait atteint quelque 45 millions d’euros aux Pays-Bas. Et en Belgique, après deux mois ?
Entre-temps, le conflit social chez Delhaize tourne de plus en plus à la guerre de propagande. Qu’une jeune militante écologiste réalise un film bourré – volontairement ou non – de chiffres et de faits erronés et d’accusations vides sur le climat, ce n’est pas joli-joli, mais ce n’est pas très grave non plus. Plus significative est en revanche la nouvelle « étude » réalisée par les syndicats affirmant que le plan de franchisage détruira au total 6 500 emplois et rapportera 225 millions d’euros au retailer, soit quatre fois ses bénéfices. Pardon ? Ben oui, les magasins franchisés emploient 25 temps plein en moyenne, contre 70 pour les magasins intégrés. C’est ce qu’on appelle du calcul créatif.
Menteurs
En fait, la stratégie utilisée par les syndicats dans le dossier Delhaize est très claire : ils qualifient immédiatement de mensonge grossier toute déclaration, promesse ou garantie du retailer. Simple. Et comme on ne peut pas négocier avec un menteur… Basique. Jusqu’à présent, cette approche paraît relativement efficace.
Dans ce type de conflit social, les médias publics ont généralement tendance à pencher du côté des salariés, qui constituent l’essentiel du lectorat. Pour le patronat, il y a L’Echo. Et donc, les scénarios horrifiques selon lesquels chacun des 9 200 employés de ces 128 supermarchés subirait des réductions de salaire de 30 %, perdrait ses précieuses primes d’ouverture anticipée et tardive, devrait prester plus d’heures supplémentaires, y compris le dimanche et pourrait dire adieu à ses chèques-repas et aux heures supplémentaires qu’il avait patiemment accumulées n’ont pas suscité beaucoup de contradiction.
Pas un iota
Dans ce contexte, que Delhaize ait publié mardi soir, après une nouvelle réunion soldée par un échec, un communiqué énumérant les garanties supplémentaires que les syndicalistes n’ont même pas voulu écouter n’est pas vraiment une surprise. Aucun de ces 128 magasins ne fermera avant la fin de l’année 2028, les malades de longue durée n’ont rien à craindre et même les heures supplémentaires seront conservées après le franchisage. Voyez-vous ça. Et quelle a été la réaction ? « Nous n’en croyons pas un iota. » Voilà.
Mais ces militants doivent tout de même conserver un minimum de logique. Lors de la réunion sectorielle de la commission paritaire 202, les négociateurs ont exigé que Delhaize ne se présente plus à la table des négociations. Ben oui, s’ils quittent cette commission, qu’ont-ils à y faire ? Un raisonnement étrange, qui donne l’impression que les syndicats partent donc bien du principe que le plan sera appliqué. Alors qu’officiellement, ils souhaitent toujours l’abandon du projet de franchisage. À un moment donné, faudrait savoir…
Wraps
Enfin, encore ceci. Des collègues sympas, un bon salaire, un travail près de chez soi… j’ai d’abord cru que cette nouvelle campagne parlait de RetailDetail. Mais non, il s’avère qu’il est merveilleux de travailler chez Aldi et nulle part ailleurs. C’est ce que l’on peut déduire des visuels ensoleillés accompagnés du hashtag #çacestmalin qui fleurissent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. C’est la fête chaque jour là-bas, malgré cette charge de travail inhumaine. Super. Il faut juste éviter de s’enfiler innocemment un wrap pendant ses heures, sous peine de se faire virer. Des managers un peu moins sympas, manifestement.
Cela ne vous arrivera jamais chez RetailDetail : ici, on vous jette des wraps à la tête à la moindre seconde d’inattention. Nous sommes littéralement noyés sous les wraps. Nous sommes déjà heureux quand pour une fois il n’y a pas de wraps aux menu. Et pour ne rien arranger, nous n’aurons pas encore droit au premier week-end barbecue. Ce printemps humide et froid a déjà coûté plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires à nos supermarchés, mais vous ne trouverez pas un mot à ce sujet dans la presse mainstream. Classique ! À la semaine prochaine !