L’un après l’autre, les CEO sortent le hachoir. Et nous n’avons même pas encore vu le début de la grande révolution du foodretail. Toutes les grèves du monde n’y changeront rien. Filet Pur a également repéré un gagnant temporaire, qui se transformera de toute façon en perdant sous peu.
Grasses
Et soudain, l’alimentation est à nouveau trop bon marché. Waow, celle-là, on ne l’avait pas vu venir. Les clients professionnels pillent les rayons d’un fier leader du marché belge qui propose du sucre, du sel, de la farine et des frites surgelées à des prix si bas qu’il flirte avec la légalité. Résultat : Colruyt est contraint d’imposer un rationnement, comme lors du premier confinement. Chez Aldi aussi, les tenanciers de night shops dévalisent les rayons – mais uniquement d’alcools et de cacahuètes, et uniquement en région liégeoise. Il y a une fête prévue quelque part là-bas ?
Mais c’est surtout la pitié que suscitent ces pauvres chaînes de supermarchés, qui ont enregistré l’an dernier la plus forte baisse de leurs marges depuis cinq ans. Et elles n’étaient déjà pas bien grasses. Aucune amélioration n’est attendue cette année : les clients commencent à peine à apprécier le downtrading. S’ils veulent garder un peu d’argent pour investir dans la numérisation et la durabilité, une consolidation est inévitable chez les foodretailers : attendez-vous à une nouvelle vague de fusions, d’acquisitions et de franchisages, prédit McKinsey. Ce n’est que le début.
Limites
Il s’ensuivra, bien entendu, des opérations de réduction des coûts draconiennes. Même parmi les discounters, pourtant les grands gagnants de la crise des coûts. Car oui, l’indexation des salaires leur fait du tort, et ils doivent évidemment retrouver quelque part les millions perdus l’année dernière. Et comme il n’est manifestement pas question d’ouvrir de nouveaux magasins (il y en a déjà trop), d’augmenter les prix (vous êtes fou ?), d’accorder des promotions XXL (essayez seulement de battre Albert Heijn sur ce terrain) ou de faire appel au franchisage (plus tabou que jamais), l’effort devra venir des pauvres employés de Lidl. Qu’ils travaillent plus dur pour leur salaire, point final.
Comme chez Aldi. Sommes-nous surpris ? Ben oui, quand on réduit les effectifs tout en ajoutant à l’assortiment des catégories à forte intensité de main-d’œuvre comme le bake-off et la viande fraîche, ça coince. Le modèle du harddiscount aussi se heurte à ses limites et le choc est brutal. Il reste bien le softdiscount. Mais pas question d’utiliser ce qualificatif pour Colruyt : ils sont tout sauf soft à Halle. Nous en avons eu une nouvelle preuve cette semaine : même Jef n’hésite pas à sortir le hachoir si le besoin s’en fait sentir. D’accord, Dreamland a toujours fait office de vilain petit canard au sein du groupe. Mais que fera-t-il bientôt des gouffres sans fond que sont CRU et Bio-Planet ? Entendez-vous vous aussi cet orage qui gronde à l’horizon ?
Sergio Leone
Ces limites, le modèle des supermarchés haut de gamme les a dépassées depuis longtemps. Qu’est-ce que ces gens ont bien pu se raconter pendant dix heures mardi dernier ? La direction de Delhaize et les syndicats en colère se sont regardés dans le blanc des yeux pendant plus d’une journée de travail complète, avec heures supplémentaires payées triple. Un tableau digne des plus grands chefs-d’œuvre de Sergio Leone. Sourcils froncés, mâchoires serrées. Pas un n’a sourcillé. Ils auraient pu s’épargner le coût de ce médiateur. Et les huissiers ne viennent pas non plus pour jouer les trouble-fêtes gratuitement. Bon, ils auront une nouvelle chance samedi. À la demande des politiques, qui n’ont manifestement pas envie de se regarder dans la glace.
Jusqu’à présent, l’image de supermarché de qualité ne souffre pas trop de ce conflit persistant, estiment les experts en marketing. Delhaize reste une marque forte. Mais pour combien de temps encore ? Ce fameux plan d’avenir est un premier pas face au coût élevé des magasins, mais le retailer n’a pas encore abordé l’avenir des supermarchés. La numérisation n’a pas vraiment commencé dans le foodretail. Que vont devenir les magasins franchisés excédentaires ? Parce qu’il y en a trop, nous sommes désormais d’accord sur ce point, n’est-ce pas ?
Clair
Non pas que la situation soit meilleure ailleurs. L’agitation sociale touche également les Pays-Bas, où Albert Heijn refuse d’accorder aux employés de ses centres de distribution une « augmentation de salaire appropriée ». Allez, 14,3% d’augmentation, plus 100 euros bruts par mois et désormais une compensation automatique en cas d’inflation, ce n’est pas trop demander, non ? Si l’argent n’est pas là dimanche soir, tout s’arrête. On ne peut pas reprocher aux syndicats un manque clarté.
Mais avez-vous noté où il règne actuellement un silence très suspect ? Chez Carrefour. On s’y garde bien de se réjouir de la situation – ce ne serait pas très collégial –, mais on s’y se frotte secrètement les mains. Nos sources sont formelles : les magasins bruxellois peinent à suivre tant les clients désespérés de Delhaize y trouvent une alternative à leur refuge habituel contre la faim et la soif. Jackpot ! C’est Noël en avril, grâce aux grévistes les plus obstinés du pays. Mais la gueule de bois s’annonce inévitable.
It’s the demography, stupid!
Pourtant, la solution à tous ces maux est à portée de main. Tout ce contre quoi les syndicats ont lutté ces dernières décennies s’approche inexorablement. Encore plus de self-scanning, de magasins sans caisse, de centres de distribution entièrement automatisés, de robots dans les allées des magasins et des entrepôts… La machine et lancée et ils ne pourront rien y faire. Et pourquoi ? It’s the demography, stupid!
Nous parlons du vieillissement de la population depuis des décennies, mais nous commençons à peine à en ressentir réellement les effets. Les gens qui sortent du marché du travail sont plus nombreux que ceux qui y entrent. Demandez à Jumbo. Dans le Limbourg, ils ne parviennent pas à trouver suffisamment de grands naïfs disposés à travailler dans un nouveau supermarché à l’avenir incertain sans prime de dimanche ni bonus d’ouverture anticipée. À Lierre, on colmate les brèches comme on peut. Qu’en est-il en Flandre occidentale, tout aussi sclérosée ?
Non seulement il n’y a plus assez de gens qui veulent ou peuvent encore travailler, mais bientôt il n’y aura tout simplement plus personne pour protester ou faire grève. Voilà. Problème résolu. De rien ! À la semaine prochaine !