Une harmonisation des conditions de travail dans le commerce de détail alimentaire ? Cela sonne bien, mais risque d’entraîner des fermetures de magasins, des licenciements et un chariot de supermarché plus cher. Est-ce ce que veulent Colruyt et les syndicats ?
Débat social
Le plan d’avenir de Delhaize suscite depuis des semaines un vif débat social. Les critiques jugent inacceptable qu’une multinationale rentable et cotée en bourse comme Ahold Delhaize transfère le risque et les coûts d’exploitation de 128 magasins à des opérateurs indépendants et pousse les employés fidèles vers un statut d’emploi moins favorable – bien que ce dernier point soit nié par Delhaize, car les contrats actuels restent en place.
D’autres observateurs soulignent la trop grande rigidité des règles du travail dans les magasins intégrés et affirment que seuls les magasins franchisés sont en mesure de répondre à l’évolution rapide des attentes des consommateurs, en leur offrant un meilleur service, des heures d’ouverture plus larges et une touche locale. Combiner la force d’un grand groupe et l’esprit d’entreprise d’un indépendant local est la formule gagnante. Ce n’est donc pas un hasard si les magasins franchisés gagnent des parts de marché, et pas seulement chez Delhaize. Les candidats acquéreurs se font d’ailleurs pressants.
Harmonisation
Mais il semble que Delhaize ait ouvert une boîte de Pandore. Les syndicats voient dans le conflit en cours une occasion de se faire connaître et de demander des réformes : ils veulent des conditions de travail égales dans tous les supermarchés, qu’il s’agisse de succursales ou d’indépendants. Ils réclament – naturellement – que le statut le plus favorable, celui de la commission paritaire 202, s’applique à tous. Colruyt se joint maintenant à eux : dans une lettre adressée au ministre Dermagne, le détaillant demande une harmonisation des conditions de travail dans le secteur.
Le fait que Colruyt s’implique dans une discussion sur un concurrent est particulièrement remarquable et en même temps pas tant que ça. Le leader du marché est confronté à des challengers qui misent de plus en plus sur le franchisage, qui leur donne de l’agilité et des avantages en termes de coûts. L’expansion de nouveaux venus comme Albert Heijn et Jumbo, mais aussi de Carrefour, se fait presque exclusivement par le biais de magasins franchisés. Concurrence déloyale, pense-t-on à Halle. L’intérêt propre, pourrait-on conclure. Ce qui rend la démarche de Colruyt quelque peu douteuse.
Massacre
Faisons le point sur la facture. Quatre chaînes de supermarchés sont déjà déficitaires en Belgique et les marges bénéficiaires des autres sont soumises à une forte pression. La concurrence est féroce. L’augmentation des coûts salariaux et organisationnels pour tous dans ces circonstances ne sera pas sans conséquences : une vague de fermetures de magasins et de licenciements sera alors inévitable. On peut arguer qu’il y a trop de supermarchés dans le pays, mais le carnage doit-il être immédiatement auto-infligé ? Le plan de Delhaize vise à éviter les fermetures et les licenciements.
Une telle réforme ne serait pas non plus sans conséquences pour les consommateurs : les prix devront encore augmenter, la différence de prix avec les supermarchés de nos pays voisins se creusera à nouveau, les achats frontaliers augmenteront à nouveau. Est-ce souhaitable ?
Les différences de conditions de travail entre les multinationales et les PME ne sont pas propres au secteur du commerce de détail et ne sont pas nécessairement problématiques. Ce qui est problématique, c’est le climat économique et les coûts structurels élevés des employeurs dans ce pays, qui font que les entreprises locales ont du mal à faire face à la concurrence internationale. Le plaidoyer douteux de Colruyt et les demandes des syndicats ne vont pas y remédier.